Peut-on vraiment décarboner les autoroutes en Indre-et-Loire ?

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Mardi 14 décembre, Tours Métropole et le groupe Vinci ont signé une convention Autoroute Bas Carbone, une première entre le concessionnaire et une agglomération (même si un contrat similaire a été conclu avec la région PACA). L’objectif d’un tel document est de mettre en place des actions pour que le trafic autoroutier ait moins d’impact sur l’environnement. Comment vont-ils s’y prendre ? Et surtout, est-ce vraiment possible ? Analyse.

Ce n’était pas une simple conférence de presse mais un grand show politico-économique. Du genre de ceux où il faut un appareil photo grand angle pour prendre le cliché réunissant tous les protagonistes du dossier (une assemblée très, très masculine). En cette fin d’année 2021 le siège de Tours Métropole a donc servi de cadre à la signature d’une convention Autoroute Bas Carbone entre l’agglomération et le groupe Vinci Autoroutes, de quoi confirmer que les deux acteurs – l’un public, l’autre privé – veulent travailler ensemble pour des projets d’avenir autour de l’A10, l’A28 et l’A85.

Les applaudissements ont fusé après chaque discours aux mots ambitieux. Ainsi, le président de Tours Métropole Frédéric Augis (Les Républicains) évoque « une véritable avancée pour notre territoire qui répond à l’urgence climatique et repense les usages de l’autoroute en général. » « C’est un nouveau point de départ pour repenser le modèle et l’intégrer dans le schéma métropolitain » poursuit l’élu.

Un nouvel échangeur en vue à Rochepinard

Derrière le langage politicien il faut comprendre que l’agglo compte sur l’entreprise privée pour financer des chantiers sans trop de reste à charge pour elle, tandis qu’en parallèle la société se tournera vers l’Etat pour renégocier son contrat de gestion autoroutier (par exemple pour l’allonger et bénéficier plus longtemps de l’argent des péages, ce qu’elle a déjà obtenu en échange de la conduite des travaux d’élargissement à 2×3 voies entre Chambray et Poitiers).

Les chantiers en question sont souvent évoqués depuis plusieurs années et vus comme nécessaires par beaucoup de personnalités. Lors des discours, il a notamment été répété que les élus métropolitains avaient voté à l’unanimité sur ce dossier.

Alors de quoi parle-t-on ? Déjà de la création d’un nouvel échangeur au niveau des Atlantes et d’Ikea dans le quartier de Rochepinard. Les études – financées par Tours Métropole – sont en cours depuis quelques mois, les premiers schémas d’aménagement sont prêts et on devrait en savoir plus d’ici le printemps 2022 pour une éventuelle réalisation « avant la fin du mandat » glisse le vice-président chargé des infrastructures Laurent Raymond, soit à l’horizon 2026 (comme l’inauguration de la 2e ligne de tram). Malgré la densité urbaine de la zone, l’idée serait de construire une entrée et une sortie dans chaque sens pour désaturer l’échangeur de Tours-Centre, la circulation en centre-ville et, du même coup, améliorer l’accessibilité à la gare de Saint-Pierre-des-Corps.

Faire oublier le projet d’A10 bis qui a été enterré

Soutenu par le maire corpopétrussien Emmanuel François qui y voit une opportunité de casser la frontière que l’A10 forme entre Tours et sa commune, le chantier pourrait même entraîner une vaste réorganisation de la zone avec une réfection de la D140 reliant Tours à Montlouis, déjà évoquée lors du mandat 2014-2020 mais enterrée depuis. Il faudra néanmoins surmonter les écueils techniques (devra-t-on démolir des bâtiments ? Comment composer avec la proximité du Cher et des voies SNCF ?), les éventuelles oppositions de riverains ou d’associations et les conséquences organisationnelles de travaux très perturbants pour la circulation, et se cumulant potentiellement avec ceux du tram B.

Néanmoins, s’il voit le jour, cet échangeur sera le symbole d’une toute nouvelle stratégie autoroutière dans l’agglo tourangelle. En l’occurrence intégrer encore plus l’A10 dans la vie locale, ne pas en faire un axe de transit également utilisé par la population locale mais plutôt un corridor urbain qui sert aussi aux trajets longue distance. Et ainsi faire oublier le projet d’A10 bis qui prévoyait un temps une autoroute à l’écart de l’agglo mais qui a fini par être enterré. Parmi les enjeux d’une telle réflexion, il y a la diminution de la pollution. Et pour ça, la lente conversion du parc automobile à l’hybride, l’électrique ou l’hydrogène ne suffit pas. Il faut aller plus loin… Et réduire le trafic.

Un projet de ligne de bus sur l’autoroute

Pour y parvenir, Tours compte s’inspirer de ce qui se fait déjà ailleurs : des parkings relais desservis par les transports en commun à chaque sortie (Tours-Nord, Tours-Centre, Rochepinard, Chambray, Monts-Sorigny mais aussi Esvres et Veigné sur l’A85). Le premier pourrait être aménagé à la Porte des Arts de Chambray, avec un parking à étages pour augmenter la capacité du parc de stationnement de la Sagerie, inadapté pour des ambitions massives.

En complément, une voie de l’A10 pourrait être réservée aux cars, bus et covoiturages, avec par exemple une ligne desservant les différents échangeurs, voire s’arrêtant entre deux avec des gares spéciales comme celle qui existe dans l’Essonne (et qui fonctionne très bien). La préfète d’Indre-et-Loire soutient le projet. « Ce serait une formidable opportunité pour notre territoire » commente Frédéric Augis qui reprend à son compte un précepte longtemps défendu par les écologistes : la lutte contre l’autosolisme, soit les gens qui voyagent solo en voiture.

Miser sur la proximité de l’aéroport avec l’A10

Le défi consistera à rendre un tel dispositif attractif (c’est-à-dire adapté aux besoins des usagers en termes d’amplitude horaire de temps de trajets compétitifs). A quelle échéance mener tout cela ? De manière raisonnable on peut parler de 3 à 5 ans. Et au total d’une décennie pour l’ensemble du package comprenant en prime une hausse du nombre de bornes de recharge pour véhicules électriques, des murs antibruit de dernière génération, des panneaux solaires, davantage de talus enherbés ou de zones paysagères en bord d’autoroute.

Tours Métropole compte également sur la zone de 700ha qu’elle récupère à l’aéroport pour la lier à l’A0, par exemple avec l’installation de la gare routière pour les cars longue distance ou les cars Rémi venant du nord du département. L’idée étant que les passagers rejoignent ensuite Tours avec les transports urbains Fil Bleu. Mais pour que ça marche, il faudra prolonger le tram A (ce qui est pour l’instant repoussé, non daté, et non financé).

Quels effets à long terme ?

D’une manière générale, il faudra financer tous ces chantiers. Vinci Autoroutes s’engage donc à hauteur de 100 millions d’€, son président Pierre Coppey se réjouissant que dans ce dossier les idées viennent du territoire concerné plutôt que de l’Etat directement. Est-ce que ça suffira ? Pas sûr. A Tours Métropole où les capacités d’investissements sont très réduites, on espère bien ne pas avoir à trop rajouter de fonds… voire pas du tout. C’est notamment pour ça que le projet à 45 millions d’€ pour couvrir l’autoroute et créer une liaison douce a été abandonné entre Chambray et Grammont (le maire de la ville Christian Gatard était d’ailleurs absent ce mardi, ce qui n’a échappé à personne). Une passerelle devrait être aménagée en guise de lot de compensation. Un équipement public pour lequel il faudra sans doute mettre la main au portefeuille, au moins pour des aménagements annexes. Pareil pour la potentielle ligne de bus.

Et à l’usage, quelle sera l’impact réel de tout ce plan sur l’environnement ? Pour que ça marche, pas de mystère : il faudra une réduction du trafic. C’est-à-dire qu’on ne soit plus à une moyenne de 80 000 véhicules par jour sur l’A10 comme aujourd’hui. A combien peut-on descendre ? On n’a entendu personne nous donner de chiffre. Ni personne évoquer des options pour réduire la densité de poids lourds, véhicules bruyants et polluants. Et quoi qu’il en soit, tous les chantiers envisagés laissent augurer une poursuite de l’artificialisation des sols dans un milieu déjà très bétonné. D’autant plus que la majorité métropolitaine voudrait, en parallèle, achever le bouclage du périphérique (ce qui fait polémique). Il faudra donc regarder avec attention le détail des plans et des dossiers, et observer l’effet des projets sur le long terme. On rappelle l’objectif de l’Etat : -28% d’émissions de carbone pour le secteur des transports à l’horizon 2040. La marche est haute pour une agglo qui a l’un des principaux nœuds autoroutiers du pays.

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