[De la Touraine à l’Espagne 2/4] Cervelló, ville jumelée avec St-Martin-le-Beau

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Cet automne, 37° a franchi la frontière pour explorer une partie de l’Espagne. De Barcelone à Séville en passant par Cervelló et Grenade, nous avons échangé avec des Tourangelles et des Tourangeaux installés de l’autre côté des Pyrénées mais aussi rencontré celles et ceux qui ont tissé des liens d’amitié forts avec notre région. De retour, il est temps de vous raconter leurs histoires et leurs aventures…

Depuis Barcelone, il faut environ rouler une demi-heure. Quitter le centre et son agitation, prendre les grandes avenues qui mènent aux résidences universitaires puis à l’intérieur de la Catalogne. Il est 9h : c’est dense, mais ça roule bien. Au volant, Carles Checa nous guide, nous prévenant par exemple lorsque l’on passe à proximité des luxueuses résidences des footballeurs du FC Barcelone.

Quand on prend l’autoroute, la ville laisse rapidement place aux montagnes et aux forêts. A peine le temps de faire connaissance avec le professeur d’université, un ex des médias qui a notamment travaillé dans la publicité, et nous voici arrivés à Cervelló. Carles gare la voiture dans une petite rue et il ne l’a pas choisie au hasard : « nous sommes sur la Place St-Martin-le-Beau qui existe depuis 17 ans » explique-t-il en descendant, et avec un très bon français. Nous voici donc prêts à passer une journée dans cette ville unie au village tourangeau par les liens du jumelage depuis 25 ans.

Un peu d’histoire…

Cervelló et St-Martin-le-Beau sont rassemblées par un homme, Josep Tarradellas. Né à Cervelló en 1899, il a milité en politique dès ses 16 ans, est devenu ministre de l’intérieur de la Catalogne dès 1931 puis 1er ministre, et il a été très actif dans l’opposition à Franco (entre 1936 et 1939).

Une fois la victoire du Franquisme acquise, il s’exile en France et achète une propriété à St-Martin-le-Beau, le clos de Mosny. Arrêté à plusieurs reprises par la Gestapo et la police espagnole, Tarradellas est menacé d’extradition. Emprisonné puis protégé en Suisse, Josep Tarradellas rejoint ensuite Paris où il crée « Solidarité Catalane » en 1944.

Sollicité pour être 1er ministre de Catalogne et ministre du gouvernement espagnol, il refuse et gère une entreprise de boutons de bois en région parisienne. Ses parents et sa femme vivent à St-Martin-le-Beau, il les rejoint le week-end dès 1945 et s’y installe officiellement dix ans plus tard. Il fera de cette propriété sa base politique, en particulier après la mort de Franco au milieu des années 70. Devenu, de manière triomphale, président de la Généralité de Catalogne, il obtient que la région redevienne autonome au sein de l’Espagne et retourne vivre à Barcelone dès 1977.

Josep Tarradellas est considéré comme un grand président de la Catalogne. 1 million de personnes l’attendaient à Barcelone à son retour. Son exil est donc un événement historique fort pour la région. Pour que l’histoire vive, continue d’être racontée, les deux villes ont tissé des liens peu de temps après la mort de l’homme politique, en 1988.

St-Martin-le-Beau et Cervelló viennent ainsi de fêter les 28 ans de leur jumelage. Dans chaque commune, une association s’active pour maintenir les liens. Chaque année, en juin, les Catalans viennent quelques jours en Touraine en profitant d’un jour férié chez eux et ils en profitent pour organiser une grande paëlla, qui réunit 500 personnes. En octobre, au moment des vacances scolaires, les Tourangeaux font le chemin inverse (13-14h de bus) et préparent également la cuisine, en l’occurrence une omelette géante avec 200 convives, l’occasion aussi de voir sortir le couple de « géants » de Cervelló : deux mascottes colossales de 4m de haut et 80kgs, qui représentent le Conte et la Contesse de la ville.

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La Place St-Martin-le-Beau.

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Le buste de Josep Tarradellas en centre-ville.

Résumer le jumelage à ces deux moments festifs, certes très prisés, serait un peu réducteur. A écouter les membres actifs de l’association de Cervelló, on sent une amitié vraiment forte avec leur jumelle française. Ils se sont mobilisés en grand nombre pour nous faire découvrir leur ville puis leur belle église de briques rouges construite à partir du IXème siècle (récemment restaurée et qui accueille chaque année un festival de musique classique. On pourrait aussi très bien imaginer y organiser des concerts de musiques anciennes du Moyen-âge avec des groupes tourangeaux). Le clou du spectacle ? Encore un peu plus haut : le château (ou ce qu’il en reste). Là, on bénéficie d’une vue dégagée et extraordinaire sur la ville, les montagnes, les forêts et la mer, au loin… Pas étonnant d’apprendre qu’il s’agissait d’une place forte pour défendre Barcelone. Un conte sur son histoire, en catalan et en français (et joliment illustré) a d’ailleurs été édité suite à un travail des enfants.

Vie paisible au pied des montagnes

« Cervelló c’est une ville dortoir mais avec la vie d’un village » nous raconte Carles Checa. Parmi les 10 000 habitants de la commune beaucoup font l’aller-retour vers Barcelone tous les jours pour travailler. Dans son histoire, la cité a pourtant été une place forte pour la vigne puis pour l’industrie du papier et du verre. Aujourd’hui, il n’y a plus vraiment d’agriculture (mais on n’est pas très loin de la région de production du Cava, le vin mousseux local), peu de tourisme (malgré un très bel hôtel 4 étoiles sur les hauteurs) et pas beaucoup d’entreprises (tout de même une zone industrielle et une industrie cosmétique). Un déclin ? Apparemment non : « ici le chômage concerne environ 10-11% de la population. C’est moins que la moyenne » explique le maire, José Igniacio Aparicio, fier d’administrer une commune qui a souhaité garder son identité naturelle. Elle est très grande (25km²) et en grande partie composée de forêts, contrairement à certaines de ses voisines. Un choix délibéré dans son histoire.

Depuis son bureau disposant d’une immense baie vitrée avec vue imprenable sur les montagnes, le premier magistrat de la ville (élu en 2015 pour un mandat de 4 ans) est assez fortement impliqué dans le jumelage, s’étant notamment déplacé trois fois jusqu’à notre région pour participer aux festivités. A 53 ans, ce sportif qui part courir dans la forêt tous les matins est « végétarien à 80%, sauf pour le jambon » nous dit-il attablé en terrasse pour le fameux casse-croûte du milieu de matinée composé… de jambon ibérique, naturellement. De St-Martin-le-Beau, il évoque les souvenirs d’une ambiance « familiale » avec l’accueil dans les familles, les échanges, la paella…

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Des échanges avec des lycéens

A chaque fois qu’un voyage est organisé (dans un sens ou dans l’autre), le bus est toujours plein. Depuis quelques années, des échanges avec des adolescents sont organisés, pour l’apprentissage de la langue, mais aussi pour mobiliser de nouvelles familles dans cette aventure. Les cadres du jumelage de Cervelló ne s’en cachent pas : l’enjeu est de recruter plus de jeunes dans l’association pour assurer son dynamisme, son développement et sa pérennité (elle compte une petite vingtaine de membres actuellement). Tous ont des souvenirs plein la tête, des anecdotes à la pelle comme pour le transport du plat géant à paella en 1992, trop grand pour rentrer dans le bus et qu’il a en partie fallu démonter. Ils évoquent aussi l’émotion au moment des départs : « où il y a toujours des gens qui pleurent. »

A découvrir aussi : l’épisode 1 de notre série avec Claire, stagiaire à Barcelone.

Impliqué depuis 2 ans dans le jumelage, faute de temps auparavant, Carle Checa est aujourd’hui un vice-président très actif. Pour lui, la seule difficulté c’est de trouver des logements pour tout le monde à chaque voyage. Pas de problème donc pour franchir la barrière de la langue, l’amitié, la générosité, et l’envie d’échanger sont plus fortes, et les liens ont tendance à se bonifier avec le temps, comme le vin. Il existe d’ailleurs une cuvée de Cava spéciale aux couleurs du jumelage, idem pour du montlouis.

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Les bouteilles du jumelage ramenées de Touraine

« C’est fou comme l’histoire se répète »

Avec Carles Checa et le maire José Ignacio Aparicio, on a également évoqué l’actualité politique catalane. Un sujet obligé, ne serait-ce que parce que l’on ne peut pas manquer l’inscription au bas des marches de la mairie, demandant la libération des élus catalans emprisonnés après la déclaration d’indépendance de la région. Et puis, finalement, l’exil de l’ex-président catalan Carles Puigdemont parti en Belgique (et depuis menacé d’extradition) peut se comparer avec le départ de Tarradellas, « c’est fou comme l’histoire se répète » note d’ailleurs Carles Checa qui va jusqu’à comparer l’attitude du premier ministre espagnol Mariano Rajoy à celle de Franco.

Si Carles assume être du côté des indépendantistes (il était notamment présent dans la dernière grande manifestation de Barcelone le 10 novembre), ce n’est pas le cas de l’élu, membre du Parti Socialiste. Au final, quand on creuse, quand on écoute ce que chacun a à dire, on se rend compte que ce n’est pas nécessairement une indépendance totale que réclament les manifestants catalans, juste plus d’écoute de la part de Madrid (le conflit actuel est parti d’une affaire sur un pacte fiscal). D’ailleurs, si vu de France on découvre un peu ce désir d’indépendance de la région de Barcelone, cela fait en réalité des siècles que cela dure. « L’attitude de Madrid aide à la radicalisation. De 10 à 20% d’indépendantistes on est passés à 50% » explique Carles Checa qui « aime l’Espagne » mais désapprouve la politique de son chef, « il n’est pas dans une droite civilisée. Il cherche à vaincre, pas convaincre. » Il pourrait donc suffire d’une nouvelle direction politique nationale pour apaiser les tensions.

En tout cas, aucun doute, ce vaste débat n’a pas affecté, et n’affectera pas, les relations de Cervelló avec la Touraine. La différence entre « la grande politique et les questions du quotidien » comme l’explique le maire.

 

Un degré en plus :

Un livre sur l’histoire commune des villes de Cervelló et St-Martin-le-Beau a également été édité, en français et en catalan.

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