A quoi devrait ressembler la Place Jean Jaurès dans 5 ans ? Qu’est-ce qu’il ne faut absolument pas changer ? Pourrait-on remplacer les fontaines par un autre aménagement aquatique ? Voici une partie des questions que nous posions aux internautes lundi 16 novembre. Un sondage pour savoir qui pense quoi sur ce lieu emblématique de Tours promis à une transformation certaine lors du chantier de la ligne B du tram. Entre La Riche et Chambray, les rails doivent en effet se raccorder à ceux de la première ligne à hauteur du Palais de Justice. Le maire de Tours a émis l’idée que les travaux seraient l’occasion de repenser l’espace en impliquant la population dans le processus de décision. Un sujet clivant.
« Elle est majestueuse », « J’aime la fraîcheur apportée par les fontaines et les changements de couleurs au fil des saisons », « Devant cette place je me sens au cœur de Tours, les fontaines font écho aux châteaux de la Loire et font de cette place un symbole fort », « On a tous des souvenirs avec cette place, elle est spéciale », « Je suis ébahie par la beauté de cette place. Je fais régulièrement le déplacement juste pour la contempler »… Voilà quelques sentiments d’internautes parmi les 1 500 réponses reçues en moins d’une semaine. Grandeur, beauté, volupté… Ce sont quelques mots utilisés pour symboliser l’attachement au décor qui entoure l’Hôtel de Ville et le tribunal. Mais on lit aussi que « c’est brouillon, ramassé. Cela manque d’espace et de perspectives » et une salve d’autres critiques : « Pas d’ombre, pas d’abris, peu de sièges… On la regarde, on y passe mais on ne s’y arrête pas », « Trop de voitures et de bruit », « Sublime mais bordélique », « Ce n’est qu’un gros rond-point », « Une place datée qui a besoin de renouveau », « Difficile d’y flâner »…
Même s’il n’est pas représentatif de toute la population (le format de la consultation incitant en prime les opposants à donner encore plus de la voix que les sympathisants pour se faire entendre), notre sondage illustre un grand écart d’opinions autour de la Place Jean Jaurès. Presque un quart des personnes interrogées ne voit rien à y améliorer et souhaite absolument qu’elle reste comme aujourd’hui (certaines en profitent pour rappeler leur opposition au passage du tram B à cet endroit, préférant par exemple qu’il desserve les Tanneurs). Ce n’est pas tout : 69% souhaitent absolument garder les deux fontaines, 73% veulent préserver un certain aspect symétrique. Cela dit, on peut lire les chiffres autrement : 76% des répondants sont prêts à des évolutions à Jean Jau. Seuls 27% souhaitent conserver le schéma de circulation actuel avec des voitures qui peuvent faire tout le tour des massifs.
Une priorité : apaiser la place
L’organisation de la circulation, le manque d’espaces pour les piétons ou les vélos, c’est le principal grief retenu contre le Jean Jaurès d’aujourd’hui. 18% des internautes veulent en priorité plus d’aménagements pour les piétons et les autres mobilités douces, 15% avant tout moins de zones réservées aux voitures… Mais quand on suggère de supprimer les voies de circulation devant l’Hôtel de Ville pour agrandir le parvis on voit que 51,5% des personnes interrogées s’y opposent.
Alors que faire ? L’ultime question de notre sondage permettait de s’exprimer librement. Beaucoup en ont profité pour réaffirmer leur volonté de conserver l’aménagement existant : « Arrêtez de vouloir tout changer et en fin de compte tout défigurer », « Attention à ne pas tout piétonniser sinon on va devenir une ville musée ingérable », « Laissez-là comme cela, ne faites pas de dépenses inutiles ! »… Dans un deuxième temps, il y a le concours Lépine des propositions… D’abord les souhaits de simples évolutions :
« Gardez les jets d’eau en modernisant leur variété de fonctionnement », « Peut-être rajouter des bancs et une ou deux pergolas en bois ? », « Ce lieu historique n’a pas la fonction de devenir un square à cause de son bel agencement en bâti classique. Donc pas trop de bouleversements, simplement souligner son dessin actuel par quelques apports d’arbres à port bas (habitus formes arrondies »…
Et puis les transformations radicales :
« Je souhaite une grande esplanade moderne dédiée aux piétons avec quelques arbres, des bancs, un miroir d’eau et de grandes œuvres d’art monumentales de temps en temps », « Pourquoi pas creuser une tranchée couverte pour faire passer le trafic sous la place Jean Jaurès entre les boulevards Heurteloup et Béranger pour laisser une place sans véhicule ? », « Pourquoi pas un kiosque à boissons avec bien entendu des personnes pour nous servir et des bancs supplémentaires ? », « Remplacer les massifs de fleurs par des végétaux pollinisateurs, à cela pourraient se greffer des points d’eau sur le modèle du biomimétisme et non des grandes fontaines qui n’ont qu’un intérêt visuel », « Et si on installait des jardins partagés ? »…
D’un côté on veut donc éviter de trop juguler la circulation automobile et ne pas rogner sur un décor qui – par sa durabilité – est jugé non modifiable. De l’autre on espère une « agora » urbaine pour faciliter rassemblements et flânerie, « un lieu de vie plus qu’un lieu de passage » résume un message, un autre suggérant une modification de nom pour créer l’Esplanade Jean Jaurès, une terminologie qui peut avoir un impact sur l’idée que l’on se fait d’un lieu. Esplanade renvoyant plus ou moins inconsciemment au grandiose, et aussi au fait de prendre son temps pour profiter d’un endroit.
Cette diversité des opinions, ces débats passionnés alors que les élus n’ont arrêté aucun choix concret et précis pour l’avenir – juste des déclarations d’intention – vont nécessairement rendre complexe toute avancée. Même en consultant le public, il risque d’être difficile de faire l’unanimité. Un message résume bien la situation : « Il faut que cette place garde ses gênes historiques avec un petit coup de ‘jeunesse’ discrètement distillé. Un exercice d’équilibriste en somme. » Ce sera la mission des cabinets d’architectes.
L’aménagement des grands pôles urbains a toujours suscité de vastes débats
Le côté universel de la Place Jean Jaurès – tout le monde y passe au moins ponctuellement – justifie complètement cette polarisation, le fait qu’une majorité de personnes se permette d’exprimer un avis tranché. A pied, en voiture, en tram, en manif… On se sent un peu chez soi sur cette place. Pourtant, quelques personnes avouent être incompétentes : « Proposez-nous des projets et on vous dira ce qu’on en pense » peut-on lire à la fin d’une poignée de formulaires. Cela nous permettra de conclure en rappelant que les grands projets urbains ont toujours entraîné d’âpres divisions avant d’entrer à leur tour dans le patrimoine voire d’être considérés comme de grandes fiertés.
A Tours, les meilleurs exemples sont ceux de la Place Plumereau (un ancien parking) et, plus récemment, de la Place Châteauneuf où les arbres ont remplacé les voitures. Un lecteur de 26 ans se félicite du résultat de ce projet et souhaite que sa philosophie soit adaptée pour ce que certains appellent encore la Place du Palais. Voici ce qu’il dit de Châteauneuf :
« Elle représente pour moi ce à quoi Tours et son centre devraient ressembler partout : un lieu de rencontre pour tous, moins pollué, accessible à pieds et à vélo majoritairement, sans mettre de côté les voitures et les transports en commun. Un lieu plus vert et plus ombragé. Agréable de jour comme de nuit avec les parcours lumineux. Redonnons aux gens l’envie de flâner. »
En son temps, le projet de Châteauneuf avait – lui aussi – entraîné des critiques. Et au XIXe siècle le premier aménagement de Jean Jaurès n’allait pas de soi non plus… Quand Victor Laloux a présenté les plans de l’Hôtel de Ville la construction a été jugée démesurée, avec un style trop différent du Palais de Justice. Qui s’indigne encore contre cela aujourd’hui ?
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