Un architecte, un lieu tourangeau / Episode 5

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Chaque mois, nous demandons à un architecte tourangeau de choisir un bâtiment ou monument tourangeau qu’il aime particulièrement, pour différentes raisons. Puis nous nous rendons sur place avec lui pour une petite visite guidée personnelle.

Ce mois-ci Tahar Cheref (Movista)

 nous parle du 37e Parallèle

DSC_7251  Réalisation de Jean-Pierre Fauvel (2014)

Inauguré en novembre dernier, le 37e Parallèle ou «La Fabrique», abrite une dizaine de compagnies d’arts de la rue, une spécialité locale notamment soutenue par l’agglomération de Tour(s)Plus.

37° : Pourquoi ce choix ?

Tahar Cheref, architecte : C’est une réalisation aérienne et légère qui s’intègre parfaitement dans le paysage végétal environnant, les volumes amples sont atténués par la «peau» ajourée en lames bois. Partiellement bâtie sur un mur de clôture ancien, cette réalisation propose des éléments intéressants que nous allons découvrir lors de cette visite. J’aime la simplicité des matériaux utilisés, la sobriété du mode constructif et la lisibilité claire de la volumétrie.

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37° : Qu’est-ce qui caractérise ce bâtiment ?

Tahar Cheref : L’ensemble s’organise autour de la nef centrale qui est l’élément essentiel du projet de par sa destination. Avec ses deux grands portails jaunes à chaque extrémité et sa coursive en hauteur, cette nef représente vraiment un morceau de rue, le long duquel les compagnies d’arts de la rue sont installées dans des ateliers qu’ils peuvent aménager librement.

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37° : Qu’est-ce que ça vous évoque ?

Tahar Cheref : Ce lieu m’évoque les Sea Ranches conçus au milieu des années 1960 sur la côte ouest des Etats-Unis, par l’architecte californien Charles MOORE. Des constructions en bois, aux formes assez simples, complétées de portiques comme celui-ci, qui s’étiraient vers la nature, proposaient des cadrages, des filtres visuels, des successions de plans qui bouleversent la perception des volumes et des perspectives, comme ici.

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37° : La structure crée d’autres effets d’optique, selon les points de vue…

Tahar Cheref : Lorsque nous sommes près de la façade, nous apercevons une peau métallique à travers la résille en bois, mais plus nous nous éloignons et moins nous distinguons nettement l’enveloppe. La trame irrégulière des lames bois et le prolongement des portiques vers le lointain donnent l’impression qu’entre le coup de crayon initial et la réalisation il n’y a finalement que très peu de différences. Alors que les lignes importantes qui séparent les différents usages (nef, ateliers, bureaux, salles de répétition…) sont nettement marquées. Je trouve cet équilibre et cette impression d’éphémère vraiment très réussis.

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37° : La cour intérieure avec son vieux mur d’enceinte qui a été conservé donne un effet un peu militaire…

Tahar Cheref : Oui, on dirait une sorte de fort, mais en même temps la construction neuve semble délicatement posée sur l’ancien, l’ouvrant vers l’extérieur. Cependant, les gradins imaginés au départ sur le bâtiment n’ont pas été réalisés. En balcon sur cette cour, ils auraient renforcés, à coup sûr, cette impression de forum et de lieu ouvert.

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37° : Cette peau, qu’est-ce qu’elle vous inspire ?

Tahar Cheref : C’est une sorte de ruban, ou «d’emballage» subtil. Sa complexité dématérialise l’ensemble et paraît presque l’effacer. L’enveloppe paraît légère et dynamique, même si en s’approchant on s’aperçoit que chaque élément en bois est plutôt massif. Il y a plusieurs thèmes de l’architecture moderne et contemporaine qui sont exprimés ici : la transparence, la profondeur née de la succession des plans et le dynamisme initié par le balcon qui se prolonge de part et d’autre du volume de la nef.

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37° : A l’intérieur, qu’est-ce qui est marquant ?

Tahar Cheref : La volonté de ne pas cacher les réseaux de fluides et du coup de faire en sorte qu’ils soient aussi régis par des considérations esthétiques. Ils ont faits l’objet d’un dessin précis et d’une réalisation soignée. Ce choix, aussi à visée économique, permet de se passer de plafonds suspendus. Le contraste entre le soyeux des lames bois et la rugosité des vieux murs en moellons qu’on retrouve aussi à l’extérieur offre, en permanence, une lecture de l’assemblage savant entre l’existant et le neuf. Les espaces, bien que finis, donnent cette impression d’état brut, propice à l’appropriation spontanée des lieux par les occupants.

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37° : Cette espèce de fenêtre rectangulaire qui avance sur l’extérieur, assez basse, est très surprenante… Quel regard de professionnel y portez-vous ?

Tahar Cheref : C’est une sorte de hublot, de caméra qui confère au lieu une impression de confort et de protection. Assis, on est à la bonne hauteur pour voir directement les environs C’est une invitation à contempler ce qui se passe dehors, tout en conférant à la pièce un sentiment de confidentialité, de concentration, une incitation à la position assise, à l’échange calme, au dialogue apaisé. Cette partie de bureaux contraste avec le dynamisme des autres espaces: l’une incite au travail calme, l’autre davantage à la création et la production tout azimute.

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37° : Nous voici maintenant sur la coursive intérieure, au-dessus de la nef…

Tahar Cheref : C’est une véritable évocation des caractéristiques d’une rue, nous avons l’impression d’être sur un grand balcon. En bas, les portes qui ouvrent sur les ateliers évoquent, quant à elles, des devantures d’échoppes. Les éléments en bois identiques utilisés pour fabriquer les rampes d’escaliers, les rambardes des coursives ou la résille de la façade, semblent tout droit sorti d’un jeu de construction de notre enfance. La présence de ce matériaux noble, à la fois chaleureuse et sobre, adoucie la lumière, les sons, et baigne l’ensemble dans une atmosphère saine et feutrée. Paradoxalement : je trouve que c’est très volumineux sans être monumental. Un anti-monument!

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37° : Quel est d’après vous l’effet recherché par ce côté très brut partout à l’intérieur ?

Tahar Cheref : C’est le pérenne qui s’efface derrière l’éphémère. L’aspect brut laisse la possibilité aux compagnies de s’accrocher sans scrupule aux panneaux, aux rambardes, de fixer des choses aux murs, sans avoir l’impression d’altérer le lieu, mais juste d’utiliser l’espace. Une réalisation à l’aspect totalement «fini» n’aurait pas laissé assez de place à la créativité des artistes qui travaillent ici ; au-delà de la peur d’abîmer, il n’y aurait pas cette impression de page blanche, d’espace à compléter.

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Propos recueillis en janvier 2015 par Laurent Geneix.

Crédits photos : Laurent Geneix pour 37°

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