Perché au-dessus de la Loire à Rochecorbon, disposant d’une vue merveilleuse sur le fleuve, Les Hautes Roches est un établissement mythique en Indre-et-Loire. Longtemps étoilé avec le chef Didier Edon, il a perdu son macaron Michelin en 2023. Un changement de direction et une valse de chefs plus tard, l’établissement aspire à redevenir une des tables les plus influentes du département d’Indre-et-Loire.
En 2024, le Guide Michelin a distingué L’Auberge du 12e Siècle de Saché comme nouveau restaurant 1 étoile du département d’Indre-et-Loire. En deux ans, il a également rajouté 2 étoiles vertes tourangelles dans sa sélection de tables remarquables : Les Jardiniers de Ligré et Les Roseaux Pensants de Cormery. En revanche, hormis L’Opidom de Fondettes, il boude toujours l’agglomération tourangelle.
Impulsé par la nouvelle direction de Jérémy Augereau, Les Hautes Roches espère bien stopper cette spirale. L’homme de 51 ans a un bijou entre les mains : une terrasse exposée Sud surplombant la Loire, une entrée majestueuse creusée dans le coteau, un aménagement intérieur récemment refait ou encore le label Relais et Châteaux (il dispose de quelques chambres troglodytes). Cependant, la cuisine n’est plus ce qu’elle était depuis le départ de Didier Edon et le retrait de l’étoile. Derrière, le passage d’Hervé Lussault – pourtant réputé – n’a pas suffi à conserver le côté prestige du lieu.

Jérémy Augereau hésite toujours à s’étendre sur le sujet : « Hervé est un très bon cuisinier mais j’avais besoin d’aller plus loin. » Et d’afficher ses ambitions : « J’ai envie d’une cuisine plus créative. Je ne suis pas venu ici pour faire du coloriage, mais pour chercher des récompenses. On vient par exemple de re-rentrer dans les recommandations du Michelin. On a aussi été voir le Gault et Millau. »
Si d’ordinaire les établissements visant les prix se font assez discrets publiquement, par superstition notamment, Les Hautes Roches choisit la stratégie inverse, assumant aussi un certain côté jet set et parisien avec des costumes Father & Sons pour le personnel et la fierté de voir une clientèle venant en masse de l’Île-de-France pendant le week-end (période où tout est complet tandis que c’est « très compliqué » en semaine, même les jours où le soleil met en valeur la splendide glycine).

« Ce qui est important pour nous c’est l’expérience client, on a 14% des gens qui viennent grâce au bouche-à-oreille » se félicite Jérémy Augereau qui veut appuyer le côté événementiel avec des brunchs le week-end (mais pas les mêmes dimanches que le Château d’Artigny à Montbazon), des soirées mensuelles avec des vignerons et un brasero extérieur dès le mois de mai : « Il y aura une vingtaine de couverts et tout sera fait dessus. » Une déclinaison pensée en priorité pour les clients de l’hôtel, mais qui sera également accessible pour le public extérieur.
Mettant en avant une expérience dans les coulisses de l’émission Top Chef, et citant sa proximité avec plusieurs chefs réputés, le directeur est par ailleurs persuadé d’avoir une pépite entre les mains depuis que le second d’Hervé Lussault Benjamin Chrétien a repris la direction de la cuisine (aux côtés de la cheffe pâtissière Pauline Macé). Même si l’homme de 27 ans semble encore timide et réservé, il l’a envoyé deux fois à la télé sur le plateau de C à vous sur France 5 (où l’on cuisine pour les invités de l’émission). Hormis Loire Valley Lodges à Esvres, peu d’établissements de Touraine ont assez développé leur réseau pour s’offrir ce type de publicité.
Originaire de Paris, ayant démarré en brasserie après son CAP, Benjamin Chrétien est passé par quelques grands établissements comme le Sheraton de Roissy avant une étape dans des restaurants gastronomiques primés du Sud de la France. « Quand j’étais petit, au collège, je regardais beaucoup les infos. Je n’avais ni de bonnes notes, ni de trop mauvaises. Je voulais juste un métier où il y a du travail. J’ai tapé sur Internet, j’ai fait un stage d’un après-midi dans un lycée hôtelier… et ça m’a plu » nous dit le garçon dont le petit plaisir régressif en rentrant du travail consiste à accorder le Babybel et la compote de fraise. De quoi lui donner des envies d’associations insolites ? Il passe en tout cas beaucoup de temps en recherche, avec une carte gastronomique qui change tous les deux mois.
Arrivé en Touraine par une offre du Château Belmont, c’est également par le prisme de la petite annonce que Benjamin Chrétien est entré aux Hautes Roches. « La brasserie au départ c’était une opportunité, puis j’ai eu envie d’évoluer vers la gastronomie » raconte celui qui continue tout de même de toucher à ses premières responsabilités avec la direction du bistrot de l’établissement où la cuisine reste « classique » (vitello tomato, escargots, paleron de bœuf ou burger dans une formule entrée-plat-dessert à 45€).

Sur place ça donne un excellent ceviche de maigre, des profiteroles réussies mais un plat de poisson sous-assaisonné. Le paris-brest revisité en paris-rochecorbon (déclinaison à la mode partout en France, représentant 70% des ventes de desserts) est lui séduisant même si un poil copieux.
« J’essaye de moderniser mais sans brusquer » résume le jeune chef à la tête d’une brigade de 12 personnes (soit environ le quart de l’effectif total des Hautes Roches). Seulement en place depuis janvier il avoue : « Je me cherche encore. » En particulier sur les ingrédients, pour réussir à terme à se passer de la tomate d’avril dans le burger, ou à amener les poissons de Loire à la carte. « Je veux vraiment aller vers le local, faire le pain maison, le beurre maison. L’idée c’est aussi que nos fruits et légumes soient en 100% local notamment via La Belle aux Pois Gourmands qui est notre fournisseur à Rochecorbon » déclare-t-il.

Dans son développement, le chef doit par ailleurs apprendre l’art de la communication autour de son travail. Sa direction le pousse vivement dans ce sens. Un indispensable dans le monde hyperconcurrentiel de la restauration d’aujourd’hui. Pourtant, malgré son jeune âge, Benjamin Chrétien est quasi absent d’Instagram. « Dans mes emplois précédents ça le nécessitait pas » souligne celui qui préfère travailler sur le goût que le visuel (huître pochée, asperges, sabayon de champagne et caviar ou faux filet wagyu et artichaut sur la nouvelle carte du restaurant gastronomique). Il a néanmoins consenti à acquérir de nouvelles assiettes plus visuelles « pour mettre plus de vie et de couleur » sur les tables. En attendant de les faire briller par une étoile ?