[Grand angle] Au coeur de l’escadron de transport 1/61 Touraine

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Une fois n’est pas coutume, 37 degrés a dépassé les frontières tourangelles pour se rendre dans le Loiret. C’est à Bricy que nous avions rendez-vous pour un vol exceptionnel sur le nouvel Airbus militaire, l’A 400-M. Du briefing de vol au retour d’une mission d’entraînement, nous avons vécu le quotidien des mécaniciens et pilotes de l’escadron de transport « Touraine ». Immersion au cœur d’un monstre de technologie…

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Ce matin là, il y a un brouillard à couper au couteau sur la Base Aérienne 123 d’Orléans – Bricy. Programme de la journée : rendez-vous avec le Lieutenant-Colonel (LCL) Puibeni du Centre d’Instruction des Equipages de Transport (CIET), un vol sur le dernier gros porteur nouvelle génération, l’A 400-M, au sein de l’escadron 1/61 Touraine.

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LE CENTRE D’INSTRUCTION DES EQUIPAGES DE TRANSPORT (CIET)

L’important brouillard nous empêche de décoller pour le vol prévu ce matin-là dans le ciel Orléanais. Décollage repoussé à 15h30, heure locale, 14h30 UTC précise le LCL Puibeni. Ce jargon de pilote nous indique que notre hôte s’exprime en heure universelle et non en heure telle que nous pouvons la voir sur ce monstre. Notre immersion commence à ce moment précis. Le LCL Puibeni est pilote de transport, il totalise plus de 3000 heures de vol en Transall et déjà 250 heures de vol en A 400-M.

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Il est le premier instructeur sur le dernier né des avions modernes de transport militaire et c’est en 2012 qu’il a accepté le poste de chef du pôle formation A 400-M. Cet avion (1) est destiné pour l’Armée de l’Air à remplacer les C 160 et C 130 qui ont servi pendant des années pour transporter troupes et matériels. Avec l’arrivée du nouvel Airbus, les missions et opérations n’auront plus le même visage.

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Les capacités de l’avion vont modifier le profil des opérations et leurs capacités tactiques et stratégiques. « Pour descendre à Djibouti, il nous fallait presque 2 jours, aujourd’hui avec l’A 400, il nous faut 9 heures… ». Pour l’instructeur cet avion a bien sûr ses limites mais elles dépassent largement celles des autres avions de la flotte de transport. Avec ces quatre hélices de plus de 11 000 chevaux chacune, l’avion peut emporter avec lui plus de 35 tonnes de matériels, fret, véhicules blindés, hélicoptères et hommes (parachutistes, forces spéciales,…). « L’A 400-M consomme plus qu’un Transall mais il est plus rentable à la tonne transportée » précise le LCL Puibeni. Aujourd’hui cet appareil dont la technologie est issue de son grand frère « civil » , l’A 380, permet à un équipage de 2 personnes de le faire voler. Ainsi pilote et co-pilote se partagent l’immense cockpit, réplique quasi identique de l’A 380. Il y a même une couchette pour se reposer. « On n’exclut pas dans le futur qu’il y ait un 3ème homme avec nous pour les compétences tactiques » ajoute l’officier-pilote. « Il va falloir repenser les missions ainsi que la charge de travail qui va être différente. Nous aurons aussi une nouvelle manière de communiquer à deux !… ».

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  « Désormais, nous allons chercher plus qu’un pilote : un gestionnaire de vol ! »

L’arrivée de ce gros porteur a changé la donne et avec, la façon de recruter et d’instruire les futurs pilotes de ce monstre de plus de 80 tonnes : « Désormais, nous allons chercher plus qu’un pilote : un gestionnaire de vol » nous glisse le lieutenant-colonel Puibeni. « l’A 400-M est un avion 3.0 et la détection des pilotes se fera dès Salon de Provence (2) ».

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L’enjeu est important pour l’Armée de l’Air car la formation d’un pilote coûte cher. « Il faut assurer une pérennité au sein de l’Armée de l’Air pour nos pilotes. Qu’ils soient pilotes de chasse sur Rafale ou pilotes sur A 400-M » indique l’instructeur. Aujourd’hui le CIET assure la transition opérationnelle des pilotes. A ce jour, 24 ont été formés sur l’A 400-M, 4 sont en formation. Mais avant d’espérer s’installer dans l’un des sièges de pilotes de cet avion hors norme, il faudra compter plus de 50 jours de stage en simulateur. Mais pour tous les pilotes rencontrés, l’A 400-M est un avion comme un autre.

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AU CŒUR DE L’ESCADRON 1/61 TOURAINE

Si le CIET assure la transition et la formation des pilotes de transport pour l’« A 400 », il y a sur la base 123 de Bricy des escadrons opérationnels comme le 1/61 Touraine.

L’A 400-M a déjà participé à différentes missions telle que l’Opération SERVAL au Mali mais aussi à des opérations spéciales

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C’est en 1915 que l’escadron est créé mais à l’époque il ne portait pas le nom de « Touraine ». Il regroupe alors deux escadrilles, l’une assurant des missions de bombardement et l’autre des missions de reconnaissance. L’escadron se spécialise durant la 1ère guerre mondiale, dans les missions de bombardement de nuit d’où ses animaux fétiches, la chouette et la chauve-souris. La création de l’escadron « Touraine » remonte à 1945. Le Général de Gaulle, à l’origine des Forces Françaises Libres, a voulu donner aux résistants qu’ils soient sur terre ou dans les airs (avec les forces aériennes de la France libre) le nom d’une région ou d’une ville pour rappeler aux combattants d’où ils venaient. En 1967, l’escadron reçoit en dotation le fameux avion Transall qui effectue encore aujourd’hui de nombreuses missions en France et à l’étranger. En 2012 le « Touraine » est mis en sommeil. Il ne disparaît pas car il existe toujours administrativement. L’arrivée de l’Airbus va réveiller, dix huit mois plus tard, l’escadron à la chouette et à la chauve- souris. Aujourd’hui, le 1/61 Touraine possède six A 400-M. Le septième aéronef est attendu tout prochainement. L’ A 400-M a déjà participé à différentes missions telles que l’Opération SERVAL au Mali mais aussi à des opérations spéciales.

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Souvenez-vous, nous étions retenus au sol pour cause de brouillard. Le service météo maintient ses prévisions. Nous pourrons décoller à 15h30. Après cette confirmation, le temps est venu pour l’équipage de préparer son vol. Le briefing de mission est une phases obligatoire avant chaque vol. Ce seront deux capitaines, en phase de transition opérationnelle, qui seront testés par le LCL Puibeni. Agés respectivement de 29 et 40 ans, « Toy » et « Rolex » totalisent à eux deux plus de 7000 heures de vol sur Transall et A 340 (l’avion présidentiel).

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Dans la salle de briefing où nous sommes installés, le numérique est omniprésent. Fini les grandes cartes aéronautiques au 1 : 500 000 ou 1 : 1 000 000. Désormais, c’est sur leurs « Ipad » que les deux capitaines briefent avec leur instructeur. Sur leurs tablettes, les deux pilotes retrouvent aussi toute la documentation nécessaire à leur vol (plan de vol, terrains de déroutement, cartes, documentation techniques, checklist,…). Exceptionnellement, l’échange entre les pilotes et l’instructeur se fera en français.

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L’Airbus peut transporter deux hélicoptères « Tigre » ou trois Véhicules d’Avant Blindés (VAB) et un Véhicule Blindé de Combat d’Infanterie (VBCI)

Mission du jour : vol au-dessus du terrain de Bricy pour des tours de pistes et pannes moteur. Il est 14h45. Nous nous apprêtons à rejoindre le tarmac où l’immense oiseau d’acier nous attend.

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Avec nous pour le vol, un sous-officier « soutier » en charge de la responsabilité du chargement dans l’A 400-M. Même si le vol se fera à vide (de chargement), chaque vol est toujours l’occasion de s’entraîner aux procédures. L’arrivée à l’avion est impressionnante. L’A 400-M est imposant mais compact. Ses hélices font plus de 5 mètres de haut.

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Le fuselage d’un gris anthracite est en composite. Une fois passé le seuil de la porte, la soute se présente à nous.

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Elle paraît immense. Il faut dire que l’Airbus peut transporter deux hélicoptères « Tigre » ou trois Véhicules d’Avant Blindés (VAB) et un Véhicule Blindé de Combat d’Infanterie (VBCI). Un escalier à l’intérieur est nécessaire pour accéder au cockpit. Une fois installés, nos deux pilotes et leur instructeur prennent place. La check-list est longue. Les pilotes sont déjà dans leur vol. Nous assistons silencieux et connectés avec un casque et un micro à leurs échanges radio : Mise en route des 4 turbopropulseurs. Les gestes sont millimétrés et les échanges de signes de main et de tête permettent aux mécaniciens restés sur la piste de bien vérifier que les hélices fonctionnent.

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Le contrôle aérien nous donne l’autorisation de décollage.  Nous nous alignons face aux traits discontinus de la piste. Devant nous, les traces noires des pneus des trains d’atterrissage, témoignage des milliers « posés » des avions de transport.  « Toy », le capitaine en formation, met les gaz. L’avion décolle très rapidement et sa montée vers le ciel est impressionnante. Virage à droite à forte inclinaison, nous survolons la campagne orléanaise. Pendant plus d’une heure, nous réalisons des « touch and go » (atterrissages et décollages dans la continuité). Le LCL Puibeni est en place droite, il assiste impassible aux actions de ses « élèves ».

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Tout à coup, juste après le troisième décollage, il simule une panne moteur en privant « Toy » d’un des quatre moteurs. Le but : éprouver les réflexes appris et répétés en simulateur. Tous les gestes se font calmement, il n’y a pas de tension dans le cockpit, simplement des échanges radios entre les deux pilotes. Nous nous posons. Mission remplie pour les deux futurs pilotes. Ils seront bientôt lâchés sur le gros porteur.

Au « Touraine », l’histoire de l’escadron est une légende qui se transmet entre générations de pilotes. Dans le hall d’entrée, une mappemonde de plus de 3 mètres 50, où sont inscrits de nombreux traits noirs entre pays, rappelle que les avions qui ont servi l’escadron ont fait des centaines de fois le tour du monde.

« Dans les années à venir, nous aurons un besoin crucial de capacités de transport » clame le patron du CIET. L’Armée de l’Air prévoit a terme une flotte de cinquante A 400-M. Les Allemands en ont commandés cinquante trois.

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Nous quittons la base 123 de Bricy vers 18h30. Notre immersion au cœur du CIET et de l’escadron « Touraine » nous rappelle que la Défense ouvre plus facilement à certains journalistes les portes des unités de l’armée française. L’arrivée de l’A 400 M n’est pas un hasard, car un mot résume cet oiseau d’acier et de composite, fruit d’une technologie 100% européenne : l’interopérabilité. Derrière la nouveauté et les innovations ce sont bien les deniers publics que l’Etat veut maîtriser. L’interopérabilité sera donc vecteur d’économies et ce, à deux niveaux :

  • dans les capacités (même méthodes de travail, même procédures communes entre pays possesseurs de l’avion,…)
  • dans la maintenance (gestions et réparations identiques).

Et un corollaire : la mutualisation des stocks de pièces. Pour la première fois dans l’histoire de l’Armée de l’Air française, il y a dans un même temps et dans un contexte économique, diplomatique et géopolitique commun à certains pays, un même matériel : l’A 400-M. La défense et la conduite des opérations ont aussi leur logique de réductions budgétaires.

(1) : L’Airbus A 400-M Atlas est arrivé sur la base de Bricy en août en 2013. Il a effectué son premier vol sous les couleurs de l’Armée de l’Air le 22 août 2013

(2) : L’Ecole de l’Air, où sont formés les futurs officiers de l’Armée de l’Air, se trouve sur la commune de Salon de Provence à côté d’Aix-en-Provence

Crédits photos : Arnaud Roy pour 37°

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