En cette mi-juin, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Touraine organise une restitution de l’enquête menée auprès des commerces tourangeaux et de leurs clients. Un sondage étendu sur plusieurs semaines afin d’évaluer le ressenti des uns et des autres dans une période économique trouble, et alors que des débats acerbes opposent la ville de Tours et un collectif de commerçants au sujet des questions de circulation, de stationnement ou de sécurité. Tandis que le sujet est au centre de la campagne des élections municipales 2026, cette présentation est l’occasion d’une rencontre entre les acteurs économiques et les élus. Le rendez-vous de la dernière chance ?
« On n’est pas là pour foutre le bordel mais pour apporter des solutions » nous dit un commerçant du Vieux-Tours, représentant du collectif Sauvons Notre Centre-Ville de Tours. L’homme revient tout juste d’une action de distribution de croissants sur le Pont Napoléon, à la rencontre des automobilistes qui rejoignent le centre-ville. Il se sent galvanisé par les retours positifs des conducteurs autant qu’il s’inquiète après la réception du SMS d’un confrère à bout de forces face à une boutique désespérément vide ces derniers temps.
A ses côtés, la responsable de plusieurs boutiques avance un chiffre pour son magasin arborant l’enseigne d’une grande marque internationale : « -35% de fréquentation » depuis la mise en place du plan Vélival qui vise à créer de larges pistes cyclables partout dans l’agglomération, et en particulier dans le centre-ville (après la Rue Marceau en 2024, une autre est en réfection entre la bibliothèque centrale et la gare, via les rues Voltaire et Buffon). « Tout n’est pas la faute de Vélival mais cela rajoute des barrières supplémentaires. Ça donne le ressenti que les automobilistes ne sont plus les bienvenus en ville » complète-t-elle.
Le mouvement est populaire : plus de 3 500 signatures en 3 mois sur la pétition Internet. Le collectif revendique 241 membres, « d’environ 200 boutiques » nous affirme-t-on, même si la liste reste confidentielle (par peur de dégradations ou de réprimandes sur les réseaux sociaux). Si le chiffre est exact, ça représenterait environ 10% des commerces de la ville de Tours. Leur objectif principal : obtenir la réouverture du Pont Wilson pour les voitures, obtenir 1h30 de stationnement gratuit par jour en centre-ville et stopper la suppression de places de stationnement. « Rien que ça cela pourrait regénérer 20% du trafic perdu » tente une commerçante à qui on demande une estimation d’impact.
« Tout ce qu’on perd aujourd’hui, on mettra du temps à le récupérer, de plus nos fonds de commerces perdent environ 20% de valeur chaque année. Dans le centre rien ne se vend sauf si c’est bradé » poursuivent les représentants du collectif. « En 5 ans je suis passé de 18 à 9 salariés sur mes boutiques » indique une membre entrepreneuse. « Qu’il y ait un problème sociétal, oui, mais on refuse qu’on nous dise que c’est comme ça et qu’on reste attentiste » s’agace-t-elle.
Se décrivant dans une démarche constructive, Sauvons Notre Centre-Ville de Tours a donc constitué un grand dossier avec des dizaines de propositions : création d’une braderie de printemps en écho à celle de septembre, végétalisation des rues, organiser plus d’ateliers créatifs sur les marchés de Noël, créer des « samedis vivants » une fois par mois sur les mails des grands boulevards ou Place de la Victoire, rajouter des bancs ou créer une carte de fidélité à l’échelle de la ville. Presque un programme de campagne, même si le groupe se déclare apolitique (« On s’en fiche de qui appliquera ce plan » dit un membre).
Principale cible du collectif, et très critiquée par les élus d’opposition qui en exploitent la mobilisation, la ville de Tours tente de se défendre. « Nous n’avons aucun intérêt à éteindre le centre-ville, on se tirerait une balle dans le pied » lâche ainsi le maire Emmanuel Denis. L’élu reconnait les difficultés de certains commerces : « Quand tu vois ton business qui s’écroule et ne trouve pas le moyen de renouveler ton offre, je comprends la colère. » « On ne peut pas dire qu’il n’y a pas de crise mais c’est le cas dans toutes les villes » complète l’adjoint au maire chargé du commerce Iman Manzari qui met cela sur le compte des évolutions de mode de consommation.
« Les zones commerciales se cassent la gueule aussi, au profit du ecommerce » assure également le maire pour contrebalancer l’argument selon lequel les clients désertant le centre-ville iraient tous à Ma Petite Madelaine ou aux Atlantes où l’on trouve des places de parking gratuites. Et pour montrer que le cœur commerçant de Tours reste attrayant, il avance des chiffres : 6,3 millions d’€ de revenus pour le stationnement payant en 2024, soit plus qu’en 2019 avant le Covid. Avec en plus une augmentation du nombre de transactions. « Les flux sont là, il y a du monde en ville. On a également des records sur les comptages vélos et on sait que les cyclistes sont de gros consommateurs car ils peuvent se garer facilement. »
Concernant les places de parking, Emmanuel Denis estime aussi avoir fait un geste en ne supprimant « que » 200 places au lieu de 600 envisagées au départ. Surtout, selon lui, « il faut arrêter de dire qu’en supprimant 200 places et en changeant quelques sens de circulation les gens ne viennent pas. Certes le soir il y a des bouchons qui peuvent pénaliser des boutiques mais c’est le lot de toutes les grandes villes. Et pour le stationnement, il y a en moyenne 500 places disponibles en permanence dans les parkings souterrains. »
Ces arguments sont battus en brèche par le collectif commerçant qui souligne par exemple qu’il est parfois « impossible » de trouver des places le samedi soir dans certains parkings souterrains, une restauratrice assurant avoir chaque semaine des annulations de dernière minute pour ce motif. « On a aussi des gens qui ne veulent pas y aller car ils ne se sentent pas en sécurité. » Ils dénoncent au passage l’absence de panneaux indiquant le nombre de places disponibles en entrée de ville, et les pannes récurrentes de ceux installés dans les rues du centre.
« Avenue de Grammont, dans la Tranchée, Rue Charles Gille : là où on a enlevé du stationnement, les commerces ferment » assurent les commerçants mobilisés qui refusent d’admettre l’idée que les cyclistes soient d’aussi bons consommateurs que ce qu’affirme la municipalité : « On n’a pas l’impression qu’ils dépensent plus. » Globalement, elles et il disent : « On veut bien se moderniser, s’adapter, mais il faut qu’on nous aide aussi. La rencontre qui arrive c’est celle de la dernière chance. Si on nous dit non il faut nous expliquer pourquoi et ce qu’on aura à la place. » Et de suggérer encore d’autres pistes comme permettre aux taxis d’entrer dans le périmètre piéton pour ramener plus facilement les fêtards ou la création de places de parking limitées à 30 minutes.
En face, la mairie semble pour le moment rester droite dans ses bottes, confortée par les retours d’expérience d’autres municipalités aux stratégies similaires « dont beaucoup de droite » glisse l’élu Iman Manzari de retour d’une rencontre avec d’autres élus à Montpellier où il a officialisé l’adhésion de Tours à l’association Centres-Villes en Mouvement. « Tout le monde identifie l’idée qu’il faut aller vers un apaisement de la circulation et un embellissement des rues pour que les habitants se réapproprient l’espace public. Si il y avait de l’inaction, on nous le reprocherait quand même. »
Pour conforter son discours, l’adjoint au commerce espère pouvoir s’appuyer sur les résultats de l’étude d’un cabinet indépendant. Convaincre par des chiffres de fréquentation ou des données économiques face aux ressentis qui seront potentiellement en sa défaveur (4 000 clients et 450 commerçants ont répondu à l’enquête de la CCI). Il reconnait néanmoins qu’il y a des actions à mener, par exemple sur la régulation des loyers pour favoriser les indépendants. Réussira-t-il à renouer le dialogue alors que ses chiffres sur la vacance commerciale prétendument plus faible qu’ailleurs sont, par exemple, remis en cause ? A quel point le ressenti est-il proche ou éloigné de la vérité ?