Jean Nouvel : du Vinci au Danube en passant par le CCC OD.

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© Ateliers Jean Nouvel

En 2017, 24 ans après l’inauguration du Vinci, une seconde réalisation architecturale d’envergure (ou «pièce urbaine majeure» pour reprendre l’expression de Jean Nouvel au sujet du Vinci) – le CCC OD des frères Mateus – est venue modifier la silhouette du centre de la métropole tourangelle. Alors qu’on se prépare à célébrer le quart de siècle de son unique création ligérienne, Jean Nouvel revient à Tours à l’occasion d’un projet de musée hors norme dédié à Klaus Rinke sur les bords du Danube. Projet présenté en exclusivité jusqu’au 28 mai sur les murs du CCC OD, histoire de boucler la boucle.

© Ateliers Jean Nouvel

37 degrés : Jean Nouvel et Klaus Rinke, à quand remonte votre rencontre ?

Jean Nouvel : A 1971. J’étais encore à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris et j’étais l’architecte de la Biennale de Paris et Klaus Rinke y participait. Par la suite, nous nous sommes croisés de temps en temps, mais c’est surtout en 2002 que nous nous sommes retrouvés pour une première collaboration.

Klaus Rinke : Jean Nouvel a suivi son chemin et moi le mien. J’ai quitté Paris pour vivre à Dusseldorf et à Los Angeles. En 2002, Jean et moi nous sommes retrouvés à l’occasion de l’Exposition Nationale en Suisse : nos deux œuvres cohabitaient dans le Lac Léman*.

37 degrés : A quel moment cette idée de Musée Klaus Rinke a-t-elle émergé ?

Klaus Rinke : Il y a une dizaine d’années, j’ai quitté l’Allemagne pour m’installer en Autriche où j’ai acheté une ancienne usine. J’y ai vécu pendant un an-et-demi, mais elle est en altitude et il y fait très froid. Des gens du coin m’ont dit «tu ne peux pas rester là-dedans, tu vas crever !» et ils m’ont mis en relation avec un baron qui avait un château tout près et qui pouvait me louer un appartement. C’est comme ça que j’ai rencontré Otto Plappart et on est devenu amis. L’usine est restée mon atelier et ce château est devenu mon domicile il y a 9 ans. Otto m’a dit un matin : «Viens prendre le petit déjeuner avec moi, j’ai quelque chose à te proposer». Et c’est là qu’il m’a dit qu’il voulait faire un Musée Klaus Rinke dans son château. Je lui ai répondu que ça allait coûter une fortune. Il m’a dit : «Ne t’occupe pas de ça !» Je lui ai répondu que si on voulait un projet ambitieux et sérieux il fallait un grand architecte reconnu. Alors j’ai fait quelques croquis et j’ai tout en envoyé à Jean Nouvel. Et il est venu à Linz une semaine après avec sept personnes !

Jean Nouvel : C’est irrésistible, le site est fabuleux. C’est un monument historique complet situé sur promontoire rocheux à 200m au-dessus du Danube. Un ensemble qui démarre au XIIe siècle, avec des parties du XIIIe, puis du XVIIe et du XVIIIe. L’idée d’y adjoindre une époque de plus – le XXIe siècle – en respectant tout le reste est très séduisante.

© Ateliers Jean Nouvel

37 degrés : Où en êtes-vous aujourd’hui dans le montage du projet ?

Klaus Rinke : Nous avons rencontré le vice-chancelier et d’autres responsables politiques. Nous avons déjà obtenu des accords de principe des architectes des monuments historiques, le chiffrage est quasiment terminé (Jean Nouvel l’estime à environ 10 millions d’Euros, soit 4.500 euros du m2 pour 2200m2, dont 1500 en nouvelles constructions et près de 700 en réhabilitation – ndr). Il reste surtout la question du financement qui sera public et privé, sans doute avec des fonds européens. C’est un vrai projet européen : un porteur de projet et propriétaire autrichien, un artiste allemand et un architecte français… Soyons optimistes : ce musée pourrait ouvrir dans 5 ou 6 ans, pour mes 85 ans !

37 degrés : Jean Nouvel, la physionomie de la collection des œuvres de Klaus Rinke a-t-elle été prise en compte dès le départ dans la conception du projet ?

Jean Nouvel : Il y aura encore des discussions et des affinages, mais l’œuvre de Klaus Rinke ne m’est pas étrangère, donc les grandes lignes de la répartition sont déjà là, avec notamment une grande galerie de 120m de long en terrasse qui surplombera le Danube pour les très grands formats (notamment les peintures au graphite) et des grandes serres pour les installations type Instrumentarium.

Klaus Rinke : Il y aura aussi des expositions temporaires d’autres artistes ou thématiques et je souhaite également pouvoir montrer mon importante collection d’œuvres aborigènes que j’ai constituée lors de mes nombreuses années en Australie. Enfin, Otto tient beaucoup à la possibilité d’organiser des concerts, car ce château accueille depuis très longtemps des musiciens et des orchestres de musique classique de très haut niveau. Les Autrichiens sont très attachés à la musique.

Jean Nouvel dans le paysage d’Aires Mateus ! © photo laurent geneix
Otto Plappart, Jean Nouvel et Klaus Rinke en conférence au CCC OD de Tours le 29 mars 2018 © photo laurent geneix

37 degrés : Le Danube en-dessous est le lieu de passage de dizaines de milliers de touristes. Comment avez-vous imaginé les «capturer» pour qu’ils puissent accéder à ce véritable nid d’aigle perché 200m plus haut ?

Jean Nouvel : Ce site naturel est très protégé, il n’est donc pas question de faire une saillie dans les arbres pour faire passer un funiculaire. L’idée est donc plutôt de faire partir un petit téléphérique d’une plateforme sur l’eau afin de déporter le point de départ de la rive pour permettre à la cabine de monter au-dessus de la cime des arbres et d’arriver directement dans le musée.

Klaus Rinke : J’ai par ailleurs été très surpris et enthousiasmé par le choix du bois comme matériau principal de la grande galerie par Jean, car non seulement il va se fondre dans ce paysage, surtout que la grande forêt de Bohème est à quelques kilomètres derrière à la frontière avec la République Tchèque. Et cela contraste avec le plateau très granitique qui se trouve de l’autre côté du château. Avec l’eau du Danube en bas, ce dialogue entre les matières est vraiment fascinant.

© Jean Nouvel, Emmanuel Cattani & Associés, photo Georges Fessy.

37 degrés : Jean Nouvel vous avez passé deux heures au Palais des Congrès du Vinci. Depuis combien de temps n’étiez-vous pas venu à Tours et que ressentez-vous 25 ans après cette réalisation ?

Jean Nouvel : Cela devait faire 4 ou 5 ans. Je crois que ce bâtiment se bat bien contre le temps. Le but de l’architecture c’est qu’elle prenne bien le temps. Il est en parfait état. Il y a juste quelques détails à revoir autour de la signalétique ou de films de couleurs sur les lumières, mais dans l’ensemble au bout de 25 ans, le bâtiment m’a semblé étonnament jeune. J’ai ressenti beaucoup de plaisir d’autant plus qu’il vit, qu’il se passe beaucoup de choses dedans, rien qu’aujourd’hui il y avait deux congrès en même temps, c’est très bien.

37 degrés : Vous venez au CCC OD pour la première fois. Quelle est votre première impression de cette création des frères Mateus ?

Jean Nouvel : J’ai encore peu de recul, mais je comprends tout de suite qu’il y a des espaces dédiés très spécifiques et que ce bâtiment a une histoire, puisqu’il a abrité sous une autre forme une école des beaux-arts et du coup, il y a une sorte de sédimentation qui se crée avec le musée, qui me paraît tout à faire pertinente.

Propos recueillis à Tours, le 29 mars 2018.

© Jean Nouvel, Emmanuel Cattani & Associés, photo Georges Fessy.

Un degré en plus

> Jean Nouvel au sujet du Vinci :

«Paradoxe de simplicité externe et de complexité interne, de compacités et de transparences, de symétries et de réponses diverses au parc et à la rue, le centre des congrès de Tours se développe sur le fil de ces contradictions avec nous l’espérons naturel et évidence : il est fait pour être là.»

> REDIFF : le 4 août 2015, nous avions demandé à l’architecte tourangeau Bertrand Penneron de choisir son bâtiment préféré à Tours et il avait choisi le Palais des Congrès du Vinci de Jean Nouvel.

*«Dans le petit cabinet où siège la plupart de ces photographies, Rinke a accroché le Temps du Lac (2002). L’œuvre montre une horloge de gare plantée dans le Lac Léman à deux pas du Cube installé par Jean Nouvel à l’occasion de l’Exposition Suisse 2002. Le voisinage est étrange, aussi vertigineux que peut l’être leur rapport au temps. Quand le cube rouillé de Nouvel inspire la permanence de l’architecture et la stabilité des éléments terrestres, l’horloge renvoie à la fuite du temps et se calque sur l’incessant flux d’énergie de l’eau.»

(source : Paris-Art.com)

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