Un architecte, un lieu tourangeau / Episode 1

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Tout le mois d’août, nous vous proposons un Best-of des articles publiés depuis septembre dernier. Aujourd’hui retrouvez le premier épisode de notre série « Un architecte, un lieu tourangeau » publié en septembre dernier.

Chaque mois, nous demandons à un architecte tourangeau de choisir un bâtiment ou monument tourangeau qu’il aime particulièrement, pour différentes raisons. Puis nous nous rendons sur place avec lui pour une visite guidée très personnelle.

 Ce mois-ci Bertrand PENNERON nous parle du VINCI.

Pour ce premier épisode, nous avons collaboré avec notre partenaire TGA Productions afin d’illustrer cet entretien avec des archives vidéo des travaux et de l’inauguration du Vinci.

37° : A quel moment de votre parcours d’architecte le Vinci de Jean Nouvel est-il arrivé ?

Bertrand Penneron : J’étais à Tours depuis peu de temps, j’avais environ 25 ans au moment du lancement du projet en 1989. J’ai trouvé difficile de m’implanter à Tours, mais il faut dire que j’ai monté très vite mon agence, je n’ai travaillé qu’un an en agence après mon diplôme. En plus, je travaillais environ six mois de l’année à Tours à l’époque, le reste du temps j’étais à la Réunion et en Thaïlande. Et je continuais mes études : je me suis spécialisé dans les villes orientales, j’ai notamment travaillé sur Istanbul et les temples Khmers.

37° : Comment vous perceviez ce qui n’était alors qu’un projet ?

Bertrand Penneron : Je sentais que le Vinci allait être un tournant, que c’était le moment où Tours allait changer. Elle allait passer à un statut de métropole, elle qui avait une architecture très traditionnelle, avec quasiment aucune réalisation du XXe siècle, quelque chose de très figé. J’arrivais de Paris où je sentais que les choses allaient être compliquées pour moi, je pensais qu’à Tours il y avait beaucoup de possibilités et le lancement du projet Vinci me confortait dans cette idée.

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37° : Le choix de Jean Nouvel y était pour quelque chose ?

Bertrand Penneron : Il commençait à être très connu à l’époque. De mon point de vue, c’est lui qui a été la première «star» de l’architecture, reconnu internationalement, celui que beaucoup de monde «voulait». Or 25 ans plus tard, cette starisation de certains architectes semble déjà disparaître. En tout cas, j’étais un grand admirateur de Nouvel et je le suis encore aujourd’hui. Je peux presque dire que je suis un «enfant» de Jean Nouvel dans la mesure où, comme lui, je suis pour une architecture contextuelle, basée sur les aspects sociétaux et territoriaux qui doivent impulser le projet et non l’inverse.

37° : Parlez-nous de l’emplacement du Vinci.

Bertrand Penneron : On a d’un côté la vieille ville et de l’autre une majestueuse porte vers le monde extérieur qu’est la gare de Victor Laloux, plus récente puisqu’elle date du XIXe. Ce projet est un extraordinaire trait d’union entre les deux. Une sorte de réponse. 25 ans plus tard, on peut dire qu’on a vraiment deux bâtiments emblématiques de chacun de ces siècles, l’un en face de l’autre. Même si certains jeunes Tourangeaux sont nés alors que le Vinci était là, je suis sûr que pour eux et pour beaucoup d’autres plus âgés, le Vinci garde cette impression de modernité.

NDLR : A l’époque certains s’étaient opposés à cet emplacement…

37° : Le quartier de la gare, dans une ville de la taille de Tours, est un lieu «en mouvement». Comment le Vinci intègre-t-il cette notion ?

Bertrand Penneron : La place devant, réalisée avec le paysagiste Yves Brunier, fait partie intégrante du projet et à mon avis elle joue un rôle très important, avec d’un côté ses arbres qui masquent légèrement le Vinci quand on arrive, mais tout de suite derrière la fontaine qui «flèche» le mouvement vers le Vinci, puis indirectement, vers le reste de la ville. Je ne suis pas fan de l’objet en tant que tel, mais d’un point de vue «signalétique», cette fontaine est un élément essentiel du projet.

37° : Cet espace est assez particulier, sans assises, sans herbe, sans jeux pour les enfants, sans terrasses de café non plus, les gens ne s’y attardent pas vraiment… A quoi sert-il ?

Bertrand Penneron : Je trouve que c’est un lieu magique, un lieu où on se sent bien, même si on ne fait bien souvent qu’y passer, c’est vrai. On s’y retrouve, on y laisse son vélo… Je regrette juste que la gare routière s’y trouve car elle masque une partie des façades autour et que le passage des cars gâche un peu l’ensemble. C’est à la fois un lieu de brassage social et générationnel, où des milliers de personnes se croisent chaque jour, mais en même temps un endroit très apaisé où on peut s’arrêter discuter tranquillement.

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37° : Nous avançons vers le bâtiment, pouvez-vous le décrire sommairement ?

Bertrand Penneron : Le gris du revêtement du square annonce déjà le style Nouvel et la première image du bâtiment c’est le noir et la lumière, sa signature, ce côté «homme au chapeau noir» qu’il a toujours entretenu. La seule touche de couleurs que l’on trouve, ce sont les néons sur les deux piliers de chaque côté. La «casquette» est emblématique bien sûr et c’est une invitation à se mettre à l’abri et à entrer dans le bâtiment.

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37° : Et là on en vient au reproche principal que vous faites au Vinci…

Bertrand Penneron : Oui, tout est fait depuis qu’on quitte la gare pour aller vers ce bâtiment, pour être attiré par sa transparence et ses formes et puis qu’est-ce qu’on trouve en arrivant ? Un lieu complètement fermé. Seulement ouvert de temps en temps et pour un public très très limité : celui qui va voir tel ou tel concert ou qui participe à tel ou tel salon. Pour moi, c’est une immense erreur. Même si cette problématique est inhérente à un projet de Palais des Congrès, je pense qu’on aurait pu prévoir une mixité d’usage pour laisser les gens traverser ce bâtiment qui est quelque part conçu pour être traversé. C’est une incompatibilité somme toute assez classique entre un rêve d’architecte et un usage particulier, en l’occurrence une programmation.

37° : Vu de l’extérieur, le Vinci ne paraît pas si grand ?

Bertrand Penneron : Au total pourtant, il doit faire dans les 26.000 m2, c’est un grand centre de congrès à l’échelle nationale, mais c’est vrai que quand on passe ici rue Bernard-Palissy, on n’imagine pas qu’il y a sept ou huit niveaux et tous ces espaces différents. De ce point de vue aussi c’est une réussite.

37° : La coursive n’était pas dans le projet au départ…

Bertrand Penneron : Elle me paraît inappropriée, mais cela a dû être l’une des rares concessions faites par Jean Nouvel. Les normes de sécurité étant ce qu’elles sont, il n’a pas dû avoir le choix.

37° : Pourrait-on construire un tel bâtiment aujourd’hui ?

Bertrand Penneron : Non, et pour trois raisons. Tout d’abord c’est un bâtiment très énergivore, mal isolé, avec du simple vitrage partout.

Ensuite, nous sommes en période de récession durable depuis 2009 et le Vinci est ce qu’on appelle un «grand projet», une grosse prise de risque sur le plan économique, impensable dans une époque de repli sur soi. Enfin, il faut une grande volonté politique de faire avancer la ville vers autre chose qui n’existe pas aujourd’hui. Cela ne vient pas forcément des élus, car s’ils sentaient un élan, une envie de la population, peut-être qu’ils seraient portés et auraient envie d’étudier de grands projets architecturaux à Tours…

37° : Comment expliquez-vous alors qu’une ville comme Nantes, qui est elle aussi dans un pays en crise, le même que Tours, soit aussi dynamique sur le plan architectural ?

Bertrand Penneron : Déjà tout simplement, parce qu’il y a une économie plus structurante à Nantes. Et aussi une école d’architecture. En plus, Nantes bénéficie d’une absence de dynamisme sur l’axe ligérien : Orléans, Tours, Angers sont assez «endormies», même un projet comme le Frac à Orléans était déjà «vieux» et ridicule à peine terminé. Du coup, Nantes et Rennes apparaissent comme très actives et portées sur l’architecture, avec de vraies réflexions de fond et de vraies avancées. Il faut aussi être honnête, ces villes sont plus grandes, tout simplement. Mais attention, il y a des ratages là-bas aussi.

37° : L’entrée de ville au Pont Wilson et le Centre de Création Contemporaine Olivier Debré n’est-il pas un grand projet qui va dans ce sens ?

Bertrand Penneron : D’une certaine manière oui, mais d’après les plans qu’on peut voir, ce ne sera pas quelque chose d’aussi marquant et ambitieux que le Vinci, loin de là. Quoi qu’il en soit, nous avons changé de siècle et le Vinci restera finalement comme l’unique grande réalisation architecturale tourangelle du XXe.

37° : Le 30 boulevard Heurteloup (Office de Tourisme) fait partie du projet ?

Bertrand Penneron : C’est un bâtiment intéressant dans l’idée, la fonctionnalité. Mais il ne me paraît pas très réussi. Nouvel n’a pas suivi les travaux, ça ne l’intéressait pas. C’est dommage car on aurait sans doute pu avoir d’autres options avec l’ancien hôtel particulier qui était là. Au final, je pense que la présence de ce bâtiment fait perdre un peu de force à l’ensemble.

37° : Malgré tout vous l’avez choisi pour y installer votre agence…

Bertrand Penneron : Oui, j’avais envie d’être au cœur de ce projet, de m’engouffrer dans cet appel d’air d’ambition architecturale. Symboliquement c’était important pour moi. Bon aujourd’hui j’ai dû bouger, je suis ailleurs, mais c’était un passage important dans ma carrière.

37° : Quel avenir pour le Vinci ?

Bertrand Penneron : Malgré mon regret qu’il ne soit pas plus ouvert, c’est un lieu partagé par tous et de fait il fait désormais partie du patrimoine, et l’une des caractéristique de cette notion de patrimoine c’est qu’on protège, qu’on entretient et qu’on restaure. Le Vinci est devenu un bien précieux pour les Tourangeaux.

NDLR : comme quoi la superstition, ça peut marcher…

Propos recueillis le 2 septembre 2014 par Laurent Geneix.

> le site internet du cabinet de Bertrand Penneron

 

Crédits photos : Laurent Geneix pour 37°

Crédits vidéos : TGA Productions pour 37°

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