Le soundpainting : « une création mouvante et éphémère de toiles visuelles et sonores. »

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Tout le mois d’août nous vous proposons un Best-of des articles publiés depuis septembre dernier. Aujourd’hui retrouvez cet article sur le Tours Soundpainting Orchestra qui fête ses 10 ans à la fin du mois.

Aujourd’hui la rédaction de 37° accueille une collaboration ponctuelle avec cet article écrit par Augustin Legrand.

Imaginée à Woodstock, en 1974, par le jazzman Walter Thompson, le soundpainting est une pratique peu connue du grand public, caractérisée par un effort singulier de recherche constante qui offre à ses participants de nouvelles pistes de créativité sonores et visuelles. En France, les ensembles professionnels se multiplient depuis près de quinze ans, parmi lesquels le TSO (Tours Soundpainting Orchestra) dont la chef d’orchestre, Angélique Cormier, nous explique son parcours et son ressenti, bien utiles au bon décryptage de cette forme d’expression à multiples entrées.

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Le soundpainting est un langage de création artistique unique en son genre. Plus précisément, il s’agit d’une gestuel élaborée à partir d’environ 1200 signes et qui permet à un ensemble pluridisciplinaire (musiciens, danseurs, comédiens, plasticiens) d’exécuter des partitions qui, sur scène, évoluent en « temps réel » selon les ordres du soundpainter et les réponses improvisées de l’orchestre.

« Le soundpainting peut se définir comme une création mouvante et éphémère de toiles  visuelles et sonores. » explique Angélique Cormier. Cette pianiste, chanteuse, danseuse, compositrice et professeure de musique s’est lancée dans l’aventure en 2005, après être tombée amoureuse de la discipline lors d’un Master Class du saxophoniste-soundpainter Vincent Lê Quang. «J’y suis allée par simple curiosité et je suis ressortie en réalisant que c’était le parfait point de rencontre de tout ce que j’aimais, de tout ce que je pratiquais. Après ce stage, je savais que c’était ce vers quoi je voulais aller. »

La jeune femme décide alors de contacter Walter Thompson qui l’invite à un premier Master Class parisien. Elle se  forme au Etats-Unis pendant plusieurs semaines, toujours auprès du maître, et participe à son tout premier « Think Thank » (laboratoire d’idées), une réunion annuelle durant laquelle les soundpainters du monde entier échangent et (ré)inventent les signes de ce langage. « J’y suis allée cette fois vraiment au culot et je me suis finalement sentie parfaitement dans mon élément. J’ai été totalement confortée dans mon envie d’être certifiée pour créer mon propre orchestre. »

Angelique Cormier_1

Angélique Cormier

Quels signes et pourquoi faire ?  

Pour faire simple, la syntaxe du soundpainting contient quatre principales catégories de gestes : Qui, Quoi, Quand, Comment (Who, What, When, How). Une syntaxe qui se divise en deux catégories que sont les éléments de Sculpture et de Fonction (Sculpting gestures et Function signals). Les signes de Scupture indiquent « quel » (what) est le type de matériau visuel, sonore ou chorégraphique à utiliser et « comment » il doit être exécuté (How). Tandis que les signes de Fonction indiquent « qui » exécute (Who) et « quand » commence l’exécution (When).

« Tout cela peut paraître abstrait, compliqué et même un peu barbare sur le papier. Mais en réalité, les signes sont très simples, rassure Angélique. Ils sont accessibles à tous, même aux enfants avec lesquels on obtient des résultats vocaux, visuels ou bruitistes impressionnantsIl n’y a pas besoin d’avoir de véritables notions musicales, puisque les signes sont à la fois suffisamment simples et ouverts pour amener les gens à produire librement de jolies sons qui sortent de leur imagination. Surtout, lorsque j’explique ce qu’est le soundpainting, j’insiste aussi sur la portée universelle de ce langage. »

 Soundpainting

exemples de signes

Une autre forme de conversation

Si la métaphore picturale semble aller de soi pour désigner le soundpainting, le terme de « conversation » semble tout aussi approprié. Le Soundpainter et l’ensemble ne font rien d’autre que parler une langue qu’ils connaissent tous les deux. A partir de signes empruntés aux fondements même de la communication (Who, What, When, How), ils entament une discussion, sans savoir à l’avance quelle tournure prendra l’échange. « L’intérêt de ce processus créatif est indéniable. De plus en plus de gens le comprennent. Je suis d’ailleurs amenée à travailler avec beaucoup de personnes handicapées, dans le cadre de l’éveil musical, ou dans des sociétés qui souhaitent partager un moment d’expression. »

C’est sur ce principe de « conversation sonore et visuelle improvisée » que le TSO a développé les projets qui ont fait sa réputation dans les milieux musicaux, théâtraux ou de l’impro. On peut citer « Meet Myth in NYC » ou « Looking For John « , aux allures de performances de rue, des collaborations avec la compagnie Strike Anywhere et le WTO (Walter Thompson Orchestra) ou plus récemment « Tribute to the Beatles« . « Si l’idée de faire de la musique avec des gestes a toujours existé à travers la musique classique et même des artistes comme John Zorn ou Franck Zappa, le soundpainting se distingue par sa volonté de ne pas seulement diriger un orchestre mais bien de composer une impro. »  

 TSO + WTO

C’est par la scène que tout se construit

Sur scène, Angélique est dans son élément. Elle semble laisser voguer son corps dans une écume bouillonnante et colorée. Changeante et même imprévisible aussi, car aucune performance ne peut, de facto, ressembler à la précédente. Chaque comédien et musicien obéissent, comme ils l’entendent, aux ordres et ajustements de la soundpainter. « Tout l’enjeu est de donner du sens à tout ce trop plein de liberté. C’est là où est toute la difficulté, mais également tout le plaisir », partage Angélique. Parfois, elle pince ses doigts, pour qu’un seul musicien baisse d’un ton, d’un demi-ton ou qu’il assure un son tenu. Parfois, elle entrelace ses doigts pour qu’au contraire l’orchestre se synchronise.

L’importance de la scène n’est pas sans rappeler l’influence cinématographique sur laquelle s’appuie la chef d’orchestre. « Je suis très cinéphile, donc j’imagine le soundpainting comme des scènes de films, avec différents plans. C’est aussi une sorte de cinéma dont chaque action évoluerait en direct. J’essaie de me nourrir sans cesse d’images, de sons et de tout ce qui a trait au travail de composition. » Car, en soundpainting, tout ne dépend pas de la virtuosité d’un violon ou de la puissance d’une guitare électrique. Tout passe aussi par l’intensité narrative de tous les interprètes. « Les comédiens conseillent les musiciens et inversement. C’est un vrai travail collectif. »

Angelique Cormier_2

Les pistes pour une plus large reconnaissance

Le soundpainting est en perpétuelle mutation et l’art volubile qu’il constitue est actuellement en pleine ébullition. Car, il est désormais reconnu comme un outil idéal d’exploration de son intuition et de sa créativité artistique. A condition, bien sûr, de ne pas avoir l’esprit trop étroit. « Comme toute discipline, le soundpainting est laissé à l’appréciation de chacun. Il ne peut donc pas être du goût de tout le monde. Or, c’est toutefois sa seule limite. Car tout est possible en soundpainting, même d’obtenir des sonorités superbes avec des appareils de chantier, comme nous l’avons déjà fait. »

Reste maintenant à savoir si l’avenir de ces orchestres un peu spéciaux passe par une institutionnalisation. En 2013, l’International Soundpainting Federation a été créée, tandis que la première édition du Soundpainting Festival s’est tenue la même année. L’idée de créer des écoles spécialement dédiées est également souvent évoquée. « L’institutionnalisation est une des voies pour faire perdurer la discipline et l’aider à se faire d’avantage connaître et reconnaître. Mais, je ne suis pas certaine qu’il n’y ait pas un risque de récupération trop académique qui pourrait faire perdre au soundpainting tout une partie de son originalité. Là-dessus, je suis encore partagée », conclut la jeune femme. Une chose est sûre, c’est que le soundpainting a pris acte de toutes les passerelles inexplorées existantes entre les arts visuels et sonores, de même que celles entre free jazz, musiques actuelles et orchestration symphonique.    

Augustin Legrand

Plus d’infos sur les stages et représenations sur le site : www.tourssoundpaintingorchestra.com

Crédits photos : Guillaume Le Baube

 

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