Bourgueil : la grande inconnue des vendanges 2016

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Ce lundi avait lieu le grand départ des vendanges 2016 à Bourgueil. Des vendanges particulières suite au gel d’avril dernier ayant détruit près de 75 % de la récolte en moyenne.

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Les vendanges 2016 ont forcément un aspect particulier pour les 120 vignerons de l’appellation Bourgueil. Outre l’impressionnant chiffre brut des pertes de pieds de vignes suite au gel du 27 avril dernier, celles-ci se révèlent être un véritable casse-tête. Oublié le plan de vendanges habituel, les machines remisées au placard pour l’essentiel, ces vendanges 2016 seront forcément à part. Pour le domaine des Raguenières, quelques jours à peine avant le lancement des vendanges, beaucoup de questions restent ainsi encore en suspend : « On se demande si cela vaut le coup de sortir la machine ou si il est préférable de tout vendanger à la main. Sur certaines parcelles, on risque plus d’abîmer les rangs de vignes qu’autre chose avec la machine » explique Philippine Delachaux, gérante du domaine. « On ne sait même pas par où commencer. D’habitude on a un plan de vendanges qui bouge peu, on sait par quelles parcelles commencer ou non, mais là on est dans l’inconnu ».

img_9773Baguette de vigne vierge de tout raisin, début octobre à Bourgueil

Pour tirer le maximum de ce millésime 2016 qui ne restera pas quoiqu’il arrive comme un bon souvenir, du côté de Bourgueil comme dans les autres appellations touchées du Val de Loire, les vendanges 2016 sont tardives et repoussées au dernier moment, le soleil de septembre aidant à la maturation. « Tant qu’on a pas fini les vendanges on ne peut pas exactement savoir quelle est la perte par rapport à une année normale, mais nous avons attendu que le raison soit à pleine maturité pour commencer à le vendanger afin qu’il exprime tout son potentiel » explique de son côté Philippe Pitault, du domaine Les Pins. Si il faut attendre pour connaître exactement la quantité exacte du millésime 2016, les prévisions tablent sur 15 000 à 20 000 hectolitres au mieux, sur l’ensemble de l’appellation AOC Bourgueil, contre 65 000 hectolitres en temps normal.

« On ne pourra jamais tout protéger »

Lors de notre balade en ce début octobre dans les vignes du Bourgueillois, les rangs de vignes sont en effet clairsemés. Et si les passants y verront de jolies rangées vertes garnies de quelques belles grappes, un rapide regard plus précis permet de se rendre compte de la faible quantité de ces grappes. Pour Philippine Delachaux, jeune vigneronne qui a repris le domaine des Raguenières avec ses parents en 2012 puis seule à partir de 2013, « Certaines de mes parcelles ont été touchées à 90%, d’habitude il y a du raisin partout, là certains rangs sont vides ». Le dernier épisode de cette ampleur remontant au début des années 90 (1991 et 1994), comme beaucoup de vignerons, Philippine découvre cette année les ravages du gel. Contrairement aux précédents épisodes de gel d’il y a 25 ans où les stocks et les trésoreries avaient permis d’atténuer les difficultés, la conjoncture avec de nombreux jeunes vignerons installés depuis quelques années seulement et des trésoreries peu confortables renforcent au contraire cette fois le désastre. « L’équation est simple, avec les ¾ de ma récolte perdue, il faudrait que j’augmente d’autant pour faire le contrepoids, c’est évidemment inimaginable » explique-t-elle. Revient alors comme solution de tenter de lisser le problème afin qu’il soit moins douloureux à l’instant T. « Il n’y a pas de solutions, on doit faire avec » raconte ainsi Philippine Delachaux avec un zeste de philosophie.

img_9774Philippine Delachaux

Cette philosophie on la retrouve également chez Philippe Pitault, comme chez l’ensemble de la profession. « On sait qu’on travaille avec la nature » résume ce dernier. A la tête avec son frère d’un domaine de 30 hectares, employant 5 personnes permanentes, Philippe Pitault a également vu une partie de sa récolte partir en quelques heures. « Je suis d’un naturel optimiste et espère faire une demi-récolte cette année, ce qui serait bien » explique-t-il. Un optimisme du aux dispositifs anti-gel installés sur 7 hectares de son domaine : « Nous avons une tour anti-gel qui protège 4 à 5 hectares et 2,5 autres hectares que nous protégeons avec des bougies ». Des moyens qui ont permis de sauver une partie des vignes, mais qui se révèlent insuffisants à plus grande échelle comprend-on à écouter notre interlocuteur. « Les bougies tiennent douze heures, en 2016 j’ai épuisé mon stock, il n’aurait pas fallu qu’il gèle une autre fois ». A huit euros la bougie en moyenne et à 300 à 400 bougies nécessaires pour protéger un hectare, c’est un investissement de 3000 euros à l’hectare pour douze heures de protection qui est nécessaire. La tour anti-gel revenant elle à 10 à 12 000 euros de l’hectare. Des sommes considérables qu’il faut pouvoir investir, ce qui fait dire à nos interlocuteurs rencontrés ce jour-là que ces dispositifs ne suffisent pas à eux seuls. « La stratégie est claire par rapport au gel » explique Guillaume Lapaque, directeur des Vins de Bourgueil, « il faut un ensemble de pansements dont font partie les dispositifs anti-gels mais avec également une meilleure valorisation des métiers et des appellations, plus de stock en amont, des assurances… On ne peut rien faire contre un tel gel parce qu’on ne pourra jamais tout protéger ».

img_9783Philippe Pitault

«  On espère surtout ne pas perdre de marchés derrière »

Avec 100 millions d’euros de pertes estimées sur l’Indre et Loire, la viticulture vit ainsi une année compliquée avec des pertes que personne ne pourra compenser. Et des aides publiques promises au lendemain du 27 avril, Guillaume Lapaque est clair : « Ce qui pouvait être mis en œuvre l’a été, mais les sommes sont trop faibles pour aider directement les vignerons » explique-t-il avant de détailler : « Les 200 000 euros du Conseil Départemental d’Indre-et-Loire vont ainsi être utilisés pour des études et pour une association qui vient en aide aux agriculteurs en très grande difficulté. Le Conseil régional a redéployé des crédits accordés à la viticulture pour des études sur le gel qui sont en cours et enfin si l’Etat a dégrevé la taxe foncière, ce qui est inscrit dans le code rural, nous n’avons pas de réponse sur le fond d’allègement des charges que nous avions demandé ».

img_9763

Avec 1400 hectares, 9 millions de bouteilles produites par an et un chiffre d’affaires global estimé aux alentours de 45 millions d’euros par an, les vins de Bourgueil représentent un secteur stratégique et primordial. L’appellation de Bourgueil, répartie sur sept communes différentes (Restigné, Benais, Ingrandes-de-Touraine, Saint-Patrice, Chouzé-sur-Loire, La Chapelle-sur-Loire et Bourgueil) représente en effet le cœur du tissu économique local. Un secteur qui plus loin que la perte d’aujourd’hui s’inquiète pour la suite, «  on espère surtout ne pas perdre de marchés derrière » poursuit la gérante du domaine des Raguenières, consciente qu’il faut en moyenne deux à trois ans pour se relever d’une année noire comme celle-ci et qu’il faudra surtout négocier et faire force de persuasion pour retrouver les rayons qui ne pourront être approvisionnés l’an prochain et qui se verront occupés par d’autres appellations.

Crédits photos : Mathieu Giua pour 37°

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