Drouet et Avenet : deux explorateurs dans les coulisses de la Touraine

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EDITION. «La Touraine n’est pas une région spectaculaire, on peut la traverser sans rien voir. Il faut un peu de sensibilité pour traverser ce pays.» Ainsi s’exprimait le photographe Pascal Avenet lors de la sortie en juillet 2015 de son précédent ouvrage «Lumières de Touraine». Un an plus tard, l’idée est à peu près la même quand le journaliste Sébastien Drouet et le même Pascal Avenet partent ensemble sillonner les routes d’Indre-et-Loire avec cette envie de nous révéler l’invisible, mais aussi de nous faire (re)vivre des épisodes marquants en retrouvant leurs acteurs dans leur environnement actuel.

Loin du simple beau livre qu’on pose sur sa table de salon, agrémenté de quelques légendes qu’on ne lit jamais, «La Touraine, personnages méconnus et patrimoine caché»est un passionnant recueil d’histoires à lire au coin du feu cet hiver, dont la variété n’a d’égal que la richesse humaine et patrimoniale d’un territoire vibrant. Dans un style radicalement différent du «Tours, des chemins et des hommes» sorti à l’automne 2016, cet ouvrage est une nouvelle illustration de la vigueur avec laquelle les éditions tourangelles Sutton dépoussièrent le livre régional.

Depuis 2012, Pascal Avenet et Sébastien Drouet travaillent régulièrement à quatre mains au célèbre Magazine de la Touraine et dans Edith Magazine où ils signent de nombreux reportages. «Je crois que notre tout premier reportage ensemble c’était sur les champignonnières à Loches», se souvient le journaliste «qui ne prend pas de photo», qui matche parfaitement ce photographe «qui n’écrit pas».

Sébastien Drouet, 47 ans, a commencé par des études d’histoire à Angers. «Pour faire court, une moitié de l’amphi voulait être journaliste, l’autre moitié voulait être prof, mais on nous a démotivés pour la carrière de journaliste.» Ne souhaitant pas spécialement opter pour le premier choix, Sébastien Drouet devient d’abord animateur de colonies de vacances et musicien, puis, alors qu’il vient d’avoir 30 ans, en 2000, un des premiers quotidiens 100% web voit le jour à Angers – Angers Journal – et il s’embarque dans l’aventure. Une aventure qui ne dure qu’un an, mais met le journaliste en herbe sur les rails. Après quelques années de boulots alimentaires et d’envois de CVs dans la presse, il finit par intégrer l’équipe de Scoop Communication en 2003, au départ dans Anjou Magazine, ce qui de fil en aiguille l’amènera à s’installer en Touraine.

On a aussi dit à Pascal Avenet, 55 ans, que c’était très dur de devenir photographe professionnel. Mais comme les conseils sont faits pour ne pas être suivis, il persiste et n’écoute que son envie de collectionner ses propres images, au gré de ses rencontres et mû par sa passion des lieux, des gens, des histoires et de l’Histoire (il est membre de la Société Archéologique de Touraine). Il passe un brevet à la Chambre des Métiers et devient professionnel en 2011, en parallèle avec un autre métier, devenu secondaire depuis. Il intègre l’équipe de Scoop Communication et propose également de nombreux cours de photo, en partenariat notamment avec la Fnac et Canon France.


Nous avons rencontré ce duo talentueux, déjà une référence dans la presse régionale et en passe d’en devenir une aussi dans l’édition, afin d’en savoir plus sur les coulisses de la fabrication de «La Touraine, personnages méconnus et patrimoine caché».

37 degrés : Quelle est l’envie de départ qui vous a poussés à faire ce livre ?

Sébastien Drouet : L’envie de faire un livre différent. Il existe déjà de nombreux «beaux livres» sur la Touraine, donc il n’y a pas beaucoup d’intérêt à en faire un énième. On voulait se démarquer. Pascal tenait absolument à faire parler des gens, à raviver des souvenirs qui allaient parler aux Tourangeaux, comme Alan Jack ou Monique Bouvier par exemple. Même s’il y a des choses sur des lieux, le bloc sur lequel repose cet ouvrage, ce sont les personnages.

37 degrés : Comment vous avez démarré, vous vous êtes retrouvés et vous avez fait des listes ?

Pascal Avenet : Oui c’est ça. On s’est retrouvé chez moi, mais on a aussi échangé des tas de mails, des tas de listes. Puis on a éliminé des choses parce que ce n’était pas assez fort, parfois assez longtemps après le départ. On n’a gardé que le meilleur, quoi.

Sébastien Drouet : On a tranché assez rapidement sur pas mal de sujets, ça oui, ça non. On a été assez d’accord sur les directions à prendre et les choix à faire.

37 degrés : On a trouvé dès les premiers sujets du livre que c’était très dépaysant, presque exotique parfois. Aviez-vous cette volonté de nous emmener ailleurs tout en restant en Touraine, en poussant des portes et nous racontant des histoires sur ce qui se trouve derrière ?

Sébastien Drouet : Nous voulions faire des chroniques vivantes, avec plein de citations des personnes qu’on a rencontrées. Raconter des histoires complètes où les images et les textes se complètent au maximum.

Pascal Avenet : On a éliminé certains sujets parce qu’ils étaient trop anecdotiques, on voulait parler ou reparler de lieux et de personnalités vraiment marquants, hors du commun.


37 degrés : A quoi sont liés les sujets retenus au final ?

Pascal Avenet : A nos parcours et au hasard de nos rencontres. Par exemple Le Belvédère (une demeure remarquable de la première moitié du XIXe siècle – ndr) c’est venu naturellement parce que je suis de Bléré. Globalement, c’est une sélection très subjective…

Sébastien Drouet : Nous n’avons fait aucune recherche particulière, sauf dans nos mémoires respectives. Ce n’est pas un travail d’historiens. Nous avons suivi nos envies et nos instincts. Nous n’avons retenu que les sujets sur lesquels nous avions une histoire à raconter, que ce soit en mots ou en images. Après cette première sélection, nous avons creusé. Pascal est du genre à gratter chaque sujet jusqu’à l’os, donc nous sommes allés assez loin dans la plupart des sujets, d’où le fait que certains textes sont assez longs.

Pascal Avenet : Par contre on a dû abandonner certains sujets car on n’avait pas assez de billes, donc on garde ça sous le coude pour de futurs projets. Je suis assez surpris du résultat, il y a pas mal de choses finalement : quand on regarde ce qui a déjà été publié sur la Touraine on se dit au départ que tout a déjà été dit, mais en approfondissant un peu on réalise qu’il y a encore plein de choses à dire.

37 degrés : Les lieux et les personnages que vous présentez sont-ils facilement accessibles ?

Sébastien Drouet : Bon évidemment pour prendre un exemple extrême, le centre de détection et de contrôle de la défense aérienne, dont la salle de contrôle se trouve à 33 mètres sous terre, ne se visite pas. Mais d’autres lieux sont facilement visibles et certains des personnages vous ouvriront assez facilement leurs portes si vous avez envie d’en savoir plus sur leur histoire.

Pascal Avenet : Certains lieux du livre sont inaccessibles et pour moi ce livre a aussi été le cheval de Troie pour pouvoir voir et photographier des lieux qui ne m’auraient sans doute jamais été ouverts dans des circonstances purement journalistiques ou en tant que simple photographe, même professionnel. Même si globalement, je suis très souvent accueilli à bras ouverts chez certaines personnes en Touraine, sans avoir à dire que je prépare un livre. Un seul lieu qu’on aurait aimé faire pour ce livre c’était les greniers de la cathédrale de Tours, mais il fallait payer et on n’a pas voulu nous consacrer du temps pour ça.

37 degrés : Vous présentez aussi des détails ou des recoins de lieux très connus, comme par exemple le Jardin d’Orient du Château d’Amboise, pourquoi ?

Pascal Avenet : Il nous semble important que les gens puissent voir d’un œil neuf des lieux qu’ils ont déjà visités, voire que ça leur donne envie d’y retourner parce que ça fait longtemps qu’ils n’y sont pas allés. L’exemple de l’hommage à l’émir Abd el-Kader est aussi intéressant car c’est un lieu unique qui donne un éclairage particulier sur un épisode historique particulier de la vie locale : lors de son exil à Amboise avec sa famille et sa suite, le chef rebelle algérien fut accueilli avec un grand cérémonial par une population à la fois curieuse et respectueuse… C’était une autre époque. Ce sujet, je l’ai tout simplement trouvé en lisant la Nouvelle République et j’ai eu envie d’aller plus loin.

37 degrés : Parmi vos «belles prises», il y a l’atelier d’Olivier Debré qui est resté dans son jus et les Madères. Comment ça s’est fait ?

Pascal Avenet : Lorsque François Hollande est venu pour l’inauguration, j’ai fait quelques images et le petit-fils Debré est tombé dessus par hasard. Il m’a contacté par Facebook et m’a invité à venir voir l’atelier de son grand-père. Je lui ai alors dit qu’on préparait un livre et tout s’est enchaîné rapidement et simplement, jusqu’à un portfolio dans le Magazine de la Touraine et deux sujets dans cet ouvrage.

Sébastien Drouet : C’est rare car c’est lieu qui n’avait été ouvert qu’une seule fois au public dans le cadre des Journées du Patrimoine, c’est tout.


37 degrés : A chaud et sans réfléchir, vos coups de cœur ?

Sébastien Drouet #1 : Le «programmateur électromécanique» de Saint-Senoch, qui est ni plus ni moins un ancêtre de l’ordinateur ! René Planiol, un scientifique de haut-niveau est arrivé avec sa famille dans les années 1950 à côté de Varennes dans le sud Touraine. Pour faire fonctionner un broyeur de minerai, il a fabriqué une machine, sur le mode «loisirs améliorés». Il a aussi fait un fauteuil ascensionnel sur rails pour que son épouse – elle aussi une grande scientifique – puisse aller chercher des ouvrages sur les étagères supérieures sans danger ! Aujourd’hui le professeur Léandre Pourcelot, lui aussi éminent scientifique inventeur notamment de l’échographie Doppler, gère ce précieux héritage.


Sébastien Drouet #2 : L’artiste Fernand Martin-Dumagny. Au départ c’est Pascal qui a beaucoup insisté, moi j’avais lu quelques articles sur lui et j’avais vaguement envie de faire un jour quelque chose sur lui pour le Magazine de la Touraine. J’avais un a priori, je ne pensais pas qu’on serait bien accueillis par ce personnage particulier au premier abord. Quand on arrive pour le premier rendez-vous, il nous attend tranquillement assis avec son chien au milieu de son hangar, exactement comme sur la photo qu’on a vraiment tenu à retenir pour la couverture du livre !

Pascal Avenet : Tu arrives, tu frappes, personne ne répond, pas un bruit. Tu entres et tu vois ce monsieur de 85 ans, tranquille, comme ça. Tu ne sais pas depuis combien d’heures il t’attend, c’est complètement irréaliste !

Sébastien Drouet : C’est une ancien carrossier qui fait des sculptures de personnages plus ou moins célèbre avec des tôles. Il expose très rarement et ne vend pas ses œuvres. Parmi de nombreuses anecdotes croustillantes, celle du jour où il aurait pu exposer dans des conditions idéales à New York et où il pose un lapin à un membre de la célèbre famille de joaillier Van Cleef !



Pascal Avenet, coup de cœur #1 : Michel Ville et Jean Bergerault. Moi j’allais au bal quand j’étais jeune et ça m’a beaucoup marqué. Dans les années 1970, Michel Ville était partout, c’est un incontournable qui tourne encore, dans toute la France ! J’ai eu du mal à trouver des documents d’époque ou des scans de qualité, mais c’est finalement via un groupe Facebook dédié aux archives de bals populaire que j’ai pu trouver des scans de qualité suffisante pour le livre.

Pascal Avenet , coup de cœur #2 : Monique Bouvier. Si tu es de Tours et que tu as plus de 45 ans tu as forcément franchi un jour où l’autre la porte de ce disquaire légendaire du 24 avenue de Grammont. J’avais vraiment envie de faire un sujet sur elle et un autre sur son frère, lui aussi célèbre mais pour ses amplis ! Monique Bouvier m’a appelée l’autre jour pour me remercier après avoir vu le livre, elle m’a dit «C’est vraiment un très beau cadeau que vous me faîtes, à la fin de ma vie !»

 

Propos recueillis à Tours le 6 décembre 2017.

Un degré en plus

> «La Touraine – Personnages méconnus et patrimoine caché» de Pascal Avenet et Sébastien Drouet – Editions Sutton, Tours, 2017. 24 euros. En vente dans toutes les bonnes librairies (et chez quelques marchands de livres aussi). Victime de son succès, il est un peu dur à trouver, mais un nouveau tirage est en cours et mi-janvier on devrait le voir refleurir sur les tables des libraires !

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