Tours perd deux adresses à part.

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Les bars-restaurants qui sont aussi de vrais lieux de vie hétéroclites sont suffisamment rares pour être remarqués. En quelques semaines, Tours s’apprête à perdre deux spécimens du genre qui, bien que différents, ont su au fil des années devenir des lieux où l’on aime se poser, revenir et rester. Des lieux où l’on se sent chez soi, et certains jours sans, carrément mieux que chez soi. Alors que l’Adresse rue Nationale devrait tirer sa révérence pendant l’été, Les Eaux Vives près de la Gare de Tours, seront taries dès le mardi 30 juin. Nous y étions ce week-end pour les deux dernières soirées. Récit.

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Ici tout le monde s’embrasse ou presque. Et le patron embrasse tout le monde ou presque. Même le touriste égaré des sentiers battus. Ou la copine de passage qu’on amène ici pour l’apéro, qui sera appelée par son prénom dès les minutes suivantes. Et pour l’éternité. Il y a souvent du bruit, on s’invective, on plaisante, on réclame ses cacahuètes à grands cris, on se fait charrier, on s’autorise à faire les mots croisés du journal toujours posé sur le comptoir, on se fait engueuler même des fois, on pleure, on chante, on rit, il y a quelques méchants et beaucoup de gentils. Mais c’est évidemment beaucoup moins policé que le Pays de Candy. Une sorte de Pays des Bisounours mais sans les bisounours. Un joyeux bordel parfois, où tout le monde oublie l’heure et ses soucis pour basculer dans la fête sans même s’en apercevoir.

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Un enfant du pays aux manettes

Pour Joël Barrault, natif du Grand-Pressigny, c’est une histoire de famille : la maman œuvrait déjà dans ce domaine si particulier du petit bistrot de quartier, elle à la campagne, dans les Années 50 et 60, à Etableau. Son petit dernier a brillamment repris le flambeau. Dans quelques grandes adresses parisiennes d’abord, où il est parti se faire la main à l’âge où la plupart d’entre nous n’avait pas encore passé le brevet des collèges. On le verra par la suite pendant plusieurs décennies rue Marcadet, à «La Boulange», une petite table du midi qui, comme son nom l’indique, juxtaposait une boulangerie (à l’angle du Boulevard Barbès) qui appartenait à la même personne ; jusqu’à ce que Joël puisse enfin s’installer à son compte et ouvrir La Table d’Eugène au tournant du siècle, à quelques dizaines de mètres de là, rue Eugène Sue.

Un peu de Paris en plein cœur de Tours

Le retour en Touraine se passe en 2009, en famille, quand Joël après quelques recherches de locaux, s’installe Place des Aumônes, ce petit oasis tranquille entre le tumulte de la gare SNCF et les salles obscures du CGR Centre. Très vite, un certain nombre de ses connaissances parisiennes ayant des attaches à Tours, ses vieux amis tourangeaux retrouvés et les gens du quartier commencent à se mélanger dans la joie et la bonne humeur, que ce soit pour un petit apéro after work au comptoir, un déjeuner bien au chaud dans la grande salle chaleureusement moquettée ou un petit noir en terrasse pour bien commence la journée. La sauce qui plaisait déjà tant à Paris n’a pas tardé à prendre, Joël insufflant le bien-être et la convivialité sitôt le seuil de son lieu franchi.

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Marié à une musicienne et chanteuse, et lui-même amoureux de toujours de chanson française, Joël propose très vite des soirées musicales de qualité et des groupes locaux de renom commencent à devenir eux aussi des habitués des lieux, de Michto Chants du Voyage à Jazz Evasion et plus récemment Black Root’s, ces deux derniers fidèles au poste animant les deux dernières soirées de ce week-end.

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Alexandra & Franck et Joël : deux destins parallèles

Hélas, ce joli tableau commence quelques mois après son ouverture à s’assombrir quand il devient officiel que le tramway passera rue de Nantes et que le pâté de maisons abritant Les Eaux Vives et Le Martin Bleu, connu sous le doux nom d’Ilot Vinci, sera rasé pour laisser place à deux grandes tours de logements et de bureaux. Face à la poésie des multiples rencontres humaines décrite ci-dessus va commencer à s’opposer une froideur administrative implacable. A peine arrivé, Joël apprend donc qu’il devra partir. Un feuilleton qui durera 6 ans donc, et qui devrait encore durer bien après la fermeture des Eaux Vives. Le projet des tours est abandonné. Et Joël Barrault avec. Après avoir subi les travaux pendant trois ans son affaire est exsangue et son local n’intéresse plus personne. La SET, Société d’Equipement de Touraine, dont la signature laisse songeur («Fabrique d’Alliances Urbaines»), n’a plus qu’à acheter au prix qu’elle veut un commerce à l’agonie, heureusement tenu à bout de bras par ses habitués et le courage de son patron. Un prix inévitablement indexé sur un chiffre d’affaires faussé par les travaux et par la fatigue d’un départ sans cesse annoncé et sans cesse repoussé. Un projet urbain est une chose, un être humain en est une autre.

A trois stations de tram plus au nord, le scénario n’est pas identique, mais revêt de troublantes ressemblances : L’Adresse, après son passage au tribunal le 22 juin dernier, devrait connaître son prix de rachat fin juillet pour plier bagages en août. Ce qui laisse augurer une rentrée amère pour de nombreux lycéens, employés, commerçants et étudiants du quartier qui avaient fait de ce lieu lumineux et tenu par un couple ayant lui aussi un sens aigu de l’hospitalité et de la convivialité, un nid, un refuge, une extension de leur appartement/bureau/maison/lycée… Là aussi, des années de tergiversations, de malentendus et de communication approximative – le couple Nivard apprenant certaines nouvelles par la presse ou des clients – plutôt que par leurs interlocuteurs officiels. A la différence des tours de la Gare, les grands hôtels prévus en haut de la rue Nationale se feront bien et Alexandra et Franck Nivard, maigre consolation, pourront toujours se dire contrairement à Joël Barrault, qu’ils n’auront pas fermé pour rien.

Au-delà de la nostalgie

Il est vrai que l’on vit dans un Monde où tout bouge plus vite qu’avant, mais quand on voit la moyenne d’âge des clients de l’Adresse et la diversité des profils des habitués des Eaux Vives, il paraît difficile de taxer ces regrets de grognements de vieux réac. Dans un cas comme dans l’autre, de la terrasse et des baies vitrées de l’Adresse situées sur l’un des plus beaux emplacements de la ville au petit côté «secret mais central» des Eaux Vives, on avait affaire à des lieux particuliers, gérés et sculptés jour après jour par des passionnés, des commerçants certes, mais fortement animés par le plaisir de recevoir comme s’ils vous recevaient chez vous.

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Pour Les Eaux Vives il est trop tard, mais pour l’Adresse, courez en user et en abuser pendant encore quelques semaines ! En espérant retrouver ces trois personnalités particulières continuer à transmettre leur précieux savoir faire dans d’autres lieux tourangeaux dans les mois à venir. A suivre…

Crédits photos : Laurent Geneix pour 37°

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