Premier EP de Beat Matazz : Galaxies intérieures

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Il aura fallu quelques très beaux brouillons à Marco, 27 ans, pour enfin oser sortir ce qui mûrit en lui depuis une décennie : un kaléidoscope brûlant de sons ciselés, d’ambiances contrastées, de mélodies douces-amères, de sueurs froides et de ruptures brutales, de mots, de maux et de silences. Neuf ans de gestation, un an et mille heures principalement nocturnes en salle de travail et un accouchement, pas douloureux mais très fébrile, ce 12 février 2015.

Note de l’auteur

Le critique musical au bord du précipice. C’est une invitation à un voyage éphémère que nous a proposé Marco, un exercice de style rare : une seule et unique écoute, un soir, entre une journée de boulot et une conférence de rédaction nocturne, cinq titres, un carnet, un stylo, 20 minutes. Pas facile quand on aime bien pouvoir -écouter les morceaux 10 fois sur plusieurs jours avant de peaufiner sa chronique… Frustrant, mais intéressant.

Portrait Beat Matazz V2 Credits Nicolas Deslions

Une histoire de Matazz

Il y a un peu moins de 22 ans, l’immense rappeur mi-bostonien mi-new-yorkais Guru faisait des infidélités à Gang Starr, son mythique duo avec Dj Premier, pour sortir son premier JazzMatazz, une rencontre inoubliable entre le jazz et le hip hop qui allait faire des centaines de petits bébés, dont certains naissent encore aujourd’hui.

Le jazz compte, certes («matazz» est une déformation du mot «matters», qui signifie «compte», dans le sens «avoir de l’importance» ndr), mais le rythme, hein ? Il sent le pâté ? Batteur dans l’âme et dans la vraie vie, Marco fait ressortir dans le choix de ce nom quelque chose qui s’ancre dans une tradition musicale primitive et complexe, à la fois techno, hip hop, jazz et rock, mais aussi sans aucun doute dans cette pulsation première, le truc qui le fait se lever le matin et se coucher très tard la nuit.

Heart (also) matazz

«Je n’ai jamais été aussi angoissé que maintenant, avant la sortie de cet EP. J’ai l’impression d’avoir tout donné, de me mettre artistiquement, esthétiquement et personnellement à nu comme jamais je ne l’ai fait auparavant.» Une sensation de jeune premier qui pourrait surprendre de la part de quelqu’un qui a démarré sa carrière à 17 ans et qui a déjà laissé voir l’étendue de son talent dans différents projets, de Funktrauma à Madera Em Trio.

Après écoute de la chose, on comprend mieux. Marco donne tout en effet, et plus encore, et nous ouvre les portes d’un royaume à la fois tout proche et singulièrement dépaysant, objet musical non identifiable, bousculant tous les repères comme ont pu le faire à leurs début des gens comme Tricky, Björk ou Depeche Mode, ou par chez nous Katerine ou Miossec, rappelant de manière éblouissante que la musique se réinvente sans cesse quand elle se retrouve entre de bonnes mains.

«La symphonie des glaces», track by track

 EP 5 titres, 25 minutes environ, mixage additionnel par Etienne Faguet

 Track #1. «La symphonies des glaces»

Une intro soft, un rap francophone au flow plutôt doux – plus Mc Solaar que Nivek – porté notamment par une caisse claire très travaillée, à la Krush/Shadow, deux autres artistes chez qui le «rythme compte». Beaucoup. Quelques chœurs très sobres complètent le tout, fruits d’un important travail sur le chant et la voix par Marco ces derniers temps. La patte Beat Matazz est déjà là.

Track #2. «Good sensations» (feat. Stephen Besse & Carl Cordelier)

Changement déjà radical. Glaces fondues et chaleur immédiate, un son très 70s, une ambiance chaloupée évoquant Prince et Fun Lovin’ Criminals, un souffle acoustique, la touche de l’autre ex-Funktrauma Stephen Besse au Fender Rhodes, un flow qui débarque tardivement, contre toute attente, et quitte les rivages du hip hop pour basculer vers le spoken word. «Je sais l’évasion qui fait sens» indiquent les lyrics au passage, avant que la structure complexe de ce morceau nous emmène vers un final plutôt sale et bruyant, histoire de nous rappeler qu’on n’est ni au pays des bisounours, ni dans celui de l’easy listening.

Track #3. «Duty»

En intro, peut-être le plus gros clin d’œil à Funktrauma et à sa fausse délicatesse de gros matou toujours prêt à bondir. Un gros beat, très deep house, vient vite habiller une ambiance qui joue avec les codes de l’électro et revisite tranquillement différents courants de la techno, qu’on retrouvera dans «Someone», un final totalement décomplexé. La seconde partie tourne là aussi un peu vinaigre, le flow se faisant plus tranchant et les intonations vocales un peu moins amicales.

Track #4. «Horizon»

Le sommet de cet EP. L’Angleterre (Marco en est à moitié), sa brume, la BO de Broadchurch, un sample de piano comme égaré, des chœurs inquiétants très coldwave, un son de synthé «vocal» antique en intro, des nappes de synthé lointaines et éthérées, un détricotage minutieux de l’ensemble au fur et à mesure de sa construction (une espèce d’auto-déconstructivisme en quelque sorte !). Côté «chant», c’est un autre voyage, entre du Fauve dompté et du Jean Bart déterminé, des intonations gainsbourgeoises, le tout perturbé par des parties de human beat box puissantes…

Une leçon de musique, une claque, de la drogue dure.

Track #5. «Someone»

Marco n’oublie pas que toute bonne chose a une bonne fin. Et que ça se termine forcément sur le dancefloor. Comment expliquer que quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de la Hacienda, cette boîte mythique de Manchester (1982-1997), est capable d’en résumer la substantifique moëlle, en 2015, en un seul «dancefloor killer» efficace ? Ce sont les mystères insondables des histoires musicales personnelles de chacun. Au-delà d’un véritable appel au mix (Weshokids, Janski : au boulot ;-), ce final nous replonge avec joie (mais un peu de mélancolie quand même, marque de fabrique du genre) dans l’époque dorée et kitsch de l’acid house, mais aussi des grandes heures de la French Touch – la vraie, période FCom/DjCam/De Crecy/Dimitri/Garnier/Llorca.

Le «No one has ever said such things to me/and it’s nice ! Oh oh oh oh» et divers samples de voix nous redonnent ce sourire extatique/ecstasyque un peu niais, en quelques minutes. Un EP qui avait commencé dans la ouate et qui finit en boîte.

 Crédit photo : Nicolas Deslions – Beat Matazz

 

 

 

 

 

 

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