La prostitution change, le Mouvement du nid la combat

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L’association abolitionniste le Mouvement du nid combat la prostitution à Tours depuis 1982. Elle vient de terminer un diagnostic sur la situation des personnes prostituées en Indre-et-Loire. Celle-ci dévoile un système en mutation, difficile à identifier et à combattre.

À Tours, à deux pas des cinémas Studio, on trouve un très grand parc un peu secret, caché entre les rues. Une nonne y jardine. Non loin, un groupe est attablé autour d’un repas. Ce sont les bénévoles de l’association le Mouvement du nid. Ils viennent de finir une réunion dans leur petit local prêté par le diocèse le Carmel de Tours. Celui-ci possède le grand jardin auquel ils ont eu exceptionnellement accès pour leur repas de fin d’année.

L’association travaille sur les causes et conséquences de la prostitution. Elle a pour objectif d’accompagner les personnes concernées lors de leur sortie de l’activité. Plus largement, elle en souhaite l’abolition pure et simple. Le mouvement a été fondé à Paris en 1937 par le père Talvas, après sa rencontre avec une femme prostituée nommée Germaine Campion. Aujourd’hui il est laïque, mais l’antenne tourangelle continue d’être hébergée gracieusement par le diocèse Le Carmel. Elle est l’une des 27 délégations françaises et existe depuis 1982.

Bernadette Gaudré en est la co-fondatrice. Depuis 36 ans elle assiste à l’évolution d’un système prostitutionnel qui a changé de visage et se fait bien plus discret qu’auparavant. « On a vécu de grandes amitiés avec des personnes prostituées très riches humainement, raconte-t-elle. À l’époque, on rencontrait une douzaine de personnes rien que sur le boulevard Heurteloup. Aujourd’hui, les relations sont plus déshumanisées ». Aller à la rencontre des prostituées a toujours constitué l’essence du travail des bénévoles du Nid. C’est pour cela que l’antenne locale s’est établi rue des Ursulines, dans le quartier historique de la prostitution tourangelle. Aujourd’hui, il est beaucoup plus difficile pour les militants de rencontrer les prostituées.

Les bénévoles du Nid dans la cour de la maison diocésaine « Le Carmel »

En 2013, 25% d’entre-elles contactaient leurs clients via internet. Aujourd’hui, elles sont 62% parmi les 37 000 prostituées qui exerceraient leur activité en France. Ce sont majoritairement des femmes à 85%. « Souvent, elles n’ont pas le droit de sortir de leur chambre. Le proxénète tient l’agenda, le téléphone… » explique Danièle Lignelet, secrétaire départementale du mouvement. Sur les 15 personnes que l’association suit actuellement, 11 contactent leurs clients dans la rue. Pourtant, c’est le cas de seulement 30% des prostituées en Indre-et-Loire. C’est tout une branche du système prostitutionnel qui est invisible aux yeux de la société.

Aujourd’hui, les rencontres se font majoritairement sur des sites de petites annonces. Jusqu’à récemment, le plus utilisé d’entre-eux était Viva Street. Accompagné des parents d’une jeune fille, l’antenne nationale du Mouvement du nid a porté plainte contre le site à la fin de l’année 2016. Très récemment, le 18 juin 2018, Viva Street a suspendu sa rubrique « Rencontres » dans laquelle on trouvait les annonces de prostitution.

En 2013, 25% des personnes prostituées entraient en contact avec leurs clients sur Internet.

En 2018, elles sont 62% dans ce cas.

Angéline Derouet-Guichard, bénévole en charge de la communication dans l’association.
Pierre Mabire, trésorier de l’association.
Magali Besnard, salariée du Mouvement du nid.

Informer sur la réalité de ce système, c’est une des missions que se sont fixées les bénévoles. Dans une grande salle du centre de vie du Sanitas, Magali Besnard (l’une des deux salariées tourangelles du mouvement du nid) s’adresse à une soixantaine de personnes. Ce sont des acteurs du monde associatif, politique et social. Elle leur présente pour la première fois les nouveaux chiffres de la prostitution en Indre-et-Loire. Le Mouvement du nid les a rassemblés lui-même via 41 questionnaires (dont 17 vides) envoyés par leurs partenaires.

La dernière enquête de ce genre datait de 2003 et, depuis, beaucoup de choses ont changé. La prostitution chez les jeunes a explosé. 57% des personnes prostituées en Indre-et-Loire ont entre 18 et 25 ans. 19% sont mineures. Elles étaient 7% en 2003. Dans le département, la prostitution concernerait 314 personnes et il est probable que le chiffre soit bien plus important. Parmi ces 314 cas de prostitution, 217 sont avérés et 97 sont supposés. Certaines femmes disent « se débrouiller », « voir des hommes » pour vivre… Ce sont ces non-dits combinés avec d’autres facteurs, comme des dépistages à répétitions par exemple, qui mettent la puce à l’oreille et inquiètent les acteurs sociaux.

19% des personnes prostituées en Indre-et-Loire sont mineures.

Elles étaient 7% en 2003.

« Comme souvent pour les femmes victimes de violences conjugales, les personnes prostituées ouvrent les yeux au fur et à mesure et comprennent les violences qu’elles subissent »

Angéline Derouet-Guichard, bénévole dans l’association

À en croire l’expérience du Mouvement du nid, la prostitution est loin de l’image idéalisée qu’on peut connaître, celle d’une prostitution « traditionnelle » et choisie, dite du « plus vieux métier du monde ». Elle est subie par des personnes en situation de souffrance et quasiment toujours exploitées par des proxénètes. « Quand on est dans la prostitution, on se protège comme on peut, on se défend en disant que c’est un choix, explique Angéline Derouet-Guichard, bénévole dans l’association. Comme souvent pour les femmes victimes de violences conjugales, les personnes ouvrent les yeux au fur et à mesure et comprennent les violences qu’elles subissent ».

La prostitution comme choix, c’est ce que défend notamment le Strass, le syndicat du travail sexuel. Il réclame des droits pour les personnes prostituées et la reconnaissance de leur capacité à agir et à parler en leur nom. Concernant les prostituées, exploitées ou non, il demande l’application du droit commun. Défendre l’abolition de la prostitution c’est, selon lui, faire entrer la morale là où elle n’a pas lieu d’être. Pour le Mouvement du nid il ne s’agit pas de morale, mais de justice et d’égalité. « Il y a peut-être des personnes qui se prostituent en tout état de cause, estime Danièle Lignelet. Est-ce que, à la demande de ces quelques personnes, on doit laisser faire ? La grande majorité des prostituées a été forcée, a souvent eu une enfance complètement bousillée ». Selon elle, c’est le cas de 80% des prostituées.

La loi est du côté du Mouvement du nid. Depuis avril 2016, elle permet aux prostituées de bénéficier d’aides diverses pour pouvoir sortir de la prostitution. Une aide au logement, une aide financière plutôt mince (330€ par mois pour une personnes seule)… Ce n’est en tout cas plus la personne prostituée qui est pénalisée comme c’était le cas auparavant avec le délit de racolage. « À l’époque il y avait un fichier sanitaire, dès qu’une nouvelle prostituée arrivait en ville elle était emmenée au poste, photographiée et listée », se souvient Bernadette Gaudré. Aujourd’hui, c’est le client qui est pénalisé d’une amende de 1500 euros pouvant monter à 3750 euros en cas de récidive. Pourtant, depuis deux ans, pas un seul client n’a été inquiété en Indre-et-Loire. « Le procureur ne condamne pas, on n’a pas donné l’ordre à la police d’interpeller les clients », affirme Danièle Lignelet.

Même s’ils sont très peu touchés par la loi, seulement 2000 l’ont été depuis sa promulgation, la peur que ressentent les clients entrainerait encore plus de risques pour les prostituées. C’est ce qu’affirment certaines associations telles que Aides, qui combat le Sida. Elle aussi soutient les personnes prostituées mais elle reste focalisée sur la réduction des risques, propose des dépistages, offre des préservatifs…

À la réunion au centre de vie du Sanitas, un membre de l’association Aides intervient. « Nous rencontrons des personnes qui nous expliquent qu’il y a une raréfaction des clients, qu’elles acceptent de plus en plus les demandes de rapports non protégés. Il y a une augmentation significative de la précarité, de la vulnérabilité et des contaminations », explique-t-il. « Mais comment se fait-il que les clients ont des demandes de plus en plus insistantes sur le non port du préservatif ? », rétorque Danièle Lignelet.

Magali Besnard et Christine Laurent, membres du nid,
lors d’une journée de sensibilisation dans les transports Fil Bleu.

Le rapport à la prostitution n’est pas le même pour ces associations. Pour le Nid, il ne s’agit pas tant de pénaliser les clients que de les éduquer. C’est aussi ce qui est prévu par la loi en plus de l’amende : le procureur peut imposer un stage de sensibilisation au contrevenant. Il s’agit de faire savoir aux clients ce que cache la prostitution. À Tours, le Nid a fait une proposition en collaboration avec d’autres associations mais n’a jamais eu l’occasion d’organiser un stage puisque qu’aucun client n’a été pénalisé en Indre-et-Loire. L’association intervient néanmoins en milieux scolaires, dans les transports en communs pour sensibiliser sur le sujet mais aussi sur l’égalité hommes-femmes, sur le respect de soi et des autres…

C’est un travail difficile car le mouvement manque de militants. Aujourd’hui ils ne sont que 165 sur toute la France, 8 à Tours, et le mouvement est en contact avec 5000 prostituées à l’échelle nationale. À la réunion de fin d’année, au diocèse Le Carmel, on énumère les quelques militants qui doivent quitter l’association pour des raisons très diverses. « C’est l’hécatombe niveau bénévoles », déplore Angéline Derouet-Guichard. Mais elle n’est pas défaitiste et ajoute : « Le mouvement du nid est comme un phoenix, il renait toujours de ses cendres ».

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