Terre d’archéologie

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Fermes gauloises, cimetières, églises… Le sous-sol de la Touraine conserve de nombreuses traces du passé. Rencontre avec celles et ceux qui fouillent pour les dévoiler et percer leurs mystères.

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L’été dernier, Élisabeth Lorans et son équipe ont mis au jour un moule à cloche sur le site de Marmoutier, à Tours : « on ne l’a pas identifié tout de suite, jusqu’à ce que l’on retrouve des éclats de bronze » explique la professeure d’archéologie médiévale à l’Université de Tours. Datant du XIIIème siècle, l’ustensile a vraisemblablement servi à fabriquer sur place la cloche de la majestueuse abbatiale construite ici, mais démolie après la Révolution. Une découverte de plus sur le terrain de l’abbaye, où une campagne de fouilles dites « planifiées », financée par la ville, est menée chaque année depuis 2005, pour compléter les premiers travaux achevés en 1982.

Au pinceau, avec des outils de dentiste, plus rarement à la pelleteuse… En treize ans, plusieurs zones ont été inspectées : l’ancienne hôtellerie, qui atteignait 50m de long avant d’être détruite aux deux-tiers au XIXème siècle ; les terrasses, où des tombes creusées dans la roche ont été retrouvées ; et les fondations des différentes églises construites au Xème siècle, à l’époque romane puis à l’époque gothique. Ce dernier chantier reste à ciel ouvert, permettant par exemple d’observer la crypte avec son caveau aux murs gravés par les moines.

Site religieux majeur et singulier, Marmoutier n’a pas encore révélé tous ses secrets. Mais avec les fouilles l’histoire se complète petit à petit. Grâce à elles, on a récemment pu apprendre que l’abbatiale avait en partie été dynamitée dans les années 1800. Pour diffuser ces informations, des panneaux explicatifs retraçant le passé du lieu ont été installés en septembre. La première étape d’un projet plus vaste de la mairie de Tours qui veut obtenir le classement intégral de Marmoutier en tant que Monument Historique et ouvrir plus fréquemment ses portes aux visiteurs.

Il y a 5000 ans d’histoire contenus dans 50 cm de terre.

Moins visible, la transmission des savoirs constitue l’autre grande mission des archéologues. Un travail colossal d’écriture de rapports qui demande des mois, voire des années, avec en prime la nécessité de rendre leur contenu accessible au grand public. Dans ce domaine, le service archéologique du Conseil Départemental d’Indre-et-Loire innove avec des tablettes tactiles via lesquelles on peut visualiser les espaces disparus ou vides : « elles seront disponibles en décembre à la Cité Royale de Loches et en mars-avril à la Forteresse Royale de Chinon » précise Bruno Dufay, le directeur, à la tête d’une équipe d’une dizaine de personnes. Persuadé que « ça ne sert à rien de fouiller si on ne publie pas », il s’attache en outre à valoriser les fondations anciennes du Prieuré St Cosme de La Riche.

Créé en 2004-2005, son service fonctionne avec un budget annuel de 200 000€. « Ce n’est pas une obligation mais un choix du département » insiste-t-il. Ainsi, en Centre-Val de Loire, seuls l’Indre-et-Loire, le Loiret, l’Eure-et-Loir, les agglos de Chartres, Orléans et Bourges ont leurs propres archéologues : « à l’époque les élus ont travaillé sur de grands projets ayant un impact archéologique au Grand-Pressigny, à Loches ou au Prieuré St Cosme et ils se sont vite rendu compte que ce n’était pas plus mal d’avoir une équipe maison. »

Cette décision a favorisé des découvertes… Au Prieuré St Cosme (450 sépultures !), sur le chantier de la LGV à Nouâtre (des armes des guerres de 1870-71 et 14-18) et surtout dernièrement à la Cité lochoise : « on a trouvé des vestiges sous le sol du jardin du XVème siècle, situé à l’emplacement de bâtiments rasés. Il y avait là la grande salle d’un palais médiéval de 490m², parmi les plus vastes de l’époque, si bien qu’on a d’abord confondu sa largeur avec sa longueur » révèle Bruno Dufay. De quoi confirmer que Loches était alors un poste de pouvoir très important avant de passer le relais à Chinon (après quoi la grande salle a notamment servi d’atelier de taille de pierre). Mieux encore, cet été des fondations en bois ont été mises au jour au même endroit, probablement celles d’un autre palais du IXème ou Xème siècle qui aurait brûlé, ce que l’on ignorait jusqu’ici.

Ce n’est peut-être pas terminé : « on peut remonter jusqu’à 4 000 ans avant Jésus-Christ. Il y a 5 000 ans d’Histoire contenus dans 50cm de terre » explique Bruno Dufay qui s’attend à trouver « des objets en céramique de toutes les époques ou des silex taillés. Ça prouve qu’il y a eu une occupation du site, mais de là à savoir comment c’était organisé, cela risque d’être très compliqué. » D’ailleurs, « on ne trouve pas des trésors tous les jours, 95% de ce qu’on déterre ce sont des os de poulets ou des bouts de céramiques » prévient l’expert, « de temps en temps des bijoux ou des fragments de tissus. » Parfois ça suffit : « la céramique ça se casse facilement, donc les gens en rachetaient. Comme la mode évoluait beaucoup cela nous permet de déterminer facilement de quand elle datait. En fait, on fouille les poubelles » ironise l’archéologue.

A force de persévérer, ça paye : on peut ainsi dénicher des graines de moutarde conservées dans de la terre brûlée, étudier des interventions chirurgicales sur un crâne des centaines d’années après le décès (pour traiter des crises d’épilepsie, soigner une prétendue folie ou résorber un traumatisme)… Encore un exemple : à Amboise, « grâce à l’urbanisation intensive, on trouve à chaque fois des morceaux de ville gauloise. Petit à petit, on arrive à avoir une image de la ville à cette époque. » Des traces de fermes gauloises avec leurs pâturages sont également régulièrement identifiées à Tours Nord, dont une au moment de l’édification du centre de maintenance du tramway.

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Des trésors sous les casernes Beaumont-Chauveau ?

Début juillet, la ville de Tours a annoncé que des fouilles complémentaires allaient être entreprises sur le site des anciennes casernes Beaumont-Chauveau, là où elle prévoit de construire un nouveau quartier de 550 logements chiffré à 20 millions d’euros. Mais voilà, ce terrain de 10 hectares est aussi celui de l’ancienne abbaye de Beaumont fondée en 1002. Les sondages effectués il y a quelques mois ont révélé la présence de vestiges et même de sépultures antérieures à la construction de l’édifice religieux, remontant peut-être au VIIIème voire au VIIème siècle.

La Société d’Équipement de la Touraine – chargée de l’aménagement du quartier – doit donc organiser la tenue de ces fouilles qui pourraient durer un an. « Cette abbaye était la plus grosse de la région après Marmoutier », rappelle Jean-Luc Porhel aux Archives Municipales de Tours. « Abbaye Royale, plus ancienne que Fontevraud, c’était une des grandes abbayes de femmes de l’Ouest qui a subsisté jusqu’à la Révolution et sur place on pourrait trouver de grands éléments » ajoute-t-il.

Dans le milieu archéologique tourangeau, et chez les passionnés d’Histoire, cette perspective fascine. Des traces plus ou moins importantes des dortoirs, de l’abbatiale ou du cloître pourraient être identifiées : « il faudra regarder ce que les archéologues trouveront, tout dépend du niveau de détérioration des éléments » nous dit un observateur.

Reste à savoir ce que décidera l’État une fois le rapport de fouilles rendu. S’il estime que le site est exceptionnel, ou en tout cas qu’une partie doit être préservée, il pourrait exiger une modification du projet initial. Il est également envisageable qu’il demande la préservation des vestiges en sous-sol en les protégeant par une dalle de béton par-dessus laquelle il autoriserait la construction d’immeubles. Il serait même imaginable de laisser, sous terre, un accès aux archéologues ou aux visiteurs tout en aménageant le quartier.

A Tours, 1.5% à 2% de la ville ont été fouillés

Car l’autre mission des archéologues est l’intervention sur les chantiers immobiliers. Chaque nouveau projet entraîne obligatoirement un diagnostic archéologique, c’est inscrit dans la loi. Et pour cause : en fonction des résultats, la Direction Régionale des Affaires Culturelles détermine si des fouilles sont nécessaires, ou non. Ce qui peut prendre du temps… et agace parfois promoteurs ou élus qui ont mal anticipé. En Indre-et-Loire, le service archéologique du Conseil Départemental s’engage ponctuellement sur de telles missions (il s’apprête à débuter un travail de deux ans sur une future zone d’activité économique de 70ha à Bléré) et se partage l’essentiel de la tâche avec l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) dont la section de Tours regroupe 65 personnes (pour 3 départements). Depuis septembre, ce sont notamment ses équipes qui mènent les premières opérations de repérages sur le futur chantier d’élargissement de l’A10 entre Veigné et Ste-Maure-de-Touraine.

Sur 80 diagnostics effectués en un an, 5 à 10 entraînent des fouilles, financées par le commanditaire du projet (cela peut représenter jusqu’à 10% de son coût). A savoir : un terrain n’est jamais sondé en intégralité. En milieu rural, la règle c’est de faire des tranchées de 2m tous les 20m. Une fois les opérations achevées et le bilan dressé, plusieurs possibilités : « en fonction de l’importance historique des vestiges, la DRAC peut autoriser leur destruction ou demander leur conservation » explique Amaury Masquillier, directeur adjoint scientifique et technique de l’INRAP. Plutôt rare, mais dans certains cas cela peut remettre en cause un projet. Ou alors en modifier la nature (notamment en interdisant l’aménagement de parking souterrain).

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Dans d’autres cas, des traces du passé peuvent simplement être recensées et recouvertes : « au moment de la réfection de la Place Châteauneuf, on a mis au jour une cave voutée du XIVème siècle mais on n’a pas fouillé car le chantier ne touchait pas à la structure de l’édifice » précise Jean-Luc Porhel, directeur des archives municipales de Tours. Même chose au moment de retirer le bitume : « on a pensé découvrir un puits romain mais il s’agissait de l’aménagement hydraulique de la fontaine installée au début du XVIème siècle. »

« A Tours, 1,5% à 2% de la ville ont été fouillés, c’est une des villes qu’on connait le mieux en matière d’archéologie » explique Xavier Rodier, responsable du Laboratoire Archéologie et Territoires de l’Université. Lors du chantier du tramway, une nécropole a été localisée Rue Charles Gille ; quant au parking souterrain Anatole France il s’appuie en partie sur l’ancienne muraille de protection de la cité et son aménagement a entraîné la découverte de fragments de cuir remontant à l’ère des tanneurs. « Il y a encore plein de choses enfouies, on le sait » commente Jean-Luc Porhel (par exemple aux abords de l’enceinte romaine) mais « tant que les vestiges restent sous terre ils sont protégés. Une fois révélés, il faudrait les restaurer et cela coûte très cher. » Le problème commence par exemple à se poser pour Marmoutier où le chantier de l’hôtellerie va être recouvert.

Pour les os ou objets déjà extraits, cette question de la conservation se pose aussi. Une partie sont dans le quartier de La Source à Orléans, d’autres (des centaines de milliers !) au dépôt des Archives Départementales d’Indre-et-Loire à Chambray-lès-Tours. Climatisé à 19°, il renferme des souvenirs des Gaulois, les squelettes du Prieuré St Cosme ou encore de nombreuses céramiques. Et même si la salle est pratiquement pleine, pas question de jeter quoi que ce soit : « ça nous fendrait le cœur » reconnait Bruno Dufay. Alors que faire ? La ville de Tours, qui travaille à l’ouverture d’un nouveau Centre d’Interprétation du Patrimoine, pourrait bien présenter quelques pièces mais certains attendent plus : la création d’un réel musée d’histoire de la Touraine, un outil qui manque aujourd’hui cruellement à notre région chargée d’histoire.

La Touraine en pointe pour la formation

Depuis la rentrée, Xavier Rodier et Élisabeth Lorans développent une nouvelle École Supérieure en Intelligence des Patrimoines au sein de l’Université de Tours, une évolution des cursus précédents proposés depuis 30 ans. « Depuis 1988 près de 600 étudiants ont été formés » expliquent les professeurs qui disposent notamment d’un laboratoire aux Deux-Lions. L’enjeu de cette évolution de l’enseignement ? L’adaptation aux nouvelles technologies : « on ne peut plus faire d’archéologie sans se former à l’informatique » nous précise-t-on.

Les diplômes de la fac tourangelle permettent d’une manière générale des débouchés dans l’ensemble des métiers liés au patrimoine en créant des passerelles entre différents parcours « à la carte, pour coller le mieux possible aux projets des étudiants », ce qui inclut notamment l’histoire de l’alimentation ou l’étude de la Renaissance.

Il faut dire aussi que l’archéologie est un métier difficile d’accès : « il y a une baisse de l’archéologie préventive depuis la crise de 2008 et la baisse d’activité de l’immobilier. Certaines collectivités ont licencié et certains ont dû se reconvertir » notent Élisabeth Lorans et Xavier Rodier.

Les chantiers-école comme Marmoutier sont également difficiles à obtenir : « on aurait pu en faire un sur le chantier de construction d’hôtels dans le secteur Porte de Loire à Tours. On avait fait des propositions en amont pour réfléchir à inclure le processus de fouilles dans le déroulé du projet. C’est un site important pour comprendre les relations entre la ville antique et la Loire. On aurait pu valoriser les résultats auprès de la population du quartier. Les habitants sont toujours friands d’en savoir plus sur l’histoire locale. Là, on se retrouve avec des terrains ouverts sans pouvoir agir. Et le jour où cela va se construire il faudra agir dans l’urgence… »

Photos Marmoutier : Claire Vinson pour 37°

« Terre d’archéologie », un article paru initialement sur 37° Mag, le magazine papier-connecté de 37 Degrés.

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