« L’urgence culturelle » – Rencontre avec Jérôme Clément

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Cette semaine Jérôme Clément était à Tours pour une soirée avec ses lecteurs à La Boîte à Livres, autour de son essai « L’urgence culturelle » (Grasset). Rencontre avec le Président de l’Alliance française, ancien conseiller de Pierre Mauroy et fondateur d’Arte, pour un entretien sur la place de la culture dans les projets politiques actuels.

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37° : Certains parlent de votre livre comme d’un pamphlet, pourquoi vous a-t-il semblé indispensable d’écrire « L’urgence culturelle » ?

Jérôme Clément : La culture est pour moi une forme d’engagement militant et je pense qu’elle est indispensable à la vie. On a besoin de culture comme on a besoin d’arbres, comme on a besoin de beauté on a besoin de livres et de musique, J’ai l’impression que depuis une dizaine d’années il y a un décrochage dans les rapports entre la culture et les politiques. Pendant longtemps la culture tenait une place majeure dans l’élaboration des projets politiques, à gauche comme à droite. Sous De Gaulle, par exemple, pour qui elle était un aspect majeur de la France. Sous François Mitterrand elle a joué un rôle clef avec Jack Lang et le doublement du crédit du Ministère de la Culture, la fête de la musique, etc. Puis progressivement, la place de la culture a diminué chez les politiques. Aujourd’hui il n’y a plus vraiment d’initiatives politiques en faveur de la culture, comme si l’essentiel de la politique était concentrée sur l’économie, la finance ou la sécurité. Je ne pense pas que ce soit juste, je pense qu’un projet de société doit inclure cette part, qui est peut-être la plus belle, la plus riche de nos aspirations, l’imaginaire, la poésie, le temps perdu…

37° : Le temps perdu ?

Jérôme Clément : Oui le temps perdu. C’est important parce qu’on est toujours pressé, de consommer, d’aller vite, on nous prend, nous les citoyens, pour des producteurs, des consommateurs, des épargnants mais nous ne sommes pas que cela et il est important de reconnaître dans la vie collective la place de la culture.

37° : Le désinvestissement de l’État dans la culture est particulièrement marqué par l’élection de Nicolas Sarkozy, qui s’est revendiqué comme une personnalité plutôt éloigné des codes de la culture. Traditionnellement la culture est plutôt une question portée par la gauche, pourtant aujourd’hui on ne sent pas de la part du gouvernement socialiste une réelle volonté de remettre la culture au centre d’un projet politique.

Jérôme Clément : Quand Nicolas Sarkozy a affiché ses goûts pour les Rolex et l’argent, quand il a critiqué La Princesse de Clève, on n’a pas eu l’impression que la culture le concernait beaucoup. Surtout, il a fait la preuve que l’on pouvait réussir à devenir Président de la République sans être vraiment intéressé par la culture. Ce qui n’était pas le cas de ses prédécesseurs à droite. Pompidou citait Éluard dans ses conférences de presse, Chirac a créée le musée Branly. On a eu l’impression que Sarkozy se désintéressait complètement de la culture, cela a constitué une rupture. On pensait qu’avec le retour de la gauche la culture reprendrait une vraie place. La surprise c’est qu’avec François Hollande on a assisté à une diminution des crédits pendant deux ans, on a entendu un discours assez plat sur la culture, on a vu des changements de Ministres fréquents, comme si la culture était devenue marginale, une sorte de variable d’ajustement, sans intérêt majeur.

37° : Cela n’est pas uniquement lié au contexte global selon vous.

Jérôme Clément : Évidemment il y a une crise économique mais ce n’est pas une raison ! Quand on demandait à Winston Churchill en 1940 si l’effort de guerre entrainerait la réduction des crédits de la culture, il répondait très justement «Pourquoi croyez-vous que je me bats ?». C’est une bonne réponse, qui prouve qu’au contraire plus les difficultés sont grandes plus on a besoin de culture, d’apprentissage, de différences, de rêves. La gauche pendant très longtemps a fait du temps libre une de ses valeurs fondamentales : si elle a fait les congés payés et la réduction du temps de travail c’est pour que les gens aient le temps d’avoir des loisirs, de se détendre et aussi de se cultiver. Ce discours-là est quasiment absent depuis quelques années, y compris depuis l’élection de F.Hollande. Je pense que c’est une grave erreur politique, on doit au contraire donner à la culture une place centrale dans le projet politique parce que c’est un aspect essentiel de notre vie. On parle beaucoup d’identité, de communautés, ces différentes communautés qui composent notre société doivent apprendre les unes des autres, elles doivent se comprendre, elles doivent s’exprimer, elles doivent avoir la liberté de le faire, de s’écouter, de se regarder, de se comprendre et cela passe par la culture. La culture est aussi une arme, c’est un instrument collectif de compréhension de l’autre, d’ouverture à l’autre, on en a grand besoin en ce moment.

37° : Vous êtes ouvert à l’intervention des entreprises privées dans la culture et dans le même temps vous militez pour le retour d’un service public de la culture fort. Les intérêts du public et du privé sont souvent opposés : est-ce que vous n’êtes pas en contradiction ? Comment l’État peut-il réguler l’action du privé dans la culture ?

Jérôme Clément : C’est une très bonne question, c’est vrai qu’en France il y a une tradition : l’État, le pouvoir central, est protecteur des Arts et des Lettres. Depuis Louis XIV, les rois ont toujours protégé les artistes, ça a continué sous Napoléon, ça a continué sous la République, des services se sont constitués pour protéger les monuments historiques, les artistes, le régime des intermittents, etc. Il y a eu beaucoup d’actions pour la création de théâtres, pour le soutien au cinéma, tout un appareil s’est mis en place pour protéger la culture, pour la promouvoir et pour la soutenir, ce qui prouve bien que la culture est un sujet d’intérêt public. En France, les fondations privées ont une place bien moins importante qu’aux États-Unis où l’État intervient peu, il y a peu de crédits fédéraux dédiés à la culture. La-bas on considère que celui qui a de l’argent doit en faire bénéficier la société et l’investir notamment dans la culture, en France nous avons une autre tradition. C’est vrai qu’au moment où les crédits diminuent on se dit que le secteur privé, les entreprises doivent pouvoir aider au financement de la culture. On voit se développer de nouveaux modes de financement, le crowdfunding par exemple, qui est une façon de faire rentrer de l’argent privé dans la culture.

37° : Dans le financement participatif, c’est l’argent des particuliers qui est investi, pas celui des entreprises privées, c’est un peu différent.

Jérôme Clément : Oui. Je crois qu’on peut faire appel à l’argent des entreprises, on le fait de plus en plus. Le mécénat est de plus en plus important parce qu’il y a besoin de trouver des financements, pour aider un festival, pour restaurer un monument par exemple. En tant que Président de l’Alliance Française je cherche de l’argent auprès des entreprises privées pour continuer à développer la langue française dans le monde. Il faut simplement que le rôle qu’on assigne aux entreprises privées soit clair et qu’elles n’empiètent pas sur l’activité elle-même. Il faut trouver un juste milieu, il faut faire très attention. Parfois on peut avoir l’impression que l’activité commerciale prend le pas sur l’activité culturelle. Dans certaines expositions sponsorisées, on peut avoir l’impression que c’est l’exposition qui est au service de la marque. Je pense aussi au festival de Cannes où L’Oréal et Renault prennent une place tellement importante qu’on se demande si les réalisateurs et les artistes ne sont pas à leur service. Cela n’est pas acceptable.

37° : Quelles sont les réactions des politiques à « L’urgence culturelle » ?

Jérôme Clément : Je pense que les questions que je pose interpellent, je crois que les responsables politiques que j’ai vu n’étaient pas conscients, à ce point, de la dérive, ils se rendent compte que peu à peu ils ont quitté ce terrain-là pour ne plus parler que de finance, d’économie, de fiscalité, toutes choses utiles, mais enfin qui ne sont pas toute la vie. Ils ont été surpris. À gauche on me trouve sévère bien sur, je leur réponds qu’il faut être lucide.

Entretien réalisé en partenariat avec Radio Béton 93.6.

Retrouvez cette interview sous format audio ici.

Crédit photo : Nicolas Genin (photo sous creative commons)

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