Bédélire, 30 ans de bandes dessinées à Tours

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Bédélire souffle ses trente bougies en 2023. Il y a un an, la librairie tourangelle spécialisée dans la bande dessinée a été reprise en Scop par ses anciens salariés. Une nouvelle étape pour cette institution, que les nouveaux propriétaires comptent bien continuer à développer.

« Librairie fondée en 1993. » La date est ancrée sur la devanture de Bédélire, une boutique spécialisée dans la bande dessinée du centre-ville de Tours. Cette librairie fête donc ses 30 ans d’existence en 2023. L’histoire aurait pourtant pu s’arrêter l’année dernière quand Brigitte Seguin, fondatrice du lieu avec son mari Grégoire, décide de prendre sa retraite. Mais, loin de vouloir laisser son commerce à l’abandon, une solution lui vient à l’esprit. « Elle a eu l’idée de vendre son bébé à l’équipe en place », raconte Manon, l’une des nouvelles gérantes. Les anciens salariés reprennent alors l’affaire en Scop (société coopérative et participative). « La coopérative est née d’une envie de créer une nouvelle dynamique dans notre groupe et de pouvoir financer le rachat », justifie-t-elle. Sans cela, l’opération se serait avérée bien plus compliquée.

Jérémy, Thomas, Olivier, Manon et Cyrielle sont désormais les propriétaires de Bédélire. Au moment de la reprise, il se font accompagner, notamment par l’Urscop, l’Union régionale des Scop. Ils s’inspirent par ailleurs d’autres librairies rachetées en coopérative partout en France. Des modèles qu’ils ont dû adapter car, bien souvent, cette solution est utilisée en cas de création ou de sauvetage d’entreprise, comme cela a été le cas pour Les Volcans, à Clermont-Ferrand. « Nous sommes libraires. Acheter et diriger un commerce est un autre métier. Il faut acquérir de nouvelles compétences, voir la librairie autrement, s’investir autrement, penser des projets, rêver… Mais le bilan est très positif », assure Manon.

Conscients du cadeau qui leur a été offert, les gérants ont parfois ressenti une légère pression. Car Bédélire reste une institution pour les passionnés de bandes dessinées, comics et autres mangas. « Créer une libraire indépendante est un sacré défi et nous sommes admiratifs de ceux qui le font, comme La Vagabonde ou Les Temps sauvages. Nous, nous avons hérité d’un beau cadeau mais nous avions peur de ne pas avoir les épaules pour le porter. Nous voulons être à la hauteur car nous avons conscience que l’on a une belle structure. Nous souhaitons réellement la faire évoluer. »

De nouvelles missions

La mission principale des propriétaires reste la même : accompagner, conseiller, être à l’écoute, rendre curieux, faire découvrir… « Le conseil et la médiation sont le cœur de notre métier de libraire. C’est ce qui nous anime tous », juge Manon. Mais chacun a désormais de nouvelles tâches liées à la gestion, au bon fonctionnement et au développement de l’entreprise. Manon s’occupe par exemple de l’administratif, Jérémy est responsable de la gestion des stocks des collections adultes et Cyrielle se charge du fond militant féministe. Chaque place est importante et aucune ne prend le dessus sur l’autre. « Chacun a son mot à dire dans les décisions. C’est un nouvel équilibre avec lequel on se familiarise encore mais que l’on aime beaucoup », indique-t-elle. L’investissement au sein de la librairie est, lui aussi, différent. « C’est notre bébé à nous maintenant. Nous nous retrouvons souvent pour discuter. C’est une autre façon de travailler et de s’investir. Nous ne comptons plus nos heures. »

En reprenant Bédélire, Manon et ses collègues voulaient à tout prix garder l’âme et l’authenticité du lieu. La boutique fait son apparition dans la rue du Commerce en 1993. Grégoire et Brigitte Seguin arrivent alors tout droit de Bordeaux (Gironde). Quelques années plus tard, le libraire part travailler aux éditions Delcourt. Sa femme devient la seule gérante. « La librairie s’est agrandie au fur et à mesure avec la volonté d’avoir une vraie identité, de se retrouver dans un imaginaire très marqué », explique Manon. Le pari est réussi. Avec son hublot dans la vitrine, sa barre à roue accrochée au plafond à l’intérieur et ses boiseries, les clients semblent immergés dans le Nautilus, le sous-marin du Capitaine Némo dans « Vingt mille lieues sous les mers », de Jules Verne. « Le magasin a une identité forte, que l’on est fier de porter. Il fait rêver et nous voulons continuer dans cette voie. »

Des rayons qui s’étoffent

Conserver l’esprit d’origine, tout en y apposant leur style. Voilà ce que désirent finalement Jérémy, Thomas, Olivier, Cyrielle et Manon. Cela commence quand Morgane – depuis remplacée par Cyrielle – met en place un rayon consacré aux ouvrages féministes, en 2020. Les clients y trouvent des bandes dessinées, bien sûr, mais aussi des essais ou des romans. Un rayon valorisant les thématiques liées à l’environnement a également vu le jour. Car, si les albums d’« Astérix et Obélix » restent indétrônables en termes de ventes, Manon constate que le paysage éditorial a beaucoup évolué depuis quelques années. « La BD change et s’ouvre à tous. Il y a eu le boom des mangas, il y a aujourd’hui beaucoup de bandes dessinées documentaires, de romans graphiques… Le féminisme et l’environnement sont des thématiques de plus en plus présentes. Nous nous sommes dit que nous allions faire des tests pour ces thématiques et cela a très bien marché », déclare Manon.

Les propriétaires ont à cœur de se diversifier en proposant des nouveautés, sans jamais se séparer de références présentes dans les rayons. Ils essaient pour cela d’aussi prendre en compte les demandes des clients. « L’avantage, c’est que l’on est cinq libraires. Nous pouvons nous répartir les lectures et être au fait de ce qui sort. Chacun a ses appétences, ce qui permet de s’adapter au mieux. »

Depuis la reprise, en août 2022, les gérants du commerce tourangeau ont par ailleurs créé un book club. Tous les mois, dans un lieu différent, une autrice présente l’un de ses ouvrages et parle de quelques livres qui l’ont marquée. « Nous souhaitons montrer que la librairie est mobile », signale la présidente de la SAS (société par actions simplifiées). Toujours avec cette envie d’exporter la libraire hors les murs, les propriétaires s’engagent également dans de nouveaux partenariats, avec MAME, la bibliothèque de Tours ou certains bars de la ville par exemple, et s’associent régulièrement à des festivals, comme À Tours de bulles, le festival BD Boum à Blois (Loir-et-Cher) ou le festival Désir… désirs. C’est d’ailleurs à l’occasion du trentième anniversaire de ce dernier événement que Manon et ses collègues ont lancé le premier salon du livre queer, en février 2023. « La deuxième édition aura lieu en juin 2024, pour lancer le mois des fiertés, précise-t-elle. Nous voulions créer un dynamisme autour de la littérature militante queer et féministe, qui prend de plus en plus de place. »

Faire face aux grandes enseignes

Au fil des années, la librairie indépendante a réussi à se faire une place face aux grandes enseignes, comme la Fnac, Cultura ou Amazon. « Il y a eu un travail impressionnant de l’équipe d’origine, l’ambition et la petite folie de créer ce lieu et cet univers. L’équipe a soutenu ce projet. Ils ont tenu le pari de fidéliser une clientèle et d’en trouver une nouvelle avec le temps. » Un public qui s’élargit, donc, et qui se féminise de plus en plus. « La BD est pour tout le monde. Elle a longtemps été dénigrée mais elle reste une lecture, un art à part entière », estime Manon. L’agrandissement de Bédélire en trente ans montre que le modèle économique fonctionne. Aussi, les salariés tissent un lien indéfectible avec les clients, ce qui n’est pas possible sur Internet ou dans de très grands magasins. « En face de nous, il y a des humains. C’est un métier de médiation et ça c’est indispensable. Tant que les gens auront conscience de ça, ça fonctionnera face aux géants », considère la Tourangelle. Selon elle, il est important de communiquer sur les dessous du métier : « Il faut faire comprendre aux gens que c’est normal d’attendre lorsque l’on commande un livre en boutique car il y a d’autres personnes qui travaillent derrière. Il faut également qu’ils prennent conscience que le prix des ouvrages n’est pas plus cher en magasin. »

Cette place de choix auprès des clients tourangeaux, les gérants comptent bien la conserver. Pour cela, Jérémy, Olivier, Thomas, Manon et Cyrielle souhaitent continuer à proposer des événements hors de la librairie, entamer de nouveaux partenariats et développer le book club. La présidente de la SAS annonce par ailleurs de petits changements de décoration, à découvrir dans les mois à venir. Puis Manon imagine, pourquoi pas, un agrandissement de Bédélire. Un projet à très long terme qui, pour le moment, « reste encore un rêve ».

Un degré en plus

L’équipe de Bédélire organise une soirée au Bateau ivre, à Tours, samedi 21 octobre, à partir de 19 h, à l’occasion des 30 ans de la librairie et de la première année de la Scop. Au programme : battle dessinée opposant les Tourangeaux (Serge Pelé, Mayeul et Simon Hureau) au « reste du monde », suivie d’un concert du groupe Nonne et d’un DJ set de Scoupapourela & The spicy peaches. Tarifs : 10 € ; 8 € pour les détenteurs du PCE. Réservation sur le site du Bateau ivre.

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