Gastronomie, mon amour ?

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Retrouvez le dossier principal du deuxième numéro de 37° Mag consacré à la gastronomie tourangelle…

Attribué conjointement à Tours, Dijon, Lyon et Paris-Rungis en 2013, le label «Cité Internationale de la Gastronomie» – visant à concrétiser l’inscription par l’Unesco du «Repas gastronomique des Français» au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité – a bien du mal à pousser en terre tourangelle. On a d’abord assisté à deux essais associatifs qui, au mieux, malgré quelques belles initiatives comme le Grand Repas, n’ont pas convaincu, et au pire ont grillé le label auprès d’une majorité de Tourangeaux, et trop souvent fait rimer «gastronomique» avec «politique» et «polémique». On pense par exemple aux calamiteuses «Francos Gourmandes» en 2017, qui oscillaient entre récupération d’événements indépendants et showbiz musico-culinaire parachuté, aux antipodes de «l’esprit Unesco»…

Aujourd’hui, la Ville, l’IEHCA et l’Université reprennent (enfin) la main sur un projet essentiel non seulement pour la valorisation du territoire, mais aussi garant de tout un pan de la culture nationale. Un enjeu qui dépasse de loin les petites querelles locales, la Villa Rabelais pouvant être notamment amenée à terme à devenir l’Observatoire européen de la Gastronomie que le Parlement européen a appelé de ses vœux en 2014.

Pour l’instant physiquement cantonnée au site du boulevard Béranger et – de manière plus éphémère – au sein d’un nouveau festival attendu au tournant, la Cité de la Gastronomie va devoir réussir le grand écart périlleux entre convaincre les Tourangeaux de son bien-fondé, continuer un travail de fond de très haut niveau démarré il y a une vingtaine d’années par l’IEHCA (400 chercheurs du monde entier et des rassemblements thématiques réguliers) et le Pole Alimentation de l’Université, tout en fédérant et valorisant des acteurs historiques qui n’ont pas attendu l’Unesco pour faire du bien-manger et du bien-boire les mamelles du Val de Loire. Un sacré défi.

«La gastronomie française, il convient de le préciser sans plus tarder, ne saurait se résumer, et ce serait même un absurde contresens, à cette haute cuisine à laquelle seuls les plus fortunés ont accès. Il s’agit avant tout d’une culture populaire qui constitue l’un de nos marqueurs identitaires les plus forts, un patrimoine que nous ont légué des générations d’habiles paysans, vignerons, artisans, mères de famille, cuisiniers et gourmands qui, durant des siècles, ont affiné des techniques, des savoir-faire, des secrets de fabrication, des recettes.» Cette mise au point de Francis Chevrier, directeur de l’Institut Européen de l’Histoire et des Cultures de l’Alimentation, joyau caché de la culture tourangelle qui fête sa majorité cette année, pourrait – ne fût-elle aussi longue – orner en lettres d’or la façade de la Villa Rabelais. Juste histoire de remettre les pendules à l’heure une bonne fois pour toute : Tours et le Val de Loire n’ont pas volé leur label «Cité de la gastronomie» et la France n’est pas allée vendre ses étoilés Michelin à l’ONU pour faire classer sa culture alimentaire.

Un label que chaque Tourangeau peut s’approprier s’il le souhaite

Kilien Stengel, auteur gastronomique et chercheur ne dit pas autre chose quand il semble effaré que trop de gens confondent encore «gastronomie» et «haute gastronomie». «Curieusement, les gens ne confondent pas couture et haute couture, c’est pourtant la même mécanique sémantique : les deux sont liées, mais la première représente un spectre beaucoup plus large, qui inclut bien évidemment la seconde.» A Tours et dans les environs, quand on pense gastronomie, on penserait donc trop Jean Bardet et pas assez rue Colbert, trop La Roche Le Roy et pas assez Boll & Roll, trop menu «signature» à 87 euros du fraîchement étoilé Gaëtan Evrard et pas assez verre de gamay frais et tartine de rillettes sur la table en formica de Mamie Ginette. Pour autant, le même Kilien Stengel défend la grande qualité de certains chefs et de certains produits du territoire. Le «Touraine bashing» auto-infligé par de nombreux Tourangeaux n’a que trop duré : le Val de Loire n’a pas à rougir face à Lyon, Rungis ou Dijon. Il doit assumer que la gastronomie française, au sens large donc, y est dignement représentée, sans avoir à faire des ronds de jambe pour le justifier.

«Faisons de la reconnaissance de l’Unesco un point de départ et non un aboutissement figé» continue Francis Chevrier dans son ouvrage «Notre gastronomie est une culture» qui pourrait servir de référence à tous ceux qui s’intéressent au sujet. La Villa Rabelais, une fois réaménagée, sera une vitrine unique (en attendant d’autres lieux à venir dans quelques années comme les nouvelles Halles de Tours et d’autres lieux plus ou moins excentrés où on pourrait voir éclore des projets similaires) de cette «pratique sociale» encore plus prégnante en France que dans d’autres pays et qui ferait sortir avec force et passion le besoin de s’alimenter de son état primitif : lieu d’études et de diffusion de la culture, centre ressources, espace de transmission et de formation du grand public. La rencontre entre le simple gourmet et le chercheur ultra-spécialisé, entre le chef étoilé et le cuisinier du dimanche, avec en ligne de mire un seul objectif commun : continuer de bien se nourrir, dans une joie et une bonne humeur sans cesse renouvelées.

Qu’est-ce qui se mijote en cuisine ?

Après avoir envoyé en une seule édition un signal de folie des grandeurs un peu bling bling très négatif, les (feues) Francos Gourmandes devaient se faire remplacer par un nouveau festival au nom très français et très terroir (non, on rigole) : Planète Goodfood, finalement repoussé on ne sait quand. Christophe Bouchet tempère de toute façon les attentes : «Il ne s’agira pas d’un grand festival qui en mettra plein les yeux dès la première édition, nous allons planter une graine et faire pousser la plante tranquillement, année après année, car c’est comme ça qu’un festival authentique s’installe dans un territoire.» L’ambition est néanmoins en ligne de mire : à l’instar de la Villa Rabelais, ce nouveau rendez-vous a pour ambition d’installer un jour Tours sur la carte encore presque vierge des destinations touristiques de référence en terme de gastronomie «événementielle». C’est-à-dire pas juste un endroit où on mange bien dans des environnements agréables et où on trouve de bons produits, mais où on peut aussi s’embarquer dans des expériences marquantes. «On me parle souvent du Printemps de Bourges et du festival de BD d’Angoulême… Il faut être ambitieux certes, mais réaliste : ces deux références régionales ont mis une vingtaine d’années avant d’être connues et reconnues au niveau national,»  s’agace le maire de Tours.

Pour coordonner la valorisation du label, la Ville de Tours va s’appuyer sur deux créations de postes (imminentes) plutôt orientées com, gestion de projet et relations publiques, sur la mise en place d’un comité stratégique avec différents acteurs de la région (dont le Conseil régional, déjà partenaire privilégié de l’IEHCA et en attente depuis des années d’un projet qui tienne la route pour s’investir pleinement). Tours Evénements va repenser les événements existants et tenter de créer des ponts entre eux : Ferme Expo, le Mondial du Fromage, VitiLoire… Enfin, une «entité locale reconnue» devrait s’installer prochainement dans des locaux de la Ville situés dans les étages des Halles de Tours, afin de relancer la partie labellisation, relations publiques et réseautage.

Sur le papier, il semblerait donc qu’on va enfin pouvoir passer à table.

Quelques lectures utiles, 100 % locales (ou presque).

«Notre gastronomie est une culture» de Francis Chevrier, François Bourin Editeur, 2011.

«Hérédités alimentaires et identité gastronomique : Suis-je réellement ce que je mange ?» de Kilien Stengel, L’Harmattan, 2014.

«L’inventaire du patrimoine culinaire en France, Région Centre» volume coécrit et coordonné par Loïc Bienassis, Albin Michel, 2012.

«Le repas gastronomique des Français» ouvrage collectif sous la direction de Francis Chevrier et Loïc Bienassis, Gallimard, 2015.

«La gastronomie – Petite philosophie du plaisir et du goût» de Kilien Stengel, Editions Bréal,2010.

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