Skate à Tours : une culture en manque de structures

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Depuis plus de dix ans, les skateurs tourangeaux militent pour la création d’un nouveau skatepark. Plus qu’un sport, le skateboard est pour eux un art de vivre qu’ils souhaiteraient pouvoir pratiquer dans de bonnes conditions. Un souhait qui pourrait bientôt être exaucé par la construction d’une nouvelle installation.

À l’ombre du pont Napoléon, les quelques modules en béton qui composent le vieux skatepark sont tous recouverts de graffitis. En ce jeudi après-midi ensoleillé de juin, seul un jeune homme de 17 ans occupe les lieux. Glissant d’un élément à l’autre, Allan répète inlassablement des figures basiques. « J’ai commencé l’année dernière », précise l’adolescent. Pas très fier de ses performances, il refuse d’ailleurs d’être pris en photo. Peu importe, il continue de s’entraîner dans ce skatepark, qui est à ce jour le lieu le plus adéquat de la ville. « C’est nul ici, affirme Allan, catégorique. Dans d’autres villes, ils ont des trucs beaucoup mieux. » Un avis négatif sur cette installation que partagent bon nombre des skateurs tourangeaux. « Ce skatepark est obsolète, assène Kevin Rabiller, créateur de la marque de planches Minka skateboards. Il est même dangereux. Il n’est pas aux normes, le sol est en bitume… Il n’était déjà pas adapté quand il a été conçu. » « Tu risques de péter ta planche », prévient quant à lui Florian Boutin, 25 ans, qui gère Storage, l’un des deux skateshops – boutiques spécialisées – de Tours.

Le skatepark de l’île Simon est l’un des principaux rendez-vous des skateurs tourangeaux.
L’installation est jugée obsolète voire dangereuse par beaucoup de skateurs.

Depuis de nombreuses années, les skateurs de Tours déplorent l’absence de structures adaptées. Mais la donne pourrait bien changer, peut-être même dès l’année prochaine : le 28 mars dernier, le conseil municipal a adopté un budget provisoire dédié à l’installation d’un nouveau skatepark. Montant : 250 000 euros. « Cette somme pourrait être amenée à évoluer selon les aménagements retenus, souligne Julien Hereau, conseiller municipal délégué au sport. Au départ, nous étions partis sur quelque chose de basique, mais après discussion, nous envisageons un espace de 500 à 600 mètres carrés, comprenant entre autres un bowl [module creusé constitué de courbes, NDLR] et un espace débutant. »

Un projet vieux de plus de dix ans

Les discussions en question sont menées en particulier avec l’association Deval de Loire, qui rassemble des pratiquants de skateboard et de longboard, une planche plus longue servant plus aux promenades ou à la vitesse. Grégoire Lacoste est un membre fondateur de l’association, aujourd’hui présidée par Florian Boutin, le gérant de Storage. Depuis plus de dix ans, il se bat pour la création d’un nouveau skatepark. « C’est un dossier qu’on a porté sous Jean Germain, sous Serge Babary… Ça n’avait jamais semblé être une priorité pour la municipalité. » Mais fin 2016, le projet est remis sur la table par un adolescent tout juste élu au conseil municipal des jeunes : Enzo Delage. Aujourd’hui âgé de 16 ans, il continue de suivre attentivement le dossier même si son mandat a expiré l’année dernière. « Il nous faut quelque chose d’ambitieux, déclare-t-il. Qui puisse servir à tous les pratiquants, mais aussi représenter la ville, donc à même d’accueillir des compétitions. »

C’est un dossier qu’on a porté sous Jean Germain, sous Serge Babary… Ça n’avait jamais semblé être une priorité pour la municipalité.

Grégoire Lacoste est un membre fondateur de l’association Deval de Loire.

Pour l’instant, rien n’est encore tranché. L’idée qui rencontre le plus d’écho est celle d’un skatepark à ciel ouvert, en béton, installé sur l’île Aucard. Il devra répondre à un cahier des charges strict et respecter le paysage. L’île Aucard est en effet un site classé. « Mais il y a aussi une autre branche qui préférerait quelque chose en intérieur, quitte à faire payer l’entrée, détaille Grégoire Lacoste. D’autres voudraient partir de la rampe installée sur l’île Balzac et agrandir le site. En résumé, personne n’est d’accord. » Quant à la compétition, beaucoup de skateurs n’en voient pas l’intérêt, voire même n’en veulent pas. « C’est un sport libertaire », justifie Grégoire Lacoste. Mais pour la municipalité, qui finance le projet, c’est une question de rayonnement. « Une compétition nationale, ça peut attirer un monde fou, souligne Julien Hereau, et avoir des retombées économiques considérables. »

Une culture multiple

La pratique du skate est donc multiple. « C’est une discipline qui ouvre sur plein d’autres disciplines. Il y a ceux qui font du longboard, du cruiser [petites planches faites pour rouler plus que pour faire des figures, NDLR], du street, de la rampe… » énumère Kevin Rabiller. Le Tourangeau de 36 ans sait de quoi il parle. Il a commencé le skate quand il était ado et, aujourd’hui, il vend des planches de sa propre marque fondée avec sa compagne Élodie Michaud. Minka skateboards est née en 2015, après que le couple a mis la main sur un stock de vieilles planches des années soixante-dix. « Majoritairement des cruisers, précise Kevin Rabiller. On en avait trouvé une sur un site de revente en ligne. Quand on a voulu l’acheter, la propriétaire nous a annoncé qu’elle en avait des dizaines d’autres. Finalement, on s’est retrouvés avec un stock de plus de 150 planches. »

Kevin Rabiller et Élodie Michaud ont créé leur marque de planches, Minka skateboards (photo d’archives).

Kevin Rabiller, qui exerce en tant que directeur de crèche, a allié sa passion pour le skate avec l’expérience de designeuse d’Elodie Michaud pour créer une collection de planches inspirée de textiles anciens. « On prend des modèles de dentelles et de canevas du XIXe et du XXe siècle, on les retravaille sur ordinateur et on les grave au laser sur les planches. » Pour lui, cette recherche esthétique fait partie intégrante de la culture skate. « Ça a toujours été en parallèle avec le graph, la photo, la musique, la mode… C’est un esprit, une façon de vivre, un peu comme le surf. » Et de citer en exemple Raphaël Zarka, skateur-photographe, devenu « spécialiste du mobilier urbain ». Difficile pourtant de définir les canons de la culture skate : la diversité des pratiques s’accompagne en effet d’une multiplicité d’univers culturels. « Il n’y a pas de code », résume Kevin Rabiller.

Au skatepark le dimanche matin

S’il existe des experts tourangeaux de la culture skate, ils se trouvent sans aucun doute derrière les comptoirs des deux skateshops de la ville, déjà évoqués plus haut. « Il n’y a pas un seul profil de skateur. On peut croiser aussi bien un médecin de 42 ans qu’une bande de gamins de 7 ans avec leur planche sous le bras », confirme Nicolas Klotz, de La Bonne planchette, en appliquant un grip – feuille antidérapante – sur une planche tout juste vendue. Le vendeur a commencé le skate à l’âge de 13 ans, dans la rue, en bas de chez lui. « Je n’osai pas aller dans les skateparks au début. J’avais peur, un peu comme tout le monde je pense. Puis j’ai commencé à y aller, à Saint-Avertin, le dimanche matin quand il n’y avait personne. » Florian Boutin, lui, a commencé encore plus jeune, à même pas 10 ans, « sur le parking d’Auchan à Tours Nord ». Pour lui non plus, il n’y a pas de code obligatoire. « Avant, la plupart des skateurs portaient des jeans larges, baissés. Aujourd’hui, on voit plein de gens skater en jogging ou en short… »

Cet « avant », Thierry Mondamert l’a bien connu. C’est bien simple : « le skate, c’est toute ma vie », se remémore-t-il. Agé de 46 ans, il est monté pour la première fois sur une planche il y a 40 ans, en 1978. À 14 ans, il commence à travailler au rayon skate d’un magasin. « C’est moi qui ai installé la première rampe de Tours, sur l’île Aucard, affirme-t-il, avant qu’elle ne soit supprimée par la mairie deux ans et demi plus tard. » En quarante ans de planche à roulette, Thierry Mondamert a connu plusieurs grandes époques, qu’il raconte avec nostalgie. « Autrefois, c’était quelque chose d’underground, tout le monde se connaissait dans le milieu. Aujourd’hui, c’est devenu banal, deux skateurs qui se croisent ne se saluent même plus. » Contrairement aux jeunes qui tiennent aujourd’hui les boutiques tourangelles, Thierry a une idée précise de ce a quoi devrait ressembler un skateur. « Il porte des habits larges, il écoute du punk ou du hardcore, pas du rap, comme beaucoup aujourd’hui. Maintenant, il y en a plein qui ne portent même plus des chaussures de skate. » La faute à certaines grandes marques qui, selon lui, se sont appropriées cette culture. « Tous les vieux skateurs vous le diront. »

Aujourd’hui, deux skateurs qui se croisent ne se saluent même plus.

Mais Thierry Mondamert sait aussi se souvenir de la grande époque de la scène tourangelle. Jusqu’au milieu des années 2000, un skatepark couvert très fréquenté se tenait à Joué-les-Tours, dans la zone industrielle des Bretonnières. Son nom : Riderland. « C’était magnifique, décrit Thierry Mondamert. Ce n’était pas le meilleur du point de vue des modules, mais on pouvait tout traverser sans poser le pied par terre. » Nicolas Kotz est trop jeune pour avoir connu Riderland, mais il confirme cet engouement : « Des clients m’en parlent encore régulièrement. » Tours a également vu se développer le talent de Samuel Partaix, devenu depuis l’un des grands noms du skate international. Il avait lancé avec sa mère un skateshop appelé Skate pistols, qui n’existe plus aujourd’hui. Après cette période, Nicolas Klotz reconnaît une « période creuse », jusqu’à l’ouverture de La Bonne Planchette en 2012. Aujourd’hui, Tours ne serait pas dénuée de bons spots. En guise d’exemple, Kevin Rabiller évoque le parvis du site Mame. Cette grande étendue de béton lisse, un peu à l’écart de la route, est selon lui un endroit sûr et idéal pour pratiquer.

L’esprit skateboard

« Skater en ville, c’est un retour aux racines, professe le créateur de planches. Depuis les origines, c’est une discipline qui se réinvente sans cesse, en fonction du mobilier urbain. » « Là où un passant voit des marches ou une plaque d’égout, le skateur, lui, voit une potentielle rampe », appuie Nicolas Klotz. Alors, n’y a-t-il pas un paradoxe à revendiquer cette culture de la rue tout en réclamant une structure adaptée ? « Ce sont deux choses complémentaires », estime Kevin Rabiller.

Le parvis du site Mame constitue un bon spot pour les skateurs.

En dehors de cette liberté et de cette créativité, ce qui fait l’esprit de cette discipline, selon ses pratiquants, c’est aussi la persévérance. Aude Chauvelier, 25 ans, en sait quelque chose. « Le skate, c’est le sport de glisse le plus ingrat », explique-t-elle en enchaînant quelques figures basiques dans le skatepark de son enfance : une petite installation composées de deux rampes, disposées l’une en face de l’autre et couvertes de graffitis, située à Ballan-Miré. « Quand tu commences, tu n’imagines pas le nombre de pelles que tu vas te prendre, les écorchures, les chevilles et les poignets foulés. » Essayer, tomber, recommencer des dizaines et des dizaines de fois, c’est le lot de tous les skateurs avant de parvenir à maîtriser ne serait-ce que le ollie, la figure de base consistant à sauter de quelques centimètres. « Et après, il faut recommencer pour la figure suivante, complète Aude Chauvelier. Ça peut être très frustrant. »

Aude Chauvelier a appris a skater dans un tout petit skatepark à Ballan-Miré, lorsqu’elle était collégienne.
Maîtriser un simple ollie, la figure de base, nécessite beaucoup de persévérance et les chutes seront nombreuses.

Alors, Tours est-elle une ville propice à la pratique du skateboard ? En tout cas, les chiffres dont Grégoire Lacoste dispose attestent d’une présence assez importante : selon lui, environ 14 500 personnes y pratiqueraient un moyen de transport à roulette : skate, rollers, trottinette… Ce qui lui permet de dénombrer au moins un millier de skateurs réguliers. Pourtant, la circulation en skateboard est interdite par arrêté municipal hors des espaces prévus à cet effet. « Je ne me suis jamais fait arrêter, tempère Kevin Rabiller. Mais souvent, les flics nous disent de descendre de la planche et de continuer à pieds. » Même constat du côté d’Allan, le jeune novice rencontré sur l’île Simon : «  On peut aller skater en ville mais, souvent, on se fait virer parce qu’on fait trop de bruit. » Alors, les amateurs de glisse urbaine vont chercher leurs sensations plus loin, dans des villes mieux équipées : Châtellerault, Châteauroux, ou encore Beaumont-en-Véron, à environ 50 km de Tours. « C’est quand même frustrant de devoir prendre sa voiture et faire une heure de route pour pouvoir skater tranquillement », déplore Nicolas Klotz. « Tours pourrait une ville accueillante pour les skateurs, conclue Florian Boutin. Tout ce qui lui manque, c’est une structure adaptée. » Un souhait qui pourrait bien être exaucé dès 2019, selon le conseiller municipal délégué aux sports.

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