Doulce Mémoire : Asie, asile culturel ?

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A l’initiative de l’Institut Français en Indonésie, l’ensemble tourangeau de musiques anciennes Doulce Mémoire est parti en mai dernier à la rencontre d’interprètes de musique sundanaise. Ne parlant aucune langue en commun et ne pouvant même pas construire leurs échanges à partir de partitions, ces artistes ont néanmoins communié autour de ce précieux bien universel qui dépasse parfois toute considération technique (et pragmatique) : la musique, à l’état pur.

Denis Raisin Dadre nous a reçus chez lui, à Tours, début juillet, pour parler de cette belle expérience. Et d’autres sujets.

DSC_6018Denis Raisin Dadre (c) Laurent Geneix

La lente reconnaissance des ensembles tourangeaux

«La notoriété des ensembles tourangeaux de musique ancienne et Renaissance est plus importante à Paris ou en Asie qu’en Touraine !». C’est un constat qu’on a déjà fait et entendu à plusieurs reprises ces dernières années. Et encore très récemment dans la bouche d’Alessandro di Profio, directeur artistique du futur festival «Concerts d’Automne» le 27 juillet dans les colonnes de la Nouvelle République. Même si on ne peut que se réjouir que la Ville de Tours et Tour(s)Plus viennent «d’investir» 110.000 euros dans la première édition de ce nouvel événement culturel majeur qui se tiendra du 14 au 30 octobre prochains, force est de constater qu’au quotidien les ensembles tourangeaux (désormais plus que trois, orphelins de l’excellent Philidor qui a déposé le bilan il y a quelques mois en toute discrétion et sans que beaucoup ne s’en émeuvent outre mesure) travaillent dans de bien meilleures conditions à Angers, à Versailles ou au cours de résidences en Asie, que dans leur propre ville où, faute de salle, ils doivent bien souvent répéter dans de bien moins bonnes conditions que la plupart des jeunes formations musiques actuelles ou jazz. «Pour travailler à Tours, c’est assez simple finalement : nous poussons les meubles de mon salon et nous jouons» ironise Denis Raison Dadre, qui n’a jamais eu l’honneur de serrer la main de l’ancien maire de Tours (Doulce Mémoire existe pourtant depuis… 1989 !), visiblement pas du tout intéressé par l’un des joyaux de la culture tourangelle. Serge Babary n’a pas l’air très pressé non plus de se pencher sur les conditions de répétitions de ces ensembles et on peut facilement imaginer (en espérant avoir tort évidemment) que le budget municipal alloué à «Concerts d’Automne» (60.000 euros) servira d’alibi pour ne rien changer à cette situation. «C’est bien connu, un footballeur a besoin d’une belle infrastructure pour s’entraîner avant les matches, mais un musicien ça peut bien répéter dans son salon» chantonne Denis Raisin Dadre, sans jamais perdre son humour.

Un projet unique à Bandung

en rÇpÇtition - Achille Mareel

Heureusement de prestigieux organismes, publics comme privés, ici et ailleurs, mesurent depuis fort longtemps la valeur inestimable – qu’elle soit musicale ou historique – de l’Ensemble Jacques Moderne, de Diabolus in Musica et de Doulce Mémoire, donc. Ainsi, c’est une nouvelle fois grâce à l’Institut Français (anciennement CulturesFrance) et cette fois-ci plus précisément en Indonésie au festival «Printemps français», que l’ensemble Doulce Mémoire est parti à Bandung entre fin avril et début mai 2016 relever un challenge hors du commun et inédit dans l’histoire de la musique : confronter la musique occidentale la plus ancienne avec la musique de cour tout aussi ancestrale de l’Ile de Java.

«J’étais déjà allé travailler en Turquie, en Iran et à Taiwan dans des conditions un peu limites, mais là c’était vraiment la première fois que nous partions de rien, avec quelques partitions dans les bagages, mais sachant que nous ne pourrions communiquer ni en anglais, ni en français, ni par le biais des partitions…» raconte Denis Raison Dadre.

Concert 1 - Achille Mareel

C’est ainsi que pendant plusieurs jours, à grand renfort de gestes, d’essais sur les instruments et de quelques fous rires, les cinq Français et les trois Indonésiens ont échangé autour – côté occidental – des œuvres du XIVe siècle de Guillaume de Machaut et de Francesco Landini et – côté oriental – de pièces sundanaises très anciennes (mais impossibles à dater, à défaut de toute notion de conservation de patrimoine) transmises à l’oral exclusivement et, à l’exception de quelques enregistrements Ocora/Radio France à partir des années 1970, encore difficiles à entendre aujourd’hui.

«Nous travaillons sur une échelle pentatonique, c’est-à-dire des gammes de cinq notes, cela a suffi à nous permettre de construire un spectacle ensemble. Contrairement aux musiciens classiques, nous sommes habitués aux tempéraments inégaux et à restituer des musiques disparues, dont on n’a plus aucune trace écrite. Nous avons donc pu nous adapter.»

Le modus operandi de départ était simple : les musiciens français ont écouté les musiciens indonésiens jouer et ils ont fait leur «marché» en retenant quelques morceaux, qu’ils ont retravaillés ensemble par la suite. Inversement, les Français ont appris quelques morceaux de Machaut à leur homologues indonésiens.

«Nous avions quatre concerts à assurer quelques jours plus tard, dans des lieux assez prestigieux et au départ nous sommes arrivés sans rien, en jouant avec des personnes qui n’ont pas la même logique artistique que nous : les notions de concert, d’engagement, de public, de programme à suivre ne les intéressent pas nécessairement… Il a fallu aussi travailler ces aspects-là avec eux !» s’amuse Denis Raison Dadre avec quelques semaines de recul.

concert Ö Bali

Et la magie a opéré. Une rencontre culturelle au sens propre et surtout un moyen de plonger dans les tréfonds de l’histoire mondiale de la musique, dont de bien belles pages semblent encore à écrire, si on en croit les yeux pétillants de Denis Raisin Dadre : «Sur le chemin du retour, je suis allé au Hunan en Chine pour un autre projet autour de leur musique du VIIe siècle qui est classée au Patrimoine Immatériel Culturel de l’Humanité par l’Unesco. Il s’agit d’un projet de création soutenu par le service coopération internationale de la Région Centre Val de Loire. L’idée est de donner une touche plus «contemporaine» à la farce chinoise traditionnelle, mais en respectant les codes de la musique ancienne. Il y a là-bas de gros enjeux autour de la conservation du patrimoine, mais aussi de sa valorisation : à travers ce dialogue entre musiques anciennes occidentales et chinoises, l’ambition est de faire en sorte que les Chinois d’aujourd’hui portent un autre regard sur leur propre passé culturel.»

On est pour le coup bien loin des problématiques de salles de répétition…

Un degré en plus

> Les prochaines dates de l’Ensemble Doulce Mémoire :

Samedi 30 juillet – Festival La Clef des Portes – Talcy (41) Chansons et Danceries (concert)

Vendredi 26 août – Festival des Lumières – Montmorillon (86) La Dive Bouteille (spectacle)

Vendredi 2 septembre – Guinguette de Tours sur Loire (37) Folie douce (concert)

Vendredi 23 septembre – Festival Européen de Musique renaissance – Clos-Lucé d’Amboise (37) Léonard de Vinci, musicien (concert- création)

Vendredi 14 octobre – 1ère édition du Festival Concerts d’automne – Grand Théâtre de Tours (37) Folias de Cuba (spectacle)

 Crédits photos : Doulce Mémoire (sauf mention contraire)

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