Le tuffeau : cette pierre qui a façonné l’habitat en Touraine

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Découvrez le dossier principal du magazine papier 37° n°4 printemps 2020. Un dossier consacré à l’habitat, pas au sens de l’immobilier mais du « chez-soi », de l’intime, de ce que cela révèle de notre société et de nos vies. Un dossier (et un magazine) que nous avions fini mi-mars, juste avant le confinement lié au Coronavirus et qui prend aujourd’hui encore plus de sens.

Cliquez sur l’image pour accéder tout au long de la semaine aux articles du dossier qui seront mis au fur et à mesure

De l’église rurale à la cathédrale de Tours, en passant par le particulier tourangeau ou à la maison de vignes, la pierre de tuffeau a habillé la Touraine durant plus de 10 siècles. Épousant les époques et les styles architecturaux, le tuffeau fait partie intégrante du patrimoine local.

« Lumineuse, identitaire et sensuelle. » Après quelques secondes de réflexion, Laurianne Keil su trouver les mots. Enfin, les trois adjectifs qui caractériseraient le mieux le tuffeau selon l’animatrice de l’architecture et du patrimoine pour le Pays d’art et d’histoire. Nous sommes dans le centre d’Amboise ce vendredi matin, et notre guide d’un jour nous promène de places en ruelles étroites à la rencontre de l’habitat réalisé à partir de cette pierre locale. Jaune ou blanche, marquée par le temps ou restaurée dans les règles de l’art, habillant aussi bien une maisonnette de vignerons qu’une église, un hôtel particulier du 16e siècle devenu l’Hôtel de Ville, ou la demeure royale du coin, cette pierre calcaire a su marquer les époques et les styles architecturaux qui se sont succédé à Amboise comme dans l’ensemble de la Touraine. Si ce sont les Gallo-Romains qui posèrent les premières pierres de tuffeau dans la construction d’arènes et de remparts à Caesarodunum (Tours), il faut attendre le Xe siècle pour observer la première période massive d’extraction. L’amélioration des conditions d’extraction permet aux villes et aux villages proches des coteaux de la Loire et du Cher de se revêtir d’une pierre réputée tendre et facile à tailler. « À cette époque, le tuffeau est surtout réservé aux constructions et aux rénovations monumentales comme la cathédrale de Tours, le château fort de Loches ou la forteresse de Chinon… Avec le temps, le tuffeau s’impose dans le domaine public avec la réalisation de ponts, de puits et bien sûr d’églises », nous indique Laurianne Keil, les yeux rivés sur l’église Saint-Florentin à Amboise. Une pierre noble, ecclésiastique mais également agricole comme le montre l’émergence de fermes, dans le bas Moyen-Âge, constituées en partie ou entièrement en tuffeau. Une dynamique qui touche surtout les exploitations proches de la Loire et du Cher et donc des carrières, de plus en plus nombreuses à grignoter les falaises. Pour Laurianne Keil, « c’est la proximité avec les coteaux qui favorise la démocratisation de ce matériau. La logique en matière de construction était simple : c’est le matériau le plus proche de toi qui fera ton chez-toi. Logiquement, on observe donc un développement de nombreux villages et châteaux aux pieds des falaises. »

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Reflet de la lumière et des personnalités

Sous la Renaissance, les vallées tourangelles prennent un accent toscan qui se matérialise par un nouveau courant architectural. Le tuffeau en est la clé de voûte. Esthétique, solide, plutôt facile à tailler, il en fallait peu pour que cette pierre locale devienne un élément artistique à part entière et qu’elle s’inscrive encore davantage dans l’habitat tourangeau.

Un habitat qui se transforme tout comme le métier qui le façonne. Les façades royales et nobles deviennent symétriques et s’enrichissent de voûtes, d’arcs et de sculptures ; le tailleur de pierre n’est plus seulement un artisan mais un artiste reconnu. On ne cherche plus à empiler le tuffeau mais à le travailler, à le personnaliser. Ce phénomène de mode va se vulgariser pour devenir un marqueur social fort et s’étendre géographiquement avec le temps. Bourgeois des villes, notables des champs ou bien même paysans, on veut, si ce n’est sur l’ensemble de sa demeure faute de moyens financiers, au moins une façade en tuffeau. En tuffeau, et blanc si possible. Bien aidé par le développement du commerce fluvial, le Tuffeau blanc des carrières du Val-de-Cher envahit villages, centres-villes et faubourgs.

Le particulier tourangeau, l’un des derniers témoins

Le XIXe siècle agrandit les rues et les villes et donne naissance à de nouveaux quartiers bâtis en tuffeau. Le quartier des Prébendes à Tours, où s’établit la nouvelle maison contemporaine urbaine, le particulier tourangeau, en est le principal et dernier témoin. Au cours du XXe siècle, le développement des nouveaux matériaux de construction, comme le béton, classe indirectement le tuffeau dans le patrimoine local. Pour Thierry Poli, coordinateur pédagogique de la Maison de la Loire à Montlouis, « si l’on connaît plutôt bien le tuffeau en tant que pierre de taille, on s’aperçoit également que son origine, l’aspect géologique, est souvent mise de côté. La géologie est peu connue du grand public, c’est regrettable. C’est à nous, au travers de nos animations, de susciter davantage de curiosité sur cette science. Ce serait intéressant que le grand public sache lire une falaise entière. » Et de peut-être trouver trois nouveaux adjectifs au tuffeau.

Elle ne manque pas d’Ère

Les roches visibles dans ces falaises, creusées par les cours d’eau avant que l’Homme ne mette la main dessus, se sont formées dans la mer, il y a 90 millions d’années environ. Nous sommes alors, dans le temps géologique, à l’Ère secondaire, au Crétacé supérieur, et plus précisément dans l’« étage Turonien », et la mer recouvre une grande partie de la France. Dans cette mer au niveau variable se sont accumulés en couches successives (« strates ») les fragments de coquilles calcaires d’organismes qui y vivaient et le sable apporté par les rivières. Le tuffeau, dérivé régional du mot « tuf », terme générique pour désigner une roche tendre, comprend trois niveaux superposés qu’on date respectivement du Turonien inférieur, moyen et supérieur. Au Turonien inférieur, quand la mer était la plus profonde, s’est formée une vraie craie argileuse (celle de nos tableaux noirs) propice à la fabrication de la chaux. Cette craie est parfois nommée « tuffeau gris ». Les couches du Turonien moyen donnent le « noble » tuffeau blanc. Constitué à la fois de grains calcaires et siliceux, et de micas, il est le plus esthétique, le plus prisé pour la taille et la sculpture. Enfin, au Turonien supérieur s’est formée dans une mer peu profonde une pierre plus jaune, plus sableuse, renfermant souvent des nodules de silex et des fossiles, un ensemble parfois peu homogène donc plus difficile à tailler. Comme nous l’indique Jean-Jacques Macaire, professeur honoraire de géologie de l’Université de Tours, « dans l’imagerie locale, on a tendance à assimiler le tuffeau seulement à une pierre de taille alors que son hétérogénéité ne permettait souvent d’extraire de la roche que des moellons * ». Peu onéreux, on retrouve régulièrement des moellons associés à la pierre de taille dans un même habitat, souvent agricole ou populaire : les moellons pour les façades, la pierre de taille pour les parties plus sensibles (encadrements des portes et fenêtres, angles des maisons). « Dans notre département, ces deux types de matériaux étaient la plupart du temps issus du tuffeau jaune, le plus répandu dans nos carrières. À part quelques exceptions, comme dans le secteur de Lussault où les couches de Turonien moyen sont mieux représentées, le tuffeau blanc provenait essentiellement de la vallée du Cher, notamment des carrières de Bourré ou de Noyers », nous raconte le géologue.

*Fragment de roche peu ou non taillé, de forme souvent irrégulière, utilisé dans les constructions

Le magazine papier en cours de distribution

À partir de cette semaine, 37°Mag sera distribué dans toute l’Indre-et-Loire ! En raison des difficultés actuelles, la distribution peut néanmoins être perturbée (commerces encore fermés, refus de dépôts de publications en raison des règles sanitaires…) Nous nous en excusons pas avance et ferons tout notre possible pour qu’il soit disponible dans un maximum de points de dépôts habituels (la liste ici).

Sorti le 29 mars, il est également toujours disponible en version numérique ici ? 37degres-mag.fr/37-mag/

L’impression ayant été réalisée avant le confinement certaines informations ne sont pas à jour et nous en sommes désolés.

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