Les petits secrets de la cuisine du CHRU de Tours

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Retrouvez le dossier principal du deuxième numéro de 37° Mag consacré à la gastronomie tourangelle…


Une rumeur tenace dit que l’on mange mal à l’hôpital. Est-ce vrai ? Et, surtout, comment sont préparés les repas servis aux patients, au personnel ou aux résidents de l’Ehpad du CHRU de Tours ? Eléments de réponse avec un reportage dans les coulisses d’une cuisine gigantesque installée depuis 1997 à l’arrière du site hospitalier Trousseau à Chambray-lès-Tours.

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« A l’hôpital, le repas est un soin, alors on fait en sorte que ce soit bon » martèle Elisabeth Mertens, responsable restauration du CHRU de Tours. Charlotte sur la tête et sur-chaussures aux pieds, elle nous emmène dans les 1 600m² dédiés à la préparation des repas des différents sites de l’hôpital (Trousseau, Bretonneau, Clocheville, l’Ermittage…). Depuis plus de 20 ans, ces cuisines géantes remplacent les 8 cuisines séparées qui existaient auparavant et elles produisent 1,5 million de repas par an, 5 700 par jour du lundi au vendredi, de quoi prendre un peu d’avance pour les week-ends et jours fériés. Au final, ce sont 4 500 repas qui sont dégustés chaque jour à l’hôpital dans 90 services différents : 2 500 sur des plateaux pour les patients en chambre, 2 000 au self pour le personnel ou alors en collectif à l’Ehpad et dans le service de psychiatrie.

Un coût de repas de 2.15 euros par personne

Pour préparer tout cela, il faut beaucoup d’ingrédients : 7 tonnes livrées chaque jour à partir de 7h du matin. La mûrisserie peut conserver jusqu’à 4 000 fruits et il y a du stock de viande pour 3 jours dans la chambre froide dédiée. On passe également à l’épicerie où s’empilent les boîtes de conserve, bouteilles d’huile et pots de moutarde. Un peu plus loin, des milliers de pots de crèmes dessert et autres Flamby attendent d’être envoyés dans les différents services.

Pour des raisons d’hygiène, les légumes « terreux » (carottes, pommes de terre) arrivent lavés, épluchés et sous vide. Mais les poires, les pommes ou les bananes sont fraiches. Pareil pour la viande, 100% française depuis deux ans. Cela dit, elle est livrée en barquette, « il n’y a qu’un seul CHU en France qui travaille encore des carcasses » note Elisabeth Mertens. Tout compte fait, peu de surgelé autour de nous hormis les glaces et puis les frites servies une fois par semaine aux enfants de Clocheville et chaque mardi dans les restaurants du personnel.

Tous ces produits sont commandés auprès de différents fournisseurs à l’aide d’un logiciel qui calcule les quantités nécessaires en fonction du contenu des menus préprogrammés. Les entreprises concernées en question sont reliées à une centrale d’achat qui regroupe une centaine d’hôpitaux français. Objectif : réduire au maximum le coût du repas, ce dernier étant de 2€15 par personne. Néanmoins, le CHRU de Tours passe aussi en direct avec de petits producteurs locaux, par exemple pour des produits laitiers fermiers proposés au self. Pour le bio c’est plus compliqué, surtout en local : « en arrivant il y a 5 ans je me suis renseignée sur les carottes bio mais la production est insuffisante. Si j’en achetais, il n’y en aurait plus dans les magasins » résume Elisabeth Mertens qui cherche tout de même à augmenter la proportion d’ingrédients siglés AB sans se fournir trop loin. Depuis peu, elle s’approvisionne en tout cas en pommes et melons du coin, grâce à un marché commun avec les autres hôpitaux tourangeaux.

Une validation diététique pour chaque nouveau produit

120 personnes travaillent sur la chaîne de production des repas de l’hôpital tourangeau, soit 111 équivalents temps plein. Amenées à exercer plusieurs postes afin d’assurer un roulement pour les tâches pénibles, elles doivent au moins avoir un CAP cuisine. Même les chauffeurs des camions qui dispatchent les repas sur les différents sites, quitte à être formés par le CHRU après leur embauche. Des stagiaires et apprentis viennent compléter les équipes tout au long de l’année et même des personnes condamnées à des travaux d’intérêt général (pas plus d’une à la fois).

Sur place, l’organisation est bien rôdée avec un parcours défini… A l’arrivée des camions, la température est contrôle et les produits abîmés renvoyés. Quand ils sortent des pièces de stockage, les aliments sont déballés avant d’être envoyés en cuisine. Attention : le carton ne passe pas la porte, pour des questions d’hygiène. Les fruits et légumes sont lavés avec de l’eau et un produit supplémentaire. Ensuite on passe à la préparation proprement dite, de 6h à 9h pour les repas du midi, et de 11h30 à 14h ceux du soir. La quantité est définie selon l’affluence dans les services, avec un petit quota supplémentaire pour les urgences. Au programme : découpage pour les entrées, cuisson dans 4 fours et autant de marmites géantes pour les plats chauds puis répartition en barquette – parfois au gramme près pour répondre à certaines exigences médicales. Cette dernière étape se fait sur une machine qui filme automatiquement les portions et y appose des étiquettes avec un code couleur selon le régime du patient et surtout la date limite de consommation (entre 2 et 5 jours mais jamais plus, pour respecter la réglementation).

Comme les repas sont produits à l’avance et livrés en « liaison froide » sur les différents sites il faut refroidir les plats chauds. Cela se fait dans une cellule spécialisée dans laquelle ils passent de 63° à 10° en moins de 2h, là-aussi pour rester conforme à la législation. En cas d’alerte sanitaire, des plateaux témoins sont conservés pendant 8 jours pour être analysés. On notera que toutes les barquettes chaudes servies aux patients ne sont pas cuisinées à Chambray-lès-Tours. Les textures mixées ou liquides pour des personnes incapables de mâcher sont ainsi produites par des prestataires industriels externes, « qui font ça très bien avec des salles blanches, un air contrôle et un processus de stérilisation très élaboré que l’on ne pourrait pas forcément avoir ici » justifie Elisabeth Mertens.

On l’a compris, cuisiner pour un hôpital hébergeant 2 500 patients en permanence et comptant près de 9 000 salariés ne peut pas être aussi fin que l’élaboration de la carte d’un petit restaurant d’une trentaine de couverts. « Pour une dizaine de kilos, on ne maîtrise pas la cuisson des pâtes comme on le ferait chez soi » fait remarquer la diététicienne Elise David.

Le saviez-vous ?

Comme dans tout restaurant, il y a une carte au CHU de Tours, disponible dans tous les services. Elle permet de commander les plats « standards » si ceux proposés au menu ne vous conviennent pas mais aussi de réclamer du sel ou de petits suppléments pour assaisonner les plateaux comme bon vous semble : « il faut qu’on le fasse savoir car les patients n’osent pas demander, ils ont peut de gêner » explique Elisabeth Mertens, la responsable restauration.

Parmi les plats proposés toute l’année : tomates-vinaigrette, pâté de volaille, cuisse de poulet rôtie, mixé pomme de terre aux deux fromages, coquillettes, camembert, Saint-Paulin sans sel, pomme, crème dessert vanille… Vous pouvez aussi demander du sirop pour l’eau ou du potage. Il est aussi possible de demander des assiettes en porcelaine pour manger plus facilement que dans une barquette à usage unique.

De plus, aux règles d’hygiène strictes s’ajoutent les prescriptions médicales. Une quarantaine de régimes différents sont recensés au CHRU de Tours (sans sel, sans sucre, pauvre en cholestérol ; nourriture mixée, moulinée, liquide…). Comme parfois les contre-indications se combinent, pas moins de 120 plateaux différents sont envoyés dans les services : « dans certains cas on fait vraiment de la dinette, par exemple avec seulement 8 exemplaires de plateaux pour bébé » nous explique Elisabeth Mertens. Et c’est à ce moment-là que l’on comprend pourquoi on a vu un énorme cagot de tomates en plein mois de février : « je sais que ce n’est pas de saison mais si l’on veut faire des menus équilibrés et digestes pour certains patients nous sommes obligés, ce sont les seules crudités qu’ils peuvent manger. » La responsable restauration nous assure alors qu’elle cherche une solution pour éviter ce genre d’erreur gastronomique, sans l’avoir encore trouvée.

Pascale Maingault, chargée des commandes et des achats : 
« Nous avons un prévisionnel de commandes à 3 semaines. Tout se fait à l’aide d’un logiciel qui calcule les quantités nécessaires en fonction des effectifs journaliers et du nombre de repas servis. On fait des statistiques, en fonction également du prévisionnel de patients accueillis aux urgences, des vacances scolaires ou des jours fériés. En cas de réajustement, on peut appeler le fournisseur pour modifier les commandes. Nos fournisseurs viennent de toute la France, et certains en local. »

Pour élaborer les menus et sélectionner les ingrédients qui en feront partie, le CHRU de Tours organise des commissions spéciales une fois par mois. « Chaque produit qui rentre dans une recette a une fiche technique avec la liste des ingrédients, les allergènes ou la composition nutritionnelle (proportion de sucre, de sel, de protéines…) » nous explique Elise David. « Nous assurons également un suivi des fournisseurs avec une validation diététique de chaque nouveau produit lorsqu’il se substitue à un autre, par exemple lorsqu’une entreprise développe une nouvelle recette » poursuit la diététicienne qui travaille en binôme avec une collègue.

Même si ce n’est « pas obligatoire pour les CHU » Elise David se base sur les recommandations du Groupement d’études des marchés de la restauration collective pour établir ses menus, celui-ci définissant notamment les règles pour les écoles. Il y a deux saisons : hiver (octobre-avril) et été (récemment allongée de fin avril-début octobre), puis les repas sont élaborés par cycles de 4 semaines avec deux mois d’avance, des changements de dernière minute restant possibles en cas de soucis des fournisseurs par exemple. Parmi les critères qui rentrent en compte : la présence de jours fériés (repas spéciaux) ou le remplacement de plats qui ont eu de mauvais retours des patients. Des tests en conditions réelles sont d’ailleurs organisés une fois par mois dans les services pour recueillir leurs avis. Et régulièrement, les menus sont soumis à l’avance aux personnes hospitalisées qui peuvent faire part de leurs réticences et demander des modifications.

« Notre réflexion évolue au fur et à mesure » pointe encore Elise David en expliquant par exemple qu’elle travaille en ce moment à l’intégration d’aliments que les résidents de l’Ehpad pourront manger avec les mains. « Les tests sont permanents » dixit la diététicienne.

Comment sont préparés les repas à l’hôpital ?

Autre évolution en cours : un travail sur la réduction des déchets. Pas simple quand on sait que près de 3 millions de barquettes en plastique finissent à la poubelle chaque année… « Désormais certaines écoconçues, c’est-à-dire plus légères de 30% » relève la responsable restauration Elisabeth Mertens qui attend avec impatience le développement de barquettes biodégradables répondant aux critères d’une cuisine hospitalière de la part des industriels… « On a fait des tests qui n’ont pas été concluants » nous dévoile-t-elle. On retiendra tout de même que depuis deux ans, les restes non consommés sont compostés au CHRU.

« On essaie de mieux faire avec le budget qu’on a » résume Elisabeth Mertens. Un budget constant malgré une baisse du nombre de repas servis car les hospitalisations sont moins nombreuses avec le développement des soins ambulatoires qui ne nécessitent pas de nuit sur place. « Cela nous donne une marge de manœuvre pour des produits de meilleure qualité » indique la professionnelle. Ainsi, depuis le 1er mars, tous les poissons servis sont certifiés Pêche Durable et plus variés qu’avant (raie, cabillaud…). Lors des renouvellements de marchés (tous les deux ans) de nouveaux critères sont ajoutés : « la législation nous interdit d’imposer de la viande française mais on peut demander que les bêtes soient nées, élevées et abattues dans le même pays. Alors souvent les fournisseurs nous proposent des produits français. On essaie aussi de mettre des questions plus précises pour savoir combien il y a de bêtes au m² dans les exploitations afin de travailler sur le bien-être animal et en juin nous allons adhérer à la démarche Mon Restaurant Responsable établie par la Fondation pour la Nature et l’Homme. »

Malgré ce qui est présenté comme de bons gestes, pourquoi a-t-on encore le sentiment que ce qu’on mange sur son lit d’hôpital n’a pas vraiment de goût ? « Le fait que l’on soit malade change la perception du repas. Elle est différente de celle que l’on a en bonne santé » répond Elisabeth Mertens, en évoquant également les restrictions alimentaires médicales comme autant de facteurs susceptibles de rendre le goût moins séduisant.

Après les cuisines, que se passe-t-il ?

Les plateaux pour les patients sont envoyés par camion vers les autres sites du CHRU ou transférés à l’aide de monte-charges dans les étages de Trousseau. Avant leur distribution à partir de 12h et 18h ils sont conservés dans une pièce dédiée, où l’on trouve une machine capable de réchauffer une moitié tandis que l’autre reste au frais. La manœuvre est supervisée par les aides-hôtelières, des personnels ayant le statut d’aide-soignante. Elles contrôlent les menus et font des changements de dernière minute, par exemple si un médecin autorise une personne à manger solide au lieu de liquide suite à l’amélioration de son état. Des frigos – contrôlés tous les jours – permettent de conserver les plats non utilisés, non ouverts, ce qui permet d’avoir une petite réserve en cas d’arrivée non prévue dans le service. C’est aussi là que sont préparés les petits déjeuners le matin, avec boissons chaudes, pain, confiture… Le beurre y est livré une fois par semaine.

Un degré en plus :

D’ici quelques années (2023 ?), la cuisine du CHU devrait être regroupée avec la cuisine centrale de la ville de Tours, qui produit notamment les repas des écoles. Le service devrait s’installer à Trousseau, et sera toujours géré en direct par la mairie et l’hôpital. Pour l’instant, on n’en sait pas beaucoup plus sur le sujet car la communication autour du projet est limitée. Le budget de ce nouvel équipement est notamment indéterminé.

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