Chercheuse au sein de l’INRAE de Nouzilly, au Nord de l’Indre-et-Loire, Léa Lansade a récemment été récompensée du prix Pégase pour son livre Dans la tête d’un cheval, un ouvrage qui détaille les connaissances actuelles de la science concernant les émotions de nos amis équidés. Titulaire d’un doctorat en éthologie – la science de l’étude du comportement des animaux – c’est pour elle l’aboutissement d’une vingtaine d’années de travail. Elle a reçu 37 degrés pour une interview.
Globalement est-ce qu’on peut dire qu’on sait beaucoup de choses sur les émotions des chevaux ?
Il y a 10 ans je vous aurais dit non mais depuis il y a eu beaucoup de recherches sur ce sujet dans le monde entier donc on en sait davantage plus.
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous pencher sur ce sujet pour vos recherches ?
Ce qui me passionne c’est d’essayer de me mettre dans la tête d’un cheval, comment il perçoit son environnement, comment il nous perçoit nous humains. Le cheval est un animal qui est assez fascinant puisqu’on a réussi à démontrer qu’il arrive à détecter la plupart de nos émotions. Par exemple quand il voit le visage triste, qu’il entend une voix triste, son rythme cardiaque va s’abaisser. Il est capable de distinguer cette émotion de la joie. C’est vraiment un animal qui est très curieux à notre égard.
Et il réagit donc différemment selon nos émotions ?
Exactement. A l’INRAE de Nouzilly nous avons une salle de cinéma pour chevaux où nous leur présentons des films avec des acteurs qui jouent différentes émotions. Spontanément ça va induire chez eux des émotions en retour. Nous avons aussi des dispositifs de tests avec des tablettes tactiles pour chevaux. Ils sont capables d’aller toucher certaines images avec le bout du nez et on a vu qu’ils nous reconnaissaient très bien à partir de photos, même grimés avec des perruques ou des lunettes.
L’idée c’est que derrière nous on soit aussi capables de détecter leurs émotions ?
C’est un autre sujet sur lequel on travaille et il s’avère que nous ne sommes pas très forts pour détecter leurs émotions. Ils manifestent ce qu’ils ressentent de la même manière que nous, par des émotions faciales différentes mais autant eux sont doués pour reconnaître les nôtres, autant nous, il nous faut des tas d’études scientifiques pour y parvenir.
Et en quoi ça nous est utile de comprendre leurs émotions ?
Déjà ce sont des connaissances fondamentales de s’apercevoir qu’il n’y a pas que nous qui avons des émotions. Et puis pour toutes les personnes qui travaillent avec les chevaux au quotidien, avoir toutes ces connaissances, ça permet de modifier complètement la manière dont on s’occupe d’eux, celle dont on les monte, la manière dont on veut les utiliser de différentes.
Alors, en écho au titre de votre livre, qu’est-ce qui se passe dans la tête d’un cheval ?
Je crois que qui est le plus important pour lui c’est le social. On le voit : dès que les chevaux sont relâchés dans leur environnement naturel, ils retrouvent tous le même mode de vie et se remettent en groupes familiaux, avec de grandes réunions. C’est en raison de cette haute capacité sociale que le cheval a développé des capacités cognitives très élaborées pour comprendre les autres, leurs émotions, leurs intentions. Il a peut-être même des capacités supérieures aux nôtres sur ce point.
Qu’est-ce que vous avez appris dans le cadre de l’écriture de votre livre ?
Cela a permis par exemple de voir là où le cheval n’est pas doué. Retrouver des objets cachés, par exemple, ce n’est pas du tout son domaine. Même sur des capacités comme la mémoire de travail. La mémoire de travail c’est : si je vous donne mon numéro de téléphone, vous allez vous en rappeler un petit moment. Le cheval, si on cache de la nourriture devant lui et qu’on lui demande de la retrouver c’est compliqué par rapport à un chat. En revanche il a une forte mémoire à long terme. On a fait une étude : les chevaux peuvent reconnaître les photos d’identité de personnes croisées 6 mois avant. Ils sont très physionomistes.
A quoi cela peut servir pour les cavaliers, les fermiers, les éleveurs ?
Cela modifie nos relations. Moi-même j’avais souvent un visage un peu neutre quand j’allais voir les chevaux. Maintenant que je sais qu’ils sont connectés aux expressions faciales sur nos visages j’arrive beaucoup plus avec le sourire car je sais que ça peut les détendre. Si ils font quelque chose que je ne souhaite pas je peux leur montrer un visage en colère, on sait que tout de suite ça augmente leur rythme cardiaque et ne leur plait pas. On peut jouer sur ça pour établir une relation plus fine avec lui. Typiquement, à un moment, mes chevaux étaient en box. On a démontré que ce n’était pas idéal donc, si on peut, c’est mieux de les remettre en troupeau. Si on sait qu’ils ne sont pas très forts sur une capacité, on va les aider. Par contre on peut les solliciter davantage là où ils sont plus forts.
Sur quoi on a encore besoin de chercher à propos des chevaux ?
On a énormément de projets encore. Par exemple, on travaille en ce moment sur la façon dont ils sont capables de détecter nos émotions. Non pas par la voix ou le visage mais via nos odeurs. Car nous humains, quand on ressent des émotions comme la tristesse, le dégoût, la peur ou la joie, on va émettre des molécules spécifiques, en particulier avec des petites glandes situées sous nos bras. Donc depuis deux ans on essaye de voir à quel point nos odeurs sont détectées par les chevaux et comment cela peut modifier leurs comportements. Les chevaux ont un très bon odorat et on a des résultats prometteurs.
C’est-à-dire ?
Nous avons montré que les chevaux sont capables de distinguer les odeurs que l’on produit lorsqu’on est joyeux de celles que l’on produit lorsqu’on a peur. Déjà ils s’aperçoivent que ce n’est pas la même odeur. Et nous avons montré que en sentant les odeurs de peur, appliquées contre leur nez via des compresses, ça les rendait plus anxieux. Ils vont moins s’approcher des personnes qui les entourent, sursauter davantage… Cela a vraiment une influence directe sur leur comportement.
Un degré en plus :
Léa Lansade et l’INRAE de Nouzilly recherche des volontaires pour participer aux recherches sur la détection de nos odeurs corporelles par les chevaux. Pour y participer, écrivez un mail à emodour@inrae.fr.