La Touraine est une terre fertile pour la mode… Plusieurs stylistes y ont éclos, comme l’éblouissant Sami Nouri. On peut également citer Hélène Margaillan ou Chantelle Lecourt, propulsée à la semaine de la mode de Vancouver fin 2018. Aux côtés de ces créatrices et créateurs, on découvre une kyrielle de mannequins qui apprennent les codes du défilé dans leur propre école. Et ne manquent pas d’occasions pour les travaux pratiques. Ainsi, en pleine fashion week parisienne, le Château d’Artigny de Montbazon accueillait un défilé prestigieux ce jeudi 24 novembre. 3 jeunes créatrices y dévoilaient leurs collections. Nous en avons rencontré une : Nolwenn Lavanant.
A 20 ans, Nolwenn Lavanant est tout juste diplômée du CFAM, le Centre de Formation aux Arts de la Mode de Tours, un établissement post-bac qui a récemment déménagé dans le quartier Paul-Bert. Habillée d’un jean et d’un haut vert avec foulard issu de sa collection, elle nous accueille dans un grand appartement du quartier des Prébendes. C’est là qu’elle vit… et qu’elle travaille. Sur la table du salon, face au balcon orienté plein Ouest, des dizaines de crayons et de magazines. Au mur, une sélection de dessins. Et sur un mannequin, une pièce en fausse fourrure blanche, création récente dont la styliste se dit particulièrement fière.
« Travailler dans la mode, j’en ai envie depuis toute petite. A 10 ans je faisais mes premiers bijoux puis j’ai commencé à m’intéresser aux vêtements vers l’âge de 12 ans. C’est à ce moment-là que j’ai créé une première robe noire et banche en satin : je la portais à la maison et ça faisait la fierté de mes parents » nous dit Nolwenn d’une voix pleine d’entrain. Née à Onzain dans le Loir-et-Cher, cette « très bonne élève » d’origine bretonne a dû insister pour intégrer un bac pro métiers de la mode à Orléans, quand d’autres la voyaient plutôt intégrer une filière dite « générale » :
« Je me suis battue en conseil de classe. A l’époque, ma prof de français m’a défendue disant que ça se voyait en moi que j’étais faite pour aller dans cette voie. »
A Saint Paul Bourdon Blanc, l’adolescente apprend la couture, la création, le dessin et le modélisme. Puis en 2016, elle rejoint le CFAM tourangeau dans ses anciens locaux de Saint-Cyr-sur-Loire. Là, Nolwenn Lavanant découvre son objectif de fin d’études : concevoir une collection d’une vingtaine de pièces de A à Z, c’est-à-dire imaginer les vêtements, les produire, trouver les mannequins, recruter la coiffeuse, la maquilleuse ou encore partir à la recherche de partenaires photographes.
« Je veux révéler les femmes, montrer leurs atouts »
Face à une tendance qui voit débarquer de plus en plus de modèles unisexes sur les podiums et dans les magasins, la styliste ligérienne revendique un style très personnel « pour révéler les femmes, montrer leurs atouts ». Pour elle, ça passe par des vêtements souvent moulants et l’utilisation de matières comme le velours, la soie lyonnaise ou la dentelle de Calais. Des produits « en priorité » de fabrication française, sans pour autant exclure « les très belles soies » venues d’Asie.
Si elle maîtrise sans aucun problème la couture et la retouche, Nolwenn Lavanant prend surtout du plaisir à dessiner… avec une patte bien à elle, puisque les silhouettes de ses croquis semblent en mouvement. « Je travaille dans ma bulle, jamais sans musique. Du Mozart, Maria Callas mais aussi Renaud ou Rihanna » confie la créatrice peut-être un peu bordélique mais instinctive : « j’étale tous mes crayons… et l’inspiration vient. » Des idées nourries par le contact avec un bout de tissu, la page précise d’un ouvrage sorti de son « hallucinante » collection de livres ou par son observation des photos de magazines (elle collectionne tous les numéros de Vogue depuis 2010)… Et Internet ? « Je vais un peu sur Instagram et Pinterest mais pour moi le papier reste quelque chose de très important. J’ai toujours un carnet avec moi sur lequel je note des mots clés. »
Photos : Ingrid Gilmas / Mannequins : Léonore Bradoux et Hélène Descharnes / Décor : Château de l’Islette
Des petites jupes, des hauts, des robes de soirées… Aujourd’hui on comptabilise une soixantaine de pièces signées Nolwenn Lavanant. Des vêtements vifs et brillants, colorés, pour tous les jours ou de grandes occasions. Des créations pensées pour s’accorder avec des bijoux, comme ces manches brodées avec des perles sur le fameux manteau de fourrure ou l’immense collier doré qui accompagne la grande robe de mariée scintillante présentée lors du dernier tableau du défilé d’Artigny.
Pour ses accessoires, la Tourangelle travaille avec une créatrice du Cher : Karine Reneuve. Les deux femmes se sont rencontrées au salon L’Art au Quotidien de Tours en 2017… et collaborent ensemble depuis : Nolwenn montre ses dessins et ses tissus, puis Karine se charge d’imaginer ce qui ira bien avec. Une expérience inédite pour la créatrice qui accorde les pierres semi-précieuses avec des matières naturelles comme du cuir ou des coquillages.
Un défilé-concert pour le public de Montbazon
Nolwenn Lavanant fonctionne beaucoup par associations. Poussée à l’originalité par la directrice du CFAM Frédérique Payat, elle a remplacé la traditionnelle bande son de son défilé par un groupe en live. Angèle, Mathieu, Maxime et Matteo ont repris Adèle ou Michael Jackson devant le public d’Artigny… mais ils ont aussi écrit et composé deux morceaux spécialement pour les tableaux de la styliste. Des titres en anglais dont la durée devait être calibrée sur la prestation des mannequins, et le rythme sur l’ambiance souhaitée par Nolwenn (avec du peps, ou au contraire plutôt lent). Pour eux c’est un challenge original, une autre manière d’exercer leur créativité.
Nolwenn Lavanant et le groupe de son défilé (c) Roger Pichot
A quelques dizaines de minutes du show, on retrouve Nolwenn Lavanant à l’étage de l’hôtel qui accueille la soirée, juste après une séance d’habillage avec ses mannequins. Stressée, elle s’apprête à présenter le fruit de 3 mois de travail intense en moins de 15 minutes. Chaque détail compte : « j’ai terminé certaines pièces la semaine dernière » confie-t-elle sous l’œil bienveillant de son ancienne prof qui parle d’elle comme d’une fille « carrée, pas du genre à bosser la veille pour le lendemain. » Et si elle l’a accompagnée en amont, c’était plus pour finaliser quelques points de détails (comme le look d’un dos) que pour la rassurer : « c’est une professionnelle » résume-t-elle avec certitude.
Sensations sur le podium
Des trois stylistes de la soirée, Nolwenn est la dernière à passer. Ses mannequins n’ont qu’une minute à une minute 30 pour se changer, mettre leur nouvelle robe, les collants, les chaussures… Elles apparaissent en haut de l’escalier principal de l’entrée du château avant de défiler devant les 250 personnes présentes. Un aller-retour toutes de rouge vêtues, puis un beau vert olive et enfin la robe dorée et sa grande traîne… Tout ça, Nolwenn ne l’a pas vu. Frustrée, elle a seulement observé le dernier tableau depuis le haut de l’escalier avant de descendre pour saluer : « j’ai pleuré » commente-t-elle après coup, des frissons de bonheur dans la voix, félicitée de toute part par ses proches ou les invités de la soirée.
Pas de doute : Nolwenn Lavanant a marqué les esprits. Son style chic mais pas guindé a été remarqué pour son association entre audace et naturel. La jeune femme n’hésite pas à voyager entre les époques, comme lorsqu’elle va piocher dans les années 20 ou s’amuse avec un pantalon style patte d’éléphant : « je vais prouver que c’est de nouveau à la mode » affirmait-t-elle sans détour depuis son atelier. Pas impossible : quelques minutes seulement après l’extinction des projecteurs elle nous confiait avoir déjà des témoignages de personnes intéressées pour acquérir quelques pièces… et l’un de ses musiciens n’attend qu’une chose : qu’elle imagine une collection Homme.
Une boutique en projet pour la fin de l’année
Une fois cet échange achevé avec Nolwenn Lavanant, on a compris ce qu’elle cherchait : déstabiliser les femmes qu’elle habille sans les bousculer. Celle qui dit s’inspirer énormément de ses mannequins appelle à ne pas se bloquer sur les couleurs que l’on porte trop (gris, noir…) et à migrer vers des teintes plus punchy, comme le vert qu’elle arbore fièrement :
« On ne va pas forcément vers des vêtements verts mais quand on essaie, souvent, c’est une bonne surprise parce que cela fait tout de suite ressortir le teint. »
(c) Roger Pichot
Artigny n’était pas le premier défilé de Nolwenn Lavanant, loin de là. On l’a déjà vue à Moncontour, Villesavin ou à la soirée caritative organisée à l’Escale de Saint-Cyr-sur-Loire lors d’Octobre Rose. Bientôt, elle participera à un défilé d’inspiration Renaissance programmé le 29 juin sur le Pont de Fil de Tours. Surtout, la créatrice s’attèle à la préparation de l’ouverture d’un atelier-boutique à Paul-Bert, tout près de son ancienne école, « parce que c’est un quartier en forme de petit village convivial. Avec les logements aménagés dans les anciennes soieries c’est une partie de la ville de Tours qui prend de la valeur et nous sommes plusieurs à vouloir en faire un atelier d’artistes. » Un projet parmi d’autres pour la styliste qui veut, pêle-mêle, privilégier l’artisanat et le rendre accessible au plus grand nombre, faire briller autant d’yeux que possible et trouver l’inspiration pour réinterpréter la célèbre « petite robe noire ».
Un degré en plus :
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