Pour la première fois, la FNSEA cède la présidence de la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire. Avec près de 40% des voix chez les agriculteurs exploitants, la Coordination Rurale est arrivée en tête de l’édition 2025 des élections de la profession et elle a réussi à faire élire sa liste à la tête de la chambre consulaire jeudi 6 mars. C’est donc désormais Bruno Bois qui est l’homme fort et le porte-voix de l’agriculture dans le département. Et sa première grande interview c’est pour 37 degrés.
Il est la preuve vivante que la Touraine est un département extrêmement étendu. Avant son élection à la présidence de la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire, Bruno Bois passait plus de temps à Poitiers ou Châteauroux que dans la métropole tourangelle. « La frontière de l’Indre est à 150m de ma maison » explique l’éleveur-céréalier de 55 ans qui vit à Tournon-Saint-Pierre, soit à 76,2km de son nouveau bureau de Chambray-lès-Tours (1h13 en voiture, via Ligueil, Manthelan et Veigné).
Bruno Bois travaille la terre depuis 1992, lorsqu’il a repris l’exploitation familiale. « Mes grands-parents étaient locataires dans les années 50, mes parents ont pris la suite l’année de ma naissance en 1969 puis ils ont acheté. » De 53 hectares au départ, le domaine en compte 130 aujourd’hui. Elève agricole dans la préfecture de l’Indre, il a longtemps élevé des vaches laitières avant de se tourner vers la race charolaise pour la viande à partir de début 2023. Un troupeau d’une quarantaine d’individus qu’il nourrit essentiellement avec le produit de ses terres (maïs, blé, foin…).
« J’ai travaillé 10 ans avec mes parents, 10 ans avec des salariés, puis les 10 dernières années ont été compliquées avec des salariés à temps partiel » résume celui qui est aujourd’hui seul à gérer ses champs et ses bêtes, un schéma rendu possible en arrêtant notamment de s’occuper des naissances (il achète des bêtes nées ailleurs qu’il élève et revend au moment où elles sont prêtes à être abattues).
Economiquement, Bruno Bois semble dire que son entreprise ne se porte pas trop mal, notamment parce qu’il n’a pas d’emprunt et que l’arrêt de la partie laiterie lui a permis d’éviter de lourds investissements. Pour autant, il décrit un équilibre complexe :
« Il y a eu une explosion des prix en 2022 au début de la guerre en Ukraine mais aujourd’hui le soufflet est retombé avec des prix plus bas qu’avant cette période. C’est difficile de trouver une marge. Il va y avoir plein d’exploitants qui vont avoir du mal à faire face. Les mesures qui ont été sollicitées comme les délais de remboursements de prêts ont du mal à être prises en compte. »
Historiquement engagé auprès de la Coordination Rurale, Bruno Bois s’est syndiqué dès son installation, lorsque l’entité s’appelait encore la FFA pour Fédération Française des Agriculteurs, nom donné après une scission au sein de la FNSEA en 1969.
Même s’il n’a jamais été aux affaires, le mouvement a toujours été fort en Indre-et-Loire : il avait déjà fini en tête en 1995 et revendique actuellement 300 à 350 adhérents sur le département, ainsi qu’une soixantaine de salariés dans sa boutique. « Aux dernières élections de 2019 on faisait 35%. On a progressé mais pas tant que ça. C’est surtout la FNSEA qui s’est effondrée » commente le nouveau président de la Chambre d’Agriculture tourangelle qui estime que la campagne de son équipe a su inciter des abstentionnistes à voter pour elle, tandis que des soutiens historiques du syndicat majoritaire ont « oublié » de mettre un bulletin dans l’urne cette année.
Comment expliquer ce succès du syndicat dont les troupes se distinguent par le port d’un bonnet jaune poussin lors des manifestations ? « Le désarroi des campagnes s’est accéléré depuis deux ans » résume Bruno Bois qui a participé à différentes manifestations ces dernières années. Il résume sa pensée :
« Il n’y a pas de vraie politique de soutien de l’agriculture. On a du mal à respecter ce qu’on nous impose au niveau européen, et on veut faire encore plus blanc que blanc au niveau national, tout en autorisant l’importation de produits sans règles et normes de l’étranger qu’on nous interdirait de faire en France. Je me demande où est la place de l’agriculture familiale française dans tout ça. »
Mais la FNSEA a manifesté aussi, souvent avec les mêmes revendications. « Aucun ministre de l’agriculture n’est nommé sans son aval » assure Bruno Bois pour tenter d’expliquer le renversement. Une bascule qui s’est également observée dans d’autres départements (même si la Coordination Rurale n’a pas forcément réussi à s’ancrer à la présidence, en particulier dans le Loir-et-Cher où la FNSEA s’est maintenue au pouvoir via des alliances avec d’autres mouvements).
Désormais aux responsabilités, la Coordination Rurale d’Indre-et-Loire va devoir faire ses preuves. Premier écueil : tenter de chasser son image de syndicat proche de l’extrême droite. Bruno Bois s’y essaye : « Malgré les étiquettes on est apolitiques. C’est marqué dans nos statuts. Chez nous, il y a des gens de partout. On a des membres en exploitation bio ou en conventionnel par exemple. » Le nouveau président de la Chambre d’Agriculture d’Indre-et-Loire relève aussi qu’il a ouvert le bureau aux syndicats minoritaires, offrant notamment un poste à la Confédération Paysanne (classé à gauche) : « On sait qu’on ne sera pas d’accord sur tout comme sur le sujet de l’eau mais il y en a sur lesquels on se rejoint. »
Ainsi, Bruno Bois espère bien faire de la structure qu’il pilote un meilleur organe de défense des intérêts des agriculteurs. S’il n’était pas dans l’équipe dirigeante de la Coordination Rurale, il avait déjà aux responsabilités dans certaines instances comme la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Pour lui, la Chambre d’Agriculture « c’est le sas pour faire passer des idées aux politiques. C’est là où il faut rencontrer les élus ». Un milieu dont l’agriculteur sait qu’il va devoir épouser les codes policés, ce qu’il commence par faire lors de notre entretien en pesant ses mots à plusieurs reprises.
Alors quel type de président sera Bruno Bois ? Déjà, il ne compte pas abandonner ses terres de Tournon-St-Pierre. Tout juste en mettra-t-il une partie en sous-traitance. Il cherchera aussi à s’organiser pour mener un maximum de rendez-vous à distance et s’appuiera sur ses trois premiers vice-présidents qui ont déjà fait partie du bureau de la Chambre d’Agriculture (Didier Tranchant, Jérôme Lespagnol et Clotilde Boisseau).
Parmi ses grands dossiers : réduire le déficit budgétaire (plus de 380 000€ en 2024 soit environ 5% du budget) et relever le challenge du renouvellement des exploitations après un départ en retraite. Bruno Bois compte également « reprendre en main Ferme Expo », le grand salon de l’agriculture régional organisé en novembre au Parc Expo de Tours et qui mobilise à l’année 3 salariés de la Chambre d’Agriculture. Pas question de le supprimer, mais par exemple de faire des économies sur la logistique ou d’impliquer plus franchement les organisations syndicales agricoles (y compris la FNSEA).
« Notre objectif c’est de représenter tout le monde » assure Bruno Bois avec le ton de la fraîcheur du nouvel élu qui n’a pas encore trop baigné dans les arcanes des cercles administratifs. Et ne veut pas forcément s’y éterniser. « Je m’engage pour 6 ans, on verra après » dit-il. Il faut préciser qu’il n’était pas forcément préposé au poste, la tête de liste de son syndicat ayant décliné la présidence pour privilégier son exploitation et le leader départemental souhaitant rester à son poste. Il semble néanmoins assez fier d’être parvenu là où il est… et ambitieux. « Si on fait du bon boulot il n’y a pas de raison qu’on ne soit pas reconduits » professe-t-il. Réponse en 2031.