Laurent Reversé : Charles Barrier, la chance de sa vie ?

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A 47 ans, Laurent Reversé vient de prendre les commandes des cuisines du restaurant Charles Barrier de Tours et du Bistrot de la Tranchée situé juste à côté. Après Charles Barrier et Hervé Lussault, c’est seulement le 3ème chef à diriger l’un des établissements les plus cotés de la ville, le seul qui a, un jour, revendiqué 3 étoiles au guide Michelin. Portrait, juste après le service.

« Je préfère avoir les mains dans la farine que dans le cambouis ! » raconte Laurent Reversé : « gamin, j’avais le bec dans les casseroles… Je faisais des confitures ou des pâtés de lapin avec ma mère et des conserves avec ma grand-mère. C’était donc logique de me diriger vers la cuisine, et la mécanique ne me tentait pas du tout. » Sûr de lui, le jeune chartrain embraye donc sur l’apprentissage après le collège. Mais à 18 ans, un mois avant de passer son CAP, la mécanique le trahit : accident de moto, suivi d’un jour et demi de coma… « Quand je me suis réveillé, la première chose que j’ai demandé c’est comment j’allais pouvoir passer mon CAP. Là, le chirurgien m’a dit que ce ne serait pas possible… »

Ce qui aurait pu stopper son rêve tout net n’a pas abattu Laurent Reversé, déterminé à se présenter à l’examen… et à être diplômé : « mes parents ont signé une décharge pour que je sorte de l’hôpital et il a fallu demander l’autorisation de l’académie. Elle a dit ‘ok’, si j’étais accompagné d’une infirmière. » L’étudiant éclopé se rend donc au concours en fauteuil roulant : « je suis tombé sur le millefeuille où il faut être debout pour étaler la pâte. J’ai bloqué les roues, je me suis calé contre le fauteuil et j’y ai été. On m’avait accordé une heure de retard, j’ai terminé avec 20 minutes. Quand j’ai vu que des types valides abandonnaient à cause du stress, moi avec ce handicap ça m’a encore plus donné la rage. J’y allais pour l’avoir… et je l’ai obtenu. »

Un parcours diversifié mais estampillé de contrariétés

Après ce coup de force, Laurent Reversé prend le temps de se remettre sur pieds avant d’entamer sa vie professionnelle, son « Tour de France » comme il l’appelle. Il faut dire que le cuisinier a beaucoup bougé, et pas toujours par choix. Passé par des tables parisiennes prestigieuses comme le Ritz, le Niko ou le Saint-James, il a également subi plusieurs coups durs. A 21 ans, bombardé chef d’un restaurant privé fréquenté par des maires d’arrondissement de la capitale ou des ministres qui briguaient l’Hôtel de Ville, il fait « vite le tour » et redevient chef de partie dans un autre établissement : « je voulais garder les pieds sur terre » justifie-t-il.

Passé par Perpignan ou le restaurant du haut de la Tour Montparnasse (« un beau spot mais où c’est difficile de travailler »), il peine à trouver sa place et le cadre où exprimer toute sa personnalité. Arrivé dans les jardins du château de Fontainebleau, il fait tout de même passer la note de l’établissement de 11 à 12,5 très rapidement avant de subir une série de déconvenues dans des restaurants qui visaient à priori l’étoile à Dourdan (91) puis en Normandie.

Son dernier poste, c’était au Château d’Esclimont, une table de luxe entre Chartres et Rambouillet, près du village d’Ablis : « ça a été vendu à un milliardaire chinois qui est venu un matin et m’a dit de partir. Après ça, une accumulation de déceptions et de promesses non tenues, j’ai failli arrêter la cuisine. » C’est là que Charles Barrier l’a sauvé :

« On me l’avait proposé une première fois mais je n’étais pas plus emballé que ça. Puis le temps a fait son œuvre : j’ai eu le souvenir d’un livre de Barrier, où il parlait de lui. Ça a fait ‘tilt’. J’ai fait des recherches, et c’est l’étincelle qui a rallumé le feu. Il était toujours là, juste un peu endormi. »

« A Tours, je repars d’une page blanche »

Barrier, pour Laurent Reversé, « c’est malheureusement un chef qui ne parle plus à grand monde ». Alors il arrive en Touraine décidé « à redonner le lustre à sa maison, monter le plus haut possible. » Formé par son prédécesseur Hervé Lussault pendant un mois avant son départ, il est seul maître à bord depuis le printemps et bûche dur, de sorte qu’il n’a pas encore eu beaucoup de temps pour flâner en ville : « je ne sais même pas où est la gare, même si tout le monde me dit qu’il suffit de suivre les rails du tramway pour y arriver. » Logé dans un studio jouxtant le restaurant de la Tranchée au début, il vit aujourd’hui au calme à la campagne, et profite de son temps libre pour pêcher avec sa fille.

Canette cuite à basse température, mousseline de carottes, mini-légumes tourangeaux.
Canette cuite à basse température, mousseline de carottes, mini-légumes tourangeaux.

« Dans le restaurant, 95% du personnel a changé, je repars d’une page blanche » commente Laurent Reversé. « Je ne le prends pas comme quelque chose d’écrasant mais de valorisant. La maison se doit d’avoir un restaurant haut de gamme » dit-il encore avant d’évoquer sa carte : « j’ai tout repensé sauf un plat hommage à Charles Barrier – le pied de cochon farci –, et un à Hervé Lussault – les langoustines thaï. » Pour le reste, « je m’inspire du terroir notamment avec ce qui est devenu un plat Signature : du chèvre d’ici, des pommes granny smith et du chocolat. Ce n’est pas un dessert, je le sers en fromage avec du cacao 0% de sucre et un chocolat blanc dont la sucrosité est balancée par du poivre rare. Et les notes acidulées coupent l’effet de sucre. »

Dessert aux champignons ou espadon à la banane

« En faisant soi-même on découvre, on essaie » assure le chef tourangeau dont les recettes sont souvent inspirées par des proches, « c’est mon fil conducteur. » Et l’homme n’hésite pas à se lâcher, quitte à déstabiliser les habitués de la maison :

« J’aime bien surprendre là où on ne m’attend pas comme en travaillant le ceps en dessert. Au printemps, j’ai également proposé un dessert avec fraises et petits pois, un sorbet tomate et proposé un espadon à la banane ou un gâteau à base de courgettes au Bistrot (également servi en mignardises au restaurant gastronomique, ndlr). »

Plus poisson que viande, par ailleurs très à l’aise en pâtisserie (« j’ai été formé auprès de Meilleurs Ouvirers de France et ça me détend »), Laurent Reversé espère au maximum pouvoir s’appuyer sur sa brigade pour réussir une cuisine harmonieuse (le second Benoit Margueritat, le second du bistrot Nicolas Lebretonou encore Bastien Deporteur au poisson).

Laurent Reversé et une partie de sa brigade le 20 septembre.

« Le menu du midi, ce sont les 7 jeunes apprentis qui le proposent. Ils mettent en œuvre ce que je leur ai appris avant, c’est une manière de les intégrer. » Une philosophie venue avec le temps, le chef reconnaissant avoir été dur dans ses débuts, « en apprentissage j’ai vu des casseroles voler et j’ai reproduit la même chose. » Aujourd’hui, « je ne suis pas bouillant mais toujours sur le qui-vive. Même si vous avez un petit moment de moins bien, il ne faut pas le montrer et croire en vous. Je pense que je suis autoritaire, mais juste. »

L’étoile en ligne de mire

Le nouveau chef du restaurant Charles Barrier le reconnait : il vise la distinction suprême du guide Michelin mais se trouve toujours en rodage, « je voudrais encore davantage m’imprimer du terroir » dit-il par exemple, c’est-à-dire proposer encore plus de produits locaux, qu’il espère in fine sourcer en direct ce qui est déjà le cas pour certains comme les mini légumes du maraîcher tourangeau Eric Roy, « je fais aussi de plus en plus attention au bio et aux allergènes voire à proposer des recettes vegan ou sans lactose.

Même s’il attend avec impatience quelques travaux de rénovation sur l’établissement, Laurent Reversé fait une promesse : « l’âme de la maison ne va pas changer. » D’ailleurs, c’est toujours avec une certaine émotion qu’il fait son pain dans le four originel de Charles Barrier : « il fait partie du patrimoine » conclut-il.


A LIRE AUSSI : Un aperçu de la carte du restaurant sur Info Tours

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