Signes des Temps #21 : La légèreté comme riposte, place Jean Jaurès

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Le pitch : « Signes des Temps » ce sont des images chassées par notre journaliste Laurent Geneix dans les rues, les bâtiments et les chemins de la Touraine ; des traces laissées par l’Homme pour l’Homme, parfois très claires, parfois très floues, violentes, commerciales et/ou drôles, mais toujours signifiantes – que ce soit grâce à des mots, des dessins ou des symboles – et potentiellement visibles par tous.

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Des pages A4 scotchées à la va-vite sur des abribus dimanche, volent au vent comme les feuilles de platanes, à côté du vendeur de churros de la Place Jean Jaurès, poumon tourangeau qui a lui aussi connu le cancer de la terreur le 29 octobre 2001.

Futilité

Ces affichettes appelant à la paix, bouteilles à la mer, gouttes d’eau dans l’océan de tristesse dans lequel un pays tout entier se retrouve plongé, geste microscopique futile dans une nouvelle société française dans laquelle la futilité devrait logiquement être élevée au rang d’art majeur dans les jours, les mois et les années à venir. Ou pas.

Gratuité

Coller des feuilles dans l’espace public, offrir sur papier une promesse d’amour, d’amitié, de tendresse sans rien attendre en retour : la gratuité d’actes simples devrait elle aussi devenir un moyen de survie essentiel, dans l’attente – une fois l’émotion passée – d’un équilibre précieux entre pathos trop débordant et indifférence plus has been que jamais, mais qu’inévitablement, beaucoup continueront malgré tout encore à cultiver.

Dignité

La dignité, enfin, est en passe de devenir le défi le plus imposant qu’il nous ait été donné à relever depuis 70 ans que le spectre de la Seconde Guerre Mondiale rôde à peu près autant qu’il s’éloigne. La dignité, quand on est blessé au plus profond, n’est jamais à l’abri. La dignité peut se perdre au détour d’une discussion, d’un post Facebook, d’un tweet : le mot de trop, l’amalgame facile, la dangereuse simplification, la tentative désespérée et désespérante d’expliquer à tout prix l’inexplicable… Tout est sujet aux dérapages incontrôlés.

Nos livres d’histoire du collège et du lycée semblent tellement ouverts depuis vendredi soir, qu’ils hantent nos nuits. Les images terrifiantes qu’on a aperçues ou qu’on s’est fabriquées dans nos imaginaires ont éveillé en moi le souvenir d’une image très précise : celle, insupportable, de cette petite fille polonaise qui caressait le visage de sa grand-mère morte, dans un paysage de campagne ensoleillé, au bord d’une route, dans un reportage en couleurs sur l’invasion allemande de 39, présenté il y a quelques années à la télévision française.

Toute proportion précautionneusement gardée bien sûr (5,5 millions de civils tués en Pologne)… C’est donc à ça que ça ressemblerait, la «guerre» ? On va donc finir par y avoir droit nous aussi, dans nos quartiers festifs où l’insouciance semblait appelée à régner jusqu’à la nuit des temps ? Sortir la peur au ventre, la peur de ramasser nos proches en lambeaux et de perdre quelqu’un qu’on aime, comme ça, au coin de la rue ?

Futilité, gratuité, dignité.

La devise républicaine déclinée à l’infini, l’envie irrépressible que ça s’arrête, l’impuissance et son sentiment destructeur qui font dire et écrire des bêtises à beaucoup depuis quatre jours, la schizophrénie douloureuse de vouloir d’un côté se terrer chez soi et de l’autre de faire la fête à outrance pour tenter d’oublier un peu ; de vouloir d’un côté parler d’amour et d’amitié et de l’autre de vouloir se venger contre cet ennemi invisible et potentiellement omniprésent, de laisser parler la haine, ce poison terrifiant qui vient durcir notre ventre par intermittence.

Résister, ça va déjà commencer pour chacun par résister à ses démons intérieurs.

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