Il a choisi une orientation rare. Dans le monde, seule une poignée d’artisans ont la même spécialité. Depuis sa maison de Rochecorbon, Matéo Crémades travaille le parchemin. Il le transforme parfois en bijoux ou en objets de décoration mais l’essentiel de son activité consiste à réaliser des rosaces apposées par la suite sur des répliques d’instruments de musique historiques. Nous l’avons rencontré.
Son travail nécessite patience et extrême minutie : Matéo Crémades travaille notamment avec des emporte-pièces de moins d’un millimètre. Cet homme qui a longtemps vécu dans les Hautes-Alpes et l’Ardèche est arrivé à Tours dès 2007 pour y suivre une formation musicale. Le jour de 2014 où il a fabriqué sa première guitare baroque, il a dû réaliser la rosace en parchemin qui allait orner l’instrument. Une étape particulièrement délicate mais dans laquelle il se complait au point de décider d’en faire une activité professionnelle à part entière à partir de l’année 2017.
Ces fameuses rosaces n’ont rien à voir avec celles que l’on découvre au centre des guitares d’aujourd’hui (un trou au pourtour décoré). Il s’agit de véritables petites œuvres d’art accolées derrière les cordes, et dont la seule fabrication peut nécessiter des dizaines d’heures de travail. Un accessoire d’ornement parfois visible par la seule personne qui manipule l’instrument, le rendant inaccessible au public. Un petit trésor dont le savoir-faire se transfère depuis près de quatre siècles. Le processus nécessite une rigueur extrême : la première étape consiste à dessiner un patron avec tous les détails en « grand » format (à peine la taille d’une feuille de papier classique). Matéo Crémades n’imagine pas les motifs lui-même mais s’inspire de ce qui existe déjà : « 99% des rosaces sont copiées sur celles d’instruments anciens qu’on trouve dans les musées du monde entier, par exemple le Musée de la Musique de Paris ou celui de Boston. »
Des rosaces en volume, parfois dorées à la feuille d’or
La plupart du temps, l’artisan débute son processus de fabrication par l’observation de photos quitte à les agrandir pour en saisir toutes les nuances. Heureusement pour lui, l’extrême symétrie originelle lui permet de travailler à partir d’un motif partiel (un quart ou une demi-rosace). Il refait alors le dessin au crayon et à l’encre de Chine avant d’entreprendre sa reproduction en parchemin. Jusqu’à 15h de travail dans les cas les plus complexes. Avec le temps, le Tourangeau a réalisé un véritable catalogue lui permettant d’étudier en profondeur l’histoire des rosaces :
« Elles changent beaucoup selon qu’elles sont faites à Venise, à Rome, en France ou en Allemagne. Certaines sont plus austères, d’autres reprennent les codes de l’art arabo-andalou. Beaucoup d’entre elles s’inspirent des cathédrales et de l’art gothique. J’ai par exemple reproduit une rosace qui reprenait en grande partie les traits de celle de la cathédrale de Beauvais. »
La deuxième étape consiste à travailler directement sur le parchemin, depuis un plan de travail en hauteur pour approcher au maximum le regard de l’œuvre en cours de confection. Les rosaces de Matéo Crémades font généralement moins de 10cm de diamètre, pour harpes et mandolines les plus petites atteignent à peine 35mm, tout juste la taille du bouton qui sert à régler le volume de votre chaîne hi-fi. La matière première est réalisée à partir de peau de chèvre, par l’un des deux parcheminiers encore en activité en France. Ils travaillent pour les copistes qui refont des manuscrits, pour des restaurateurs de meubles, pour des musées… et donc pour la confection d’instruments de musique. Après leur passage dans un bain de chaux, leurs feuilles sont naturellement blanches ou plus foncées selon l’animal (chèvre ou bouc), mais peuvent aussi être teintées en bleu, rose, ou violet laissant apparaître tous les détails de la peau, « parfois on devine même l’échine » précise l’artisan tourangeau.
Un travail primé et remarqué partout dans le monde
Ces parchemins, Matéo Crémades les découpe et les sculpte selon son modèle original, parfois en y ajoutant une décoration à la feuille d’or. La moitié des rosaces qu’il réalise sont planes, l’autre moitié en volume, à plusieurs étages. Pour les clavecins, elles sont même en deux parties : une apposée sur le dessus de l’instrument, et la seconde à l’intérieur de l’ouie. Dans tous les cas, les fines feuilles de parchemin s’y superposent pour souligner les motifs ou apporter des nuances de couleurs. Surprise, malgré la symétrie, « si vous regardez bien chaque motif indépendamment ils ne sont pas pareils. Vues de près, ces petites imperfections rendent la rosace vivante. Un résultat que l’on n’aurait pas avec un laser (l’autre technique de fabrication, ndlr) » L’homme travaille au scalpel et avec sa collection d’emporte-pièces qu’il frappe à coups de maillet. Que faire en cas de raté ? Apparemment, il réussit toujours à rattraper le coup.
Une deuxième vie de musicien
On l’a dit, Matéo Crémades est arrivé à Tours pour y suivre un cursus musical. Il a commencé à Jazz à Tours avant de rejoindre l’université et une formation en musicologie couronnée d’une licence et d’un master : « J’ai eu un coup de foudre pour la musique classique et la musique savante dont je ne connaissais rien avant. » Il intègre alors le Conservatoire de Tours section musiques anciennes jusqu’à se spécialiser dans le maniement de la guitare baroque.
Avec sa compagne, l’artisan est à la tête d’un duo baptisé l’Ensemble Parchemins qui tourne partout en France pour présenter des mélodies du XVIIe siècle, « une musique populaire qu’on pouvait souvent entendre à Naples, Venise ou Rome ; Très accessible et moderne. » Malgré la crise sanitaire, il a pu assurer des concerts lors de cet été 2020 particulier et se produira d’ailleurs à Joué-lès-Tours dans le courant de l’automne.
Primé lors de l’édition 2019 du salon L’Art au Quotidien à Tours, également remarqué au niveau national, le travail de Matéo Crémades s’écoule en France et dans le monde (Espagne, Italie, Etats-Unis, Brésil…). Ses clients sont des luthiers qui réalisent des instruments sur commande et ont besoin d’une personne pour en confectionner la rosace. Le Tourangeau est alors un sous-traitant qui a décroché par mal de clients grâce à sa présence sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram) : « La communauté des spécialistes des musiques anciennes y est très présente » commente-t-il. Après avoir réalisé un saisissant chef d’œuvre aux multiples reliefs, il envisage de proposer des modèles de plus grande taille adaptables sur des lampes ou à placer sous cloche ou sous cadre dans son intérieur. L’artisan compte également proposer sa candidature au Prix Bettencourt qui récompense les meilleurs éléments issus des métiers d’art.
Reportage photo : Pascal Montagne
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