Relation Médecin-patient : l’humain autant que le corps humain

Facebook
Twitter
Email

En généralisant le tiers-payant, Marisol Touraine banalise-t-elle la consultation médicale ? Oui, estiment les généralistes qui feront grève à partir du 23 décembre. Gratuite ou pas, la consultation médicale reste une rencontre à part. 

Patients-Médecins

« J’exerce depuis près de 30 ans, j’ai toujours autant de plaisir à soigner les gens », sourit Dominique Cochet. « De toute façon, si on n’aime pas  le contact humain, il faut changer de métier : l’humain est essentiel. » Dans son cabinet tourangeau, ce médecin généraliste reçoit des bébés, des vieilles dames, des étudiants et des pères de famille avec leurs enfants. Un quart d’heure par consultation, c’est la règle. Une règle presque systématiquement bafouée, on trouve souvent trois ou quatre personnes feuilletant un magazine écorné dans sa salle d’attente. « J’essaye de respecter les horaires, mais je suis tout le temps en retard, c’est vrai. Quand on écoute les gens, on ne peut pas vivre avec un chrono dans le ventre. »

L’humain, une découverte sur le tas

En première ligne pour beaucoup de pathologies, le médecin généraliste entre dans l’intimité des familles ; il est le premier confronté à la relation patient-médecin, ce mélange de confiance et de respect mutuel indispensables aux soins. « Pendant nos études, on découpe des cadavres. Ensuite, on voit des gens à poil toute la journée, de tous les sexes et de tous les âges. C’est le seul métier où on dit à un inconnu de se déshabiller, puis qu’on lui va lui faire un toucher rectal et où il obéit sans broncher, rappelle avec pas mal d’humour Margot, qui termine son internat.

Le contact humain, c’est pourtant, la seule chose qu’on n’enseigne (presque) pas aux futurs médecins. A la faculté, les sciences humaines et sociales ont la part congrue. L’UFR de Tours y consacre une quarantaine d’heures la première année, une vingtaine la troisième. A Angers, c’est 55 heures en première année. Formé à Marseille au début des années 1980, Dominique Cochet se souvient de « zéro cours sur le sujet. On ne nous disait rien. On apprenait sur le tas, en observant un patron ou professeur qu’on admirait ».

Etudiant en cinquième année à la fac de médecine de Tours, Benjamin a déjà constaté que cette relation avec les patients était primordiale mais que c’était au médecin de la créer. En prenant le temps de connaître les gens, leur environnement, en étant pédagogue et en reconnaissant les limites de ses compétences. Il a eu le coup de foudre pour la médecine générale lors d’un stage dans l’Indre. « C’était en pleine campagne, le médecin connaissait chaque famille. Je l’ai vu expliquer aux malades les raisons et les conséquences de leurs pathologies, avec beaucoup de simplicité et de patience. Et les patients suivent beaucoup mieux les prescriptions. »

Dans les services spécialisés, un relation humaine grignotée…

Margot ne se sentait pas faite pour la médecine générale : « On est souvent isolé, c’est dur. » Elle a choisi la diabéto-endocrinologie parce que cette spécialisation demande une relation particulière avec le malade et ce que les médecins appellent de l’éducation thérapeutique, en apprenant au diabétique à vivre au mieux avec sa maladie. Le médecin entre là encore dans sa vie personnelle. Pas par curiosité mais pour lui permettre de suivre le traitement le plus adapté.  « On le suit dans le temps et on doit le connaître: est-ce qu’il vit seul ? Quand est-ce qu’il mange ? Quels sont ses horaires de travail ? Est-ce qu’il sait lire ? Chaque traitement est pensé ensuite en fonction du patient, de sa pathologie, ses capacités et son mode de vie. » Elle aussi a découvert le contact avec le patient sur le terrain mais à l’hôpital parisien de La Pitié-Salpêtrière, où elle termine son internat. Ses deux chefs de service ont instauré des formations particulières : des intervenants extérieurs donnent aux soignants des bases de communication interpersonnelle. « On n’est plus dans une relation paternaliste. L’information médicale circule beaucoup plus, avec du bon et du moins bon et nous devons être pédagogue. Si le patient nous fait confiance, il suivra mieux le traitement.»

Mais dans les services spécialisés aussi, la pression administrative s’amplifie : les procédures d’hospitalisation, la durée des séjours, les exigences de rentabilité,  jusqu’aux délais de renvois des comptes-rendus, grignotent la relation humaine. « Surtout, chaque secteur est très compartimenté. Par exemple, si on est responsable des chambres 1 à 12, on ne pourra pas s’occuper d’un patient qui arrive dans le service mais qui est prévu dans la chambre 24. Je ne sais pas si c’est en augmentation mais j’y suis plus sensible, avoue Margot. Une fois familiarisée avec le service, on se concentre sur la façon dont on échange avec les malades et on se rend compte à quel point ces procédures sont lourdes. »

L’explosion de la paperasse

A l’hôpital, le temps passé avec le malade peut parfois être réparti : l’interne, l’infirmière, la nutritionniste, complèteront chacun l’information donnée par le médecin. Le généraliste est souvent seul pour écouter le patient, poser un diagnostic, expliquer les traitements choisis, orienter le malade vers un  spécialiste, suivre les retours du confrère ou les analyses complémentaires. Tout cela demande du temps, un temps qui rétrécit : « Depuis mon installation en 1986, j’ai vu la paperasse exploser », explique Dominique Cochet. Il appartient à la génération charnière, celle qui a débuté « à l’ancienne » avant de voir déferler la télétransmission, la CMU, la multiplicités des certificats médicaux, des attestations de toutes sortes. Des tâches administratives qui accapareraient les médecins jusqu’à 1h47 par jour, selon le site Cyberdocteur et parmi lesquelles le projet de généralisation du tiers-payant apparaît le point d’orgue. « Je ne pourrai pas courir après 500 mutuelles différentes pour récupérer le montant des consultations, avoue le médecin. Le temps n’est pas élastique et pour bien soigner les gens, il faut passer du temps avec eux. »

 Il craint aussi que cette charge supplémentaire ne dégoûte la nouvelle génération de médecins de s’installer en libéral. La médecine générale et ses horaires à rallonges (57 heures de travail par semaine, en moyenne) ne font pas peur à Benjamin, qui la choisit avec enthousiasme : « C’est la spécialité la plus variée et la seule où le médecin voit des gens sains. » Même si les visites à domiciles sont chronophages, il tient, comme son tuteur ou le docteur Cochet, à les pratiquer. Elles lui paraissent indispensables pour ne pas abandonner les patients qui deviennent invalides et pour mieux les comprendre. Mais quand on lui parle des tâches administratives, il fait la grimace : « Ça… oui, il faudra bien en passer par là, on n’a pas le choix. »

 Dominique Cochet, lui, a choisi de faire grève à partir du 23 décembre. En élargissant le tiers-payant, la ministre de la Santé espère désembouteiller les urgences mais pour le médecin tourangeau, c’est d’abord une question d’éducation : « En France, tout est urgent. Une infirmière m’a regardé avec de grands yeux quand je lui ai dit qu’une infection urinaire, ce n’était pas urgent. Bien sûr que ça demande des soins ! Mais ça peut attendre 24 heures.  Par contre, je n’ai pas attendu ce projet de loi pour prendre en compte les situations financières délicates et  faire du tiers-payant quand il le faut. »

 L’info en plus de 37° :  Selon le Conseil national des médecins, l’Indre-et-Loire compte 849 généralistes, un chiffre qui accusera une légère baisse en 2018 et près d’un quart d’entre eux a déjà plus de 60 ans. Parallèlement, le nombre de spécialistes augmente mais toutes les spécialités n’ont pas le même succès : la gynécologie médicale et la pédiatrie perdent 7 à 10 % de leurs effectifs. Deux domaines justement dans lesquels les généralistes interviennent régulièrement.

Facebook
Twitter
Email

La météo présentée par

TOURS Météo

Inscription à la newsletter