Dans un monde où 1% des personnes les plus riches détiennent plus que le reste de la population mondiale, le second volet de l’Observatoire des inégalités ne dresse guère un portrait plus optimiste de la société française. En première ligne : les jeunes et l’emploi de plus en plus instable.
« Une partie de ceux qui dénoncent les inégalités défendent des modèles sociaux encore plus inégalitaires. » Le propos est un brin énigmatique mais le constat demeure. Le bilan de l’Observatoire des inégalités rappelle, deux ans après le premier tome, que chômage et instabilité du travail sont toujours cruellement d’actualités. Si les auteurs Louis Maurin et Anne Brunner appellent à prendre du recul dans « un pays où il fait le meilleur vivre sur la planète », cela n’empêche pas l’écart entre riches et pauvres de se creuser continuellement.
Fruit d’un travail d’une longue enquête, ces données sont désormais une référence dans le débat politique et tendent à donner les grandes lignes d’actions du quinquennat à venir. A bon entendeur. Alors que le gouvernement d’Edouard Philippe se prépare dès cet été à accélérer les réformes délicates du code du travail qui ont divisé les Français l’année dernière, le rapport pointe du doigt un certain immobilisme. Chômage, pénibilité, ubérisation… la ritournelle des débats lors de la dernière présidentielle ne pourra être prise au sérieux qu’après apport de solutions au lieu de souffler sur les braises du sentiment d’insécurité qui ont, en partie, expliquer la présence Front national au second tour du mois de mai.
Au-delà du simple constat de l’inégalité en France, l’Observatoire donne à voir un paysage hexagonal, hélas bien trop familier, celui des pauvres toujours plus pauvres et des riches toujours plus riches. Malgré le système de redistribution, l’ensemble des possessions des 50 % les plus pauvres ne représente que 8 % du patrimoine total. A l’inverse, 1 % des Français les plus riches concentrent 17 % des richesses. Au sein de la spirale inégalitaire, la jeunesse semble rimer avec pauvreté. Les chiffres alarmant démontrent que 36% des personnes sous le seuil de pauvreté ont moins de 19 ans. Surreprésentés dans les classes populaires (employés ou ouvriers), les jeunes sont les victimes d’une école qui échoue à diplômer une partie de son public, notamment les moins aisés, et conforte les élites. Le travail flexible, peu qualifié, apanage des jeunes actifs, s’inscrit dans un contexte économique en plein bouleversement et redessine la population où le quart des actifs est en situation de mal-emploi, entre intérim et CDD à répétition. « Une partie des tensions sociales sont nées du décalage entre la vision idéalisée du monde du travail dans laquelle vit toute une partie de la population très protégée et l’univers professionnel des classes populaires, à son service », précise le rapport.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le rapport n’y va pas de main morte. Louis Maurin et Anne Brunner n’hésitent pas à parler « d’hypocrisie » des classes dirigeantes. Politique de l’autruche ou snobisme économique, elles se détournent des questions prioritaires qui fondent le travail d’aujourd’hui et de demain. En effet « une heure de travail à la chaîne ne vaut pas une heure de travail en réunion ou devant un écran d’ordinateur ». Et dans un système Uber, la suppression progressive des intermédiaires permettant une prise de contact directe entre service et client, qu’en est-il ?
Pédale dure
Depuis le 22 mars, la société Deliveroo développe son activité de livraison de repas à domicile à vélo à Tours. Nouvel eldorado pour une jeunesse sportive et désireuse d’arrondir les fins de mois ? Ou confortation d’un système pyramidal ? Pour ceux en immersion dans le quotidien des notifications, le portrait du job semble plutôt sombre.
« On reçoit une notification sur son smartphone et il faut répondre au plus vite au risque de se voir passer la commande sous le nez. » Pierre (le nom a été changé), étudiant de 21 ans, a travaillé pour la jeune société et son enthousiasme a désormais vite déchanté. « Avant j’ai enchaîné les petits boulots et de l’intérim. J’ai même fait un peu de black. Ce genre de travail, c’est une aubaine pour qui veut commencer à gagner de l’argent assez rapidement et choisir ces horaires en fonction des cours à la fac. Tours s’y est mis assez tardivement par rapport aux autres villes. En plus tout est simplifié, tout est numérisé. C’est très rapide. Mais maintenant je prends du recul. »
Risques d’accidents de la route, stress à répétition, compétition accrue… et un statut d’autoentrepreneur qui n’arme pas aux droits du travail comme tout le monde : les contraintes des charges couplées de l’absence de congés payés et de cotisations. Vélo et téléphone (et ainsi le coût d’une bonne connexion) restent à la charge du biker à pédale. Les frais seront à déduire du salaire qui se situe aux alentours de cinq euros la commande. Que des avantages, donc, pour la société qui perçoit entre 20 et 30% de commission grâce à ses partenariats. Ces derniers, des restaurateurs, malgré l’absence de chiffre clefs, ont aussi tout à gagner de ces coursiers prêts à tout pour arrondir les maigres fins de mois (la plupart sont étudiants). La société Deliveroo a pour projet de doter ses cyclistes partenaires dans d’autres villes d’assurance gratuite. Un minimum pour prendre soin des ouailles. D’ici là, pédalez plus pour gagner plus !
Le travail révolutionné par les moyens modernes de l’ère numérique est mieux adapté aux start-ups et moins aux travailleurs jeunes ayant déjà un pied dans la précarité. L’Observatoire met alors en garde : « ceux qui manient la critique sociale sans retenue, même avec la meilleure volonté du monde, gagneraient à y réfléchir à deux fois et devraient se demander quels intérêts ils servent au final. » Rappel cinglant, donc, au risque de rester bouteille à la mer.
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