Tramway, Tranchée, Ilot Vinci, Arena, Halles de Tours, CCNT… la liste pourrait encore s’étirer. De nombreux projets sont régulièrement annoncés dans l’agglomération tourangelle, mais beaucoup ont du mal à voir le jour et quand c’est le cas, c’est souvent après de très longues années d’attente. On a essayé de comprendre pourquoi. Notre analyse :
Si la cathédrale de Tours n’est pas la plus réputée des cathédrales de France, les spécialistes s’accordent sur le fait que c’est l’un des édifices représentant un des ensembles les plus complets des différentes périodes architecturales religieuses du pays avec à la fois du roman, du gothique rayonnant ou encore du style renaissance. La raison : sa construction s’est étalée sur près de 500 ans, entre le XIIe et le XVIe siècle.
Faut-il y voir le signe que l’on aime prendre son temps en Touraine pour réaliser des projets d’envergure ? Avec un peu de mauvaise foi et beaucoup de raccourcis, on pourrait se dire que oui, à voir le temps de réalisation des projets urbains structurants aujourd’hui au sein de l’agglomération de Tours.
Régulièrement nommée par les détracteurs de la vie politique locale de « belle endormie » (un sobriquet que l’on retrouve pour d’autres villes également), Tours semble peiner à faire émerger ses grands projets, en effet. On ne compte plus de notre côté les fois où nous avons eu l’impression d’assister à une énième présentation de tel ou tel projet évoqué pendant de longues années à intervalles réguliers, sans que l’on en voit le jour.
Le syndrome des effets d’annonce
Un sentiment renforcé par des effets d’annonce qui trop souvent font « pchit » derrière comme aurait dit Jacques Chirac. Et ce n’est pas le propre de la majorité actuelle, dirigée par l’écologiste Emmanuel Denis. On se souvient que Christophe Bouchet, maire entre 2017 et 2020, avait dévoilé des visuels des futures Halles de Tours, mais que le projet s’est pris dans le tapis de la fronde d’une partie des commerçants du marché couvert, en partie propriétaires des lieux.
Emmanuel Denis n’est pas en reste. Peu de temps après son arrivée à la tête de la ville, l’annonce de la réfection de la place Jean Jaurès avait été suivie d’un volte-face face aux nombreuses critiques s’offusquant du remplacement des bassins d’eau de la place. On se souvient encore de l’annonce lors de ses vœux à la population en 2023, du dévoilement dans les trois mois suivants, du projet de réfection de l’îlot Vinci, à proximité de la gare…
L’Îlot Vinci, un symbole à lui-même de cette lenteur à faire avancer les choses. En partie détruit lors des travaux de la première ligne de tramway, qui rappelons-le, a été inaugurée il y a 12 ans maintenant, cet ensemble de bâtiments est l’une des premières choses que les visiteurs voient en sortant de la gare de Tours. Un ensemble à moitié détruit, promis à des intérêts multiples, immobiliers principalement en raison de sa localisation en plein cœur de ville. Jean Germain, l’ancien maire de la ville jusqu’en 2014 y avait envisagé et dévoilé un projet de bâtiment de grande hauteur, finalement abandonné face aux critiques. Depuis, malgré des projets dans les cartons et des promesses de projets dévoilés prochainement (y compris par Christophe Bouchet, prédécesseur d’Emmanuel Denis), l’îlot fait toujours peine à voir.
Une du magazine municipal de Tours de février 2012, mettant en avant le projet de tour à la place de l’Ilot Vinci, près de la gare.
Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. En parlant de tramway, la 2e ligne du réseau tourangeau sortira de terre au mieux en 2028, soit 15 ans après la 1ère ligne. Dans ce laps de temps la ville d’Angers a inauguré un réseau de 3 lignes et 4 branches en 2023 (La première ligne avait ouvert en 2011).
Tergiversations et alternances politiques
Concernant Tours, la deuxième ligne peine à sortir et ressemble à un serpent de mer. En cas de réélection en 2014, Jean Germain avait promis de lancer ce chantier dans la foulée, pour coller à la première ligne. Battu par Serge Babary, le projet avait un temps été mis de côté par ce dernier, avant de ressortir des cartons de l’agglomération, devenue métropole en 2017. Après de nouvelles études à partir de 2016, un projet avait vu le jour, pour relier les deux hôpitaux Bretonneau et Trousseau. Un projet qui sur fonds de pression des élus de La Riche et Chambray avait finalement conduit à une extension de périphérique à périphérique entre Le Prieuré de Saint-Cosme à La Riche, jusqu’à la Papoterie à Chambray-lès-Tours.
Voté en 2018 par l’ensemble des élus de la Métropole, ce projet va subir de nouvelles modifications après 2020, suite à l’arrivée du maire écologiste Emmanuel Denis à Tours. Finalement exit le passage prévu par le boulevard Béranger, pour cause de trop grands risques sur les arbres du mail, et de nouvelles études sont lancées pour un autre passage par le boulevard Jean Royer, initialement exclu du projet car jugé trop complexe pour la circulation. Finalement, annoncée pour 2023 au départ, la deuxième ligne de tramway verra au mieux le jour en 2028.
Entre temps, depuis 2013, date de la première déclaration politique de vouloir lancer une deuxième ligne, la ville de Tours aura connu pas moins de 4 maires différents et la Métropole autant de présidents. Et c’est peut-être là l’une des principales causes de ces délais. Si l’alternance politique entraine de facto des changements de directions dans les politiques publiques, chaque majorité ayant ses propres orientations et priorités, elle entraine également des revirements importants dans les projets structurants, même si ces derniers sont déjà lancés, quitte à perdre en chemin quelques millions d’euros déjà investis dans des études préalables.
A ce titre on pourrait également citer le projet du futur CCNT, le centre chorégraphique national de Tours, à l’étroit dans ses locaux historiques du quartier Giraudeau. Un projet de nouveau lieu a été lancé en 2016 quand Serge Babary était maire, repris par Christophe Bouchet à partir de 2017, il fut annulé par Emmanuel Denis en 2022, pour raison de coûts jugés trop importants, pour finalement aboutir à un projet moins ambitieux. Là encore, avec l’impression que les choses traînent en longueur, avec 13 années d’attente entre l’annonce initiale du projet et sa concrétisation désormais prévue pour 2029…
Des délais allongés par la complexification des normes
Outre les choix stratégiques différents pris par les élus, l’alternance politique peut compliquer les choses, car la réalisation des projets ne répond pas de son côté au calendrier électoral. En effet, les délais de mise en œuvre de ce type de programmes, forcément complexes, sont longs. Ils ont même été allongés ces 20 dernières années à en croire des élus installés de longue date comme Philippe Briand ou Christian Gatard. Les maires de Saint-Cyr et de Chambray ont en effet publiquement à plusieurs reprises, dénoncé au sein de la Métropole, la complexification des normes qui ont allongé les délais de réalisation : « Aujourd’hui il faut deux mandats pour réaliser des projets que l’on faisait en cinq ans auparavant » avait notamment indiqué l’ancien président de Tours Métropole.
Des complexités dans les normes entraînent parfois des changements de projets en cours, en raison de changements de paradigmes entre temps. C’est le cas par exemple de l’autoroute A 10 qui traverse Tours, pour lequel les études préalables visant à “décarboner” l’autoroute, tout en l’intégrant au tissu des mobilités urbaines, ont duré pas moins de 4 ans. Un projet qui de plus intègre de multiples acteurs : de l’Etat, à Vinci Autoroutes, en passant par la SNCF (l’autoroute enjambant des voies ferrées) et les collectivités locales. De quoi complexifier encore plus la réalisation du programme (sans parler dans ce cas des financements croisés).
L’autre point qui peut ralentir la mise en place de ces projets, ce sont les recours. Souvent le fait de riverains qui craignent des nuisances ou un changement de leur cadre de vie, ces derniers peuvent prendre de longs mois voire années, entre les recours initiaux, les appels, etc… Et aujourd’hui aucun projet ne semble y échapper, faisant parfois traîner les sujets sur le terrain juridique.
Un manque de vision globale pour le territoire
Outre les questions d’ordre administratives et juridiques, il y a aussi, celles financières. Étranglée par des remboursements d’anciens emprunts, la ville de Tours est engagée depuis une dizaine d’années dans une stratégie de réduction de sa dette. Nécessaire et indispensable, mais une situation qui plombe forcément ses investissements et donc ses projets. Si la majorité d’Emmanuel Denis, a pu depuis deux ans, augmenter le volume des investissements municipaux, ce n’est que parce que ce travail sur la dette a été fait auparavant par la majorité précédente, puis la sienne en début de mandat.
Pour réussir à lancer des projets d’envergure, Tours devait surtout dans le même temps s’appuyer sur Tours Métropole, l’instance intercommunale qui de son côté a plus de marge de manœuvre. Si ce fut en partie le cas, néanmoins l’absence de vision globale du territoire d’une partie des élus métropolitains freine les choses, sur fonds de défiance historique entre la ville centre et ses voisines.