Sami Nouri : « J’ai grandi avec une machine à coudre, j’ai l’impression d’être né avec »

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L’enfance sous la terreur des talibans en Afghanistan… La fuite vers l’Iran… La vie difficile de réfugié… Le voyage vers la France… L’abandon par un passeur Boulevard Heurteloup à Tours puis l’accueil en foyer, la formation de couturier et la découverte des grandes marques. En moins de 30 ans, Sami Nouri a connu les pires difficultés autant que de grandes joies. Arrivé à Tours il y a une décennie, il s’occupe désormais de faire fructifier sa propre marque de haute couture parisienne et organise des défilés lors des fashion week aux côtés de Galliano ou Jean-Paul Gauthier qui l’ont aidé à débuter. Ce parcours, il le raconte dans La machine à coudre, un livre publié par Robert Laffont. Rencontre.

C’est un après-midi très pluvieux d’octobre. On est à la sortie du lycée professionnel Clouet de Tours-Nord et s’il n’était pas si grand Sami Nouri pourrait – presque – se fondre dans la masse des élèves. Le jeune homme au visage toujours juvénile est revenu sur les lieux de sa première formation en couture et stylisme pour un après-midi de témoignages auprès des jeunes de l’établissement. Quand il demande l’ouverture d’une salle pour notre interview, on lui donne la clef sans la moindre difficulté et avec un grand sourire. Le couturier est ici chez lui :

« Quand le lycée m’a appelé j’ai accepté tout de suite parce que les questions des jeunes c’est super important pour moi. Je voulais leur passer un message positif, d’aller vers l’avant et ne jamais baisser les bras. On peut réussir sans l’argent. Ce n’est pas parce qu’on est dans un quartier pauvre qu’on ne peut pas y arriver. Je ne suis personne pour donner des conseils, je suis juste là pour raconter mon histoire. »

Son histoire, Sami Nouri la dévoile sur près de 300 pages en cette rentrée 2022. Accompagné par l’écrivaine Olivia Karam, il signe La machine à coudre, livre témoignage aux éditions Robert Laffont. L’éditeur a flairé le potentiel de son histoire, celle d’un migrant afghan abandonné en plein centre-ville de Tours et devenu aujourd’hui un homme respecté dans le monde de la mode. Il ne s’est pas trompé : l’émission Quotidien de TMC l’a reçu en plateau tout comme C à vous sur France 5. Auparavant, il y a quelques années, il y avait déjà eu une interview par Thierry Ardisson. Ces derniers jours, le journal Le Monde a également publié un article. Il est même question d’un projet de film de cinéma.

« J’ai rencontré plusieurs présidents de maisons d’édition mais ça ne l’avait pas fait puis Robert Laffont m’a convaincu » explique Sami Nouri pour narrer l’origine de ce projet qui a mis un an à voir le jour, à raison d’une rencontre par mois avec Olivia Karam. L’ouvrage a ensuite été découpé en chapitres chronologiques, avec en intercalaire des lettres de Sami à sa première machine à coudre, celle que son papa lui a laissé utiliser quand il était enfant pour fabriquer des vêtements à la chaîne afin de les vendre et ramener un peu d’argent :

« J’ai grandi avec une machine à coudre, j’ai l’impression d’être né avec. Et j’en ai toujours une chez moi. C’est plus qu’un objet, c’est l’outil de ma réussite. C’est grâce à cette machine à coudre que je fais ce métier. »

On apprend donc comment Sami Nouri et ses proches ont été amenés à fuir l’Afghanistan après la mort de son grand frère. La vie difficile en Iran avant – enfin – de trouver un passeur pour la France. Puis il y a eu le foyer à Fondettes, les premiers émois avec une famille d’accueil en or, la difficulté de se faire accepter parmi les autres jeunes de son âge, le long apprentissage du français et puis la formation au lycée Clouet, les grandes écoles de mode parisiennes, le premier défilé à l’Hôtel de Ville de Tours, les stages en maison prestigieuse… Le vingtenaire raconte autant ses peines que les anecdotes les plus amusantes. Ça va d’une nuit d’errance à Paris après une embrouille avec son coloc aux quiproquos liés à son manque de vocabulaire français.

On découvre un jeune homme touché mais perpétuel optimiste. Un débrouillard de première qui a su utiliser son parcours hors du commun pour s’ouvrir des portes (le culot d’une lettre à l’ex-ministre Marisol Touraine qui lui permet de ramener sa mère plus près de lui). Sami Nouri a bénéficié de passe-droits quand beaucoup de réfugiés plus « ordinaires » aimeraient parfois recevoir une simple réponse de l’administration. Il le doit à son talent hors du commun pour la couture, pour la dextérité de ses doigts puis la qualité de ses dessins, la finesse de sa longueur de vue quand il s’agit d’imaginer des vêtements qui portent une griffe reconnaissable entre mille : des barbelés…

« Quand j’ai créé la marque j’ai commencé par réfléchir à la signature de mes vêtements. Les barbelés représentent ce que j’ai vu à chaque frontière que j’ai dû traverser. Je voulais rejoindre un pays libre et chaque fois je voyais des barbelés. Ça m’a marqué et je l’ai mis dans mes collections. Le rendu est magnifique. On m’en parle. Pour certaines commandes on m’en demande beaucoup, d’autres juste un peu. Pour les gens c’est important d’avoir ce signe. »

Sami Nouri, couturier engagé. Et qui observe de près ce qui se passe en Afghanistan depuis un an et le retour au pouvoir des talibans (son père a été ramené dans le pays, et il est sans nouvelles de lui depuis) ou en Iran, concerné par d’importantes manifestations après la mort de la jeune Mahsa Amini, décédée après une arrestation par la police des mœurs parce que des cheveux dépassaient de son voile. « Aujourd’hui l’Afghanistan et l’Iran c’est la catastrophe pour la liberté des femmes et des êtres humains en général. Le peuple ne doit pas baisser les bras » commente-t-il. On lui pose la question du rôle d’une marque pour faire avancer des combats :

« On ne peut pas forcément mélanger le travail et la politique. Chacun fait à sa manière. Par exemple cette année il y a beaucoup de plumes sur mes vêtements. C’est comme quelqu’un qui s’envole. La mode peut faire passer des messages. »

Sami Nouri revient régulièrement à Tours. La prochaine fois ce samedi 22 octobre pour le Salon du Livre à l’Opéra (entrée gratuite). Il sera sur la scène du Grand Théâtre à 15h30 pour une conférence avec d’autres auteurs de livres témoignages.

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