[Forte Fièvre] Polémique de la rue Colbert : le principe de la punition collective

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Décidément l’amalgame assumé est la grande tendance 2015 : pour une poignée de personnes agressives, tout un tas de groupes d’êtres humains se retrouvent d’un coup stigmatisés. La Barque, lieu associatif de Tours ayant la mauvaise idée de ne pas laisser s’enfoncer des gens pour qui la vie n’est pas un cadeau, n’échappe pas à ce phénomène.

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> Voir l’article de la Nouvelle République du 19 mai 2015

La Barque, ouverte de 9h à 18h, serait donc à l’origine de tous les maux de la rue Colbert (même de ceux qui se passent à 22h soit 4h après sa fermeture…) selon le président de l’association des commerçants cité par nos confrères de la Nouvelle République qui oublie que d’autres quartiers commerçants et touristiques de Tours sont régulièrement le théâtre d’agressions en tout genre par des personnes alcoolisées, pas toujours SDF loin s’en faut, d’ailleurs, mais c’est un autre débat. D’autres quartiers dans lesquels La Barque n’est pas, donc. Cherchez l’erreur.

Cachez cette misère que je ne saurais voir

Ce que l’on nomme du délicieux anglicisme «gentrification» (lire sur ce concept le très bon article Wikipedia) ne date pas d’hier. Cela consiste à nettoyer les quartiers d’une ville de ce qu’on ne veut plus y voir, c’est-à-dire les pauvres et, pire, les pauvres qui ne savent pas toujours bien se tenir. Le centre de Tours n’échappe pas à la règle, d’abord sur le plan immobilier en raison d’un prix au mètre carré qui répond au principe du marché et qui est donc élevé, à l’achat comme en location. Ce phénomène est mondial et seules des réglementations types Loi SRU peuvent limiter cette discrimination socio-géographique en imposant un certain pourcentage de logements sociaux dans toutes les communes. Loi pas toujours respectée (elle l’est à Tours), mais on avance.

Côté rue, donc espace public, le problème est différent : on ne peut pas exclure le «cas social», ni le «marginal» des lieux publics car il se trouve, qu’on le veuille ou non, que cette catégorie de la population (dont les contours paraissent très compliqués à définir) est constituée d’êtres humains. Or la voie publique est seulement interdite à certains animaux sauvages nuisibles.

Odieux mélange des genres

Qu’aucun commerçant ni résidant d’un quartier n’ait envie de se faire agresser régulièrement, ni subir des nuisances répétées type hurlements, insultes gratuites et vomi sur le trottoir, personne ne peut le discuter car il s’agit d’un droit fondamental non négociable.

En revanche, qu’on ne supporte pas la vue d’un SDF, d’un punk à chien et qu’on se sente incommodé par la présence d’une personne assise par terre contre un mur pendant des heures parce qu’elle n’a nulle part ou aller ou tout simplement parce qu’elle en a envie, c’est une toute autre histoire. Qu’on ne soit pas en sécurité est inacceptable, mais qu’on ne se «sente pas en sécurité» relève d’un domaine totalement subjectif, propre à chaque individu, à son parcours, à son histoire et à sa sensibilité. On a bien trop souvent tendance à mélanger les deux, ouvrant la porte à une société paranoïaque et ultra-sécuritaire.

La Barque a un règlement, est gérée par des adultes responsables et professionnels, collabore très bien avec la police municipale depuis des années, exclut régulièrement des clients qui leur manquent de respect ou ont un comportement agressif, n’acceptent pas les gens trop fortement alcoolisés et n’acceptent évidemment aucun trafic de quoi que ce soit dans ses murs. D’ailleurs, des personnes comme l’adjoint à la sécurité Olivier Lebreton connaissent très bien ce lieu et son fonctionnement, voire assistent à des réunions de travail.

Promesse électorale quand tu nous tiens

Pendant la campagne des municipales 2014 Serge Babary avait promis à certains commerçants de la rue Colbert que La Barque déménagerait s’il était élu. Schéma classique : ses électeurs sont mécontents car un an après son élection La Barque est toujours là. Certes, depuis quelques mois, elle subit des descentes de la BAC (Brigade anti-criminalité) et de la Police Nationale. Mais La Barque est toujours là, car elle n’a rien à se reprocher.

Si on doit demain éjecter la Barque dans un quartier où sa population bigarrée ne gênera plus personne (entendez «plus de commerçants», car elle gênera toujours des habitants) sous prétexte qu’il y a quelques débordements qui lui sont indirectement imputables, alors soyons honnêtes : fermons tous les bars du Vieux Tours, supprimons les bords de Loire, fermons la gare de Tours, annulons tous les concerts gratuits en plein air. Au passage, demandons à tous les psy du centre ville de déménager très loin, certains de leurs patients pouvant potentiellement troubler la sacro-sainte «tranquillité publique».

Oui, faisons simple : supprimons tous les lieux de vie qui attirent autre chose que des gens bien peignés et bien habillés, qui ne parlent pas trop fort, n’ont que des conversations intelligentes, ne boivent pas trop d’alcool, savent aller se coucher à une heure raisonnable, n’ont pas de problèmes psychologiques, d’argent, de logement, de famille.

Ecartons la misère de nos beaux quartiers touristiques et commerciaux, cultivons l’entre-soi et asseyons-nous sur les idéaux de nos prestigieux ancêtres (ceux que nous n’oublions pas quand il faut vendre notre ville aux touristes) à commencer par Rabelais et son attachement notoire à la dignité et à la perfectibilité de chaque individu.

L’humanisme n’est ni de droite ni de gauche

Les notions de droite et de gauche n’entrent pas dans ces considérations et ce débat, d’autant moins dans une ville comme Tours très marquée par un christianisme bon teint, porté sur les œuvres caritatives et actif depuis toujours dans l’assistance aux démunis. Cessons donc de crier à l’angélisme dès lors que l’on défend le droit de tous de vivre dans la Cité. On peut vouloir aider son prochain sans pour autant accepter naïvement de se faire piétiner : il suffit d’avoir mis les pieds au moins une fois à La Barque (c’est facile : c’est ouvert à tout le monde, chaleureux et pas cher) pour savoir que les personnes qui gèrent ce lieu ne sont pas du tout dans ce schéma, à des kilomètres du cliché des gentils humanitaires gauchistes irresponsables.

Vouloir écarter d’un quartier central et vivant une précieuse structure comme La Barque, qui a été ou est encore pour beaucoup de ses adeptes, un dernier rempart contre une exclusion définitive, renvoie à de tristes époques de notre Histoire où la misère était cantonnée aux faubourgs et de fait, condamnée à rester entre elle et à se reproduire indéfiniment.

On ne peut pas d’un côté pleurer des larmes de crocodile en regrettant la chute libre de l’ascenseur social tout en se gargarisant de «vivre ensemble» et dire à une structure comme La Barque et à ses usagers : «C’est très bien ce que vous faites, je surkiffe, mais allez donc le faire dans un recoin de la ville où on ne vous verra plus, ce sera mieux pour le commerce, le tourisme et les habitants.»

Heureusement, certains commerçants et habitants du quartier Colbert (et d’ailleurs, sans parler des touristes atterris là par hasard et souvent admiratifs de l’initiative lorsqu’on leur explique le principe du lieu) ont leurs habitudes à La Barque ou tout au moins s’accommodent très bien de cette présence, sans la rendre responsable des problèmes évoqués plus haut. Des gens qui ne s’offusquent pas de prendre leur café à côté d’un accidenté de la vie peut-être un peu collant et très tatoué, pas forcément de bonne humeur, plus ou moins lavé. Des gens qui n’oublient pas que demain ça peut être leur tour, ou celui de leur ami d’enfance, de leur enfant, de leur frère ou de leur ex-collègue de bureau. Dans notre époque complexe, un accident de ce type est très vite arrivé.

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