C’est un événement rare. Alors qu’elle va bientôt fêter ses 25 ans, l’épicerie sociale Le Sac à Malices de St-Pierre-des-Corps a vu son aventure adaptée en bande dessinée par Thibaut Lambert. L’auteur-dessinateur s’est immergé pendant 4 semaines dans l’association pour en retranscrire l’ambiance. Le résultat : une centaine de pages drôles et sensibles. Un travail qu’il présentera dimanche 15 septembre lors d’une conférence en partenariat avec 37 degrés lors du festival A Tours de Bulles, Salle Ockeghem.
Avant cette rencontre, on a eu envie – nous aussi – de tâter le pouls du Sac à Malices. Située à l’entrée de la Rabaterie, près d’une école, l’épicerie sociale de St-Pierre-des-Corps occupe des locaux à la fois vastes et exigus. Vastes parce qu’on y trouve une épicerie, une salle d’activités, une cuisine, un cabinet d’esthétique, des bureaux, une salle de réunion, des espaces de stockage et un potager. Exigus, parce que les couloirs étroits font qu’on a parfois un peu de mal à s’y croiser.
Et en même temps, n’est-ce pas le but d’une épicerie sociale ? Nourrir le corps et l’âme. Encourager les rencontres. Ainsi, dans cette structure, tout est fait pour proposer bien plus qu’une aide alimentaire. Il y a des ateliers de conversation en français pour les personnes qui apprennent la langue, des sorties randonnées, des séances gratuites avec une psy, des sessions cuisine ou un réveillon partagé une fois par an en décembre (150 personnes y participent). Les récoltes du jardin sont partagées entre les bénéficiaires. Et les séances bien-être proposées au tarif imbattable de 2€.
Cet éventail n’a cessé de s’étoffer avec le temps. « Quand je suis arrivée, il n’y avait pas d’animateur socio-culturel. On a commencé à prendre des services civiques mais ce n’est qu’en 2014 qu’on a vraiment embauché et que ça a commencé à s’étoffer » raconte la présidente Bernadette Moulin, bénévole depuis 2010 et à son poste depuis une décennie. Corpopétrussienne depuis 40 ans, « et fière de l’être », elle dit s’être engagée pour une cause qui lui semblait juste dans cette ville où 50% de la population est considérée comme pauvre. « Je suis convaincue de l’importance de la chose » glisse-t-elle.
Ce n’est pas la seule, loin de là. « Ici c’est une bulle de résistance. On résiste à la pauvreté et à l’indignité du système institutionnel » résume Céline Renaud, coordinatrice salariée de l’association depuis 5 ans. Assistante de service social, elle est venue ici poussée par sa prédécesseuse : « Cela me paraissait hyper riche humainement. Et je confirme. Mon expérience ici a été plus qu’importante. Tout le monde travaille de façon collégiale, la voix de chacun compte qui qu’on soit, ce qui est assez rare. »
Cette philosophie semble produire des résultats : « Cela se traduit par le fait qu’un certain nombre de bénéficiaires aiment être ici. Ils viennent plus facilement rencontrer les salariés. Il y a un lien social et amical qui s’est développé » explique Bernadette Moulin qui consacre entre 15 et 20h par semaine au Sac à Malices.
Forte d’une trentaine de bénévoles et de 5 salariés (dont 2 à temps plein), l’association soutient environ 70 foyers par mois. Les denrées qu’elle propose proviennent de la Banque Alimentaire mais aussi du supermarché Leclerc de La Ville-aux-Dames, permettant parfois de proposer autre chose que de la nourriture comme du papier toilette ou des produits cosmétiques. Particularité : les bénéficiaires choisissent leurs produits. « Cela nous permet de leur demander ce qu’ils veulent, c’est comme ça que l’on a introduit les épices par exemple » éclaire Céline Renaud. « C’est important de participer à ses courses pour garder de la dignité. »
Autre point central : ici, on paye. 10% du prix de vente initial pour ce qui vient de la Banque Alimentaire, 25% pour les articles acquis par l’association. Cela ramène souvent les tarifs à quelques centimes, 4 à 8€ pour les sorties (avec possibilité de payer en plusieurs fois). « C’est important que les gens ressentent qu’il y a une nécessité à faire un effort financier » justifie la présidente. Par ailleurs, chaque famille a une quantité limitée d’achats dans le mois ainsi qu’une durée d’accès prédéfinie : 9 mois pour la première inscription, puis 6 mois après une pause permettant l’entrée de nouvelles personnes dans la boucle de solidarité.
Ce fonctionnement a été rendu nécessaire par l’explosion de la précarité. Et même comme ça, Le Sac à Malices ne peut pas s’ouvrir à tout le monde. Son épicerie n’est accessible qu’aux personnes qui vivent avec moins de 8€ par jour une fois leurs charges de logement déduites. Essentiellement des familles monoparentales. En revanche, les retraités ou certaines personnes seules au RSA ne rentrent pas dans les critères. « S’il y a un pépin, on ne laissera pas la personne sans rien » assure néanmoins la salariée Céline Renaud qui peut aussi s’appuyer sur les autres structures solidaires de St-Pierre-des-Corps comme l’association Naya ou le Secours Populaire.
Avec quasiment 25 ans d’expérience, le modèle a fait ses preuves. « Ce qui me fait tenir, c’est l’importance de la cause. La nécessité d’être là, de maintenir l’association et aider les gens à mieux vivre. Leur offrir plus de joie » liste Bernadette Moulin. Même si elle s’apprête à quitter son poste, Céline Renaud part avec la satisfaction d’avoir été utile. « On a parfois des mots très forts comme une personne qui m’a dit que ça l’avait sauvée de ce qui se passait dans sa vie. Ou une autre qui se disait libre grâce à l’apprentissage du vélo. On redonne sa place à l’être humain. »
Cela n’enlève pas la douleur de ressentir l’inexorable montée de la précarité. Et pas seulement financière… « Ce qui me fait le plus réagir c’est la solitude » déplore Céline Renaud. « Pour le reste on trouve des solutions pratiques, mais c’est compliqué de voir des personnes qui ne partent jamais en vacances voire ne sortent plus de chez elles. On n’a pas de prise dessus. » Une situation illustrée dans le BD de Thibaut Lambert, qui cite une bénéficiaire disant qu’elle vient aux ateliers uniquement quand on la relance.
Globalement, cet album reflète bien l’esprit de la structure. Décrivant son fonctionnement aussi bien que ses limites. Ou l’appréhension que l’on peut avoir à en pousser la porter la première fois. La preuve que l’œuvre a touché son public c’est que certains bénéficiaires ont été très touchés d’en recevoir un exemplaire. Et s’il y a eu des réticences au départ sur le projet – y compris de la présidente – elles sont aujourd’hui estompées. « L’idée c’était de montrer que la précarité ce n’est pas juste l’absence de moyens et qu’ici humainement c’est hyper riche » insiste Céline Renaud.
Un degré en plus :
Table ronde avec Thibaut Lambert et l’équipe du Sac à Malices ce dimanche 15 septembre dès 15h Salle Ockeghem dans le cadre de la 20e édition du festival A Tours de Bulles. Le plus grand événement annuel de Tours dédié à la BD se déroule tout le week-end Place Châteauneuf avec des dizaines d’autrices et auteurs en dédicace. Mais aussi des animations, notamment pour le jeune public. C’est gratuit.