C’est partout pareil, dans les communes rurales, les commerces sont de moins en moins nombreux. L’Indre-et-Loire n’échappe pas à la règle. Mais dans plusieurs communes du département, des acteurs de la vie locale -élus, habitants, commerçants- ont décidé de prendre les choses en main. Ils inventent de nouveaux modèles pour redynamiser leur territoire.
« Je suis désolé, il faut que je vous laisse, j’ai rendez-vous avec un imprimeur pour commander un nouveau panneau. Le texte, ça sera : « Ports-sur-Vienne : des espaces pour faire escale ». » Pressé, le maire Daniel Poujaud nous expose sa dernière idée en date pour dynamiser sa petite commune d’environ 380 habitants, située à la confluence de la Vienne et de la Creuse.
Les espaces en question, il n’a de cesse de les aménager depuis son élection, en 2014. Réaménagement de la salle des fêtes en centre socioculturel, transformation de l’ancienne école en espace numérique public, création d’un parc pour les enfants à côté du terrain de football…
Son coup d’éclat : le rachat, par la municipalité, du bar restaurant du centre-bourg. Il a ouvert en avril dernier et a déjà accueilli son 2 000e client. Son nom : l’Escale. Et oui, comme sur le futur panneau.
Depuis l’élection de Daniel Poujaud en 2014, la commune de Ports-sur-Vienne s’organise en différents « espaces ».
Quelques jours avant ce rendez-vous avec l’imprimeur, à 75 kilomètres de là, la commune de Sonzay – environ 1 400 habitants – inaugurait en grande pompe un commerce multi-service. C’était le 23 juin dernier. En plein cagnard, le président du conseil régional, un conseiller départemental, un député ont fait le déplacement pour saluer l’ouverture de ce nouveau magasin. Là encore, c’est la mairie qui a payé pour les locaux.
Sonzay – Ports-sur-Vienne. C’est presque l’Indre-et-Loire du nord au sud. Pour empêcher ces deux communes de devenir des villages-dortoirs, leurs mairies ont décidé de prendre les choses en main.
Fermeture sur fermeture…
« L’accès aux commerces reste une problématique importante dans les communes rurales. » Ce constat provient d’un rapport de l’Insee publié en novembre 2017. Selon ce document, les communes rurales comptent deux fois moins de magasins par habitant que les communes urbaines. La moitié de la population de ces communes est même située à plus de 3,4 kilomètres d’une supérette ou d’un magasin d’alimentation générale. Et en 2015, plus de la moitié des communes rurales n’étaient dotées d’aucun commerce. Un nombre toujours en légère augmentation.
Les communes de Ports-sur-Vienne et de Sonzay sont une parfaite illustration de ce phénomène. La première abritait autrefois le barrage de Maison-Rouge. Cela en faisait un pôle d’attractivité, en plus de sa situation sur un parcours touristique. Mais après la destruction de l’édifice en 1998, elle a vu fermer ses deux restaurants, son camping, son bureau de poste, son école…
Lorsque Daniel Poujaud prend les commandes de la municipalité en 2014, il s’intéresse tout de suite à ce qui deviendra l’Escale : un hôtel-restaurant qui a connu une activité florissante jusqu’à sa fermeture en 1987. Il voit ensuite passer plusieurs repreneurs jusqu’en 2012, où il est laissé à l’abandon. À la même époque, la commune reçoit une manne financière due au passage d’une LGV sur son territoire. Ce qui lui permet de refaire entièrement sa place centrale, sur laquelle est situé le bâtiment.
L’achat et les travaux nous ont coûté 190 000 euros. Le budget annuel de la commune est de 250 000 euros.
« Ce local avait un très grand potentiel. C’était un outil, on ne pouvait pas le laisser dormir », défend l’édile. Le problème, c’est qu’il a fallu aller vite. Car la reprise du restaurant a été un lourd investissement pour la commune. « Au total, l’achat du commerce plus tous les travaux nous ont coûté 190 000 euros, calcule Daniel Poujaud. Le budget annuel de la municipalité est de 250 000 euros. » Pas question donc de laisser la boutique vide trop longtemps.
Le maire poste alors une annonce sur les réseaux sociaux. Par chance, au même moment, Cécilia Couthon rêve de changement. À 39 ans, employée chez un charcutier-traiteur à Tours, elle décide de changer d’air et de retourner à ses racines. « Je suis née ici, raconte-t-elle, et j’en avais marre de la ville. » Alors, dès qu’elle voit l’annonce du maire, elle se positionne. Mais elle ne se lance pas dans l’aventure à l’aveugle, loin de là. Elle fait réaliser une étude par un cabinet comptable et suit une formation de 250 heures à la chambre des métiers. Le but : s’installer en location-gestion dans le bar restaurant flambant-neuf.
C’est le même modèle que celui choisi par la municipalité de Sonzay pour son épicerie multiservices. Cette commune aussi a vu ses commerces disparaître petit à petit. En quelques années, elle a perdu son ancienne épicerie, sa boucherie, sa boulangerie… Seuls ont résisté le salon de coiffure – qui fait aussi office de relais poste – et son bar, repris par un couple en janvier 2017.
Située en plein cœur du village, la maison dans laquelle est installé le nouveau commerce appartenait à des propriétaires partis vivre dans le Nord. « Mais leur cœur est à Sonzay », souligne Jean-Pierre Verneau, à la tête de la municipalité depuis 2014. Ils n’étaient pas vendeurs au départ. Mais par chance, le maire les connaît et les a convaincus de réfléchir. « Le bâtiment était inoccupé, en centre-bourg et on pouvait faire un parking juste à côté. C’était l’emplacement idéal », justifie-t-il.
Préserver les commerces en zone rurale, « c’est une question de survie ».
Là encore, c’est un gros investissement : 700 000 euros pour la totalité du projet. Il a pu être financé à hauteur de 28 %. Parmi les sources de financement : la région Centre-Val-de-Loire. Pour François Bonneau, le président du conseil régional, préserver les commerces en zone rurale est une priorité. « Pour un événement comme celui d’aujourd’hui, on assiste à 99 départs ou fermetures, tient-il à rappeler lors de l’inauguration. Si nous ne faisons rien, il n’y aura plus de villages. Les commerces participent au vivre-ensemble. » Pour Daniel Poujaud aussi, c’est le rôle de l’argent public. « C’est une question de survie », proclame-t-il avec gravité.
Nouvelles recettes
Le problème, c’est que le commerce à l’ancienne ne suffit plus à fidéliser la clientèle. Celle-ci n’est plus aussi attachée à son territoire qu’avant. Elle va travailler à l’extérieur et peut aller se fournir dans les grandes surfaces, à plusieurs kilomètres. Une des solutions réside dans la diversification de l’offre. C’est ce que fait Nabil Lounnas, 37 ans, gérant de l’épicerie de Sonzay. En plus de l’alimentation générale, il propose à ses clients sandwichs, quincaillerie, photocopies… « On est tout le temps en rupture », affirme-t-il, enthousiasme.
Le multiservices : une des solutions qui existent pour pérenniser un commerce en zone rurale.
Juste à côté, l’autre partie du bâtiment est occupée par la nouvelle boulangerie de la commune, elle aussi aménagée et louée par la mairie. Martine et Pascal Taillepied, les gérants, disposent en tout de trois boutiques et deux points de fabrication. Les deux boulangers sont formels : c’est grâce à ce dispositif qu’ils s’en sortent. « Ça nous permet de proposer un éventail de produits plus large. » À la clé : une clientèle plus fidèle. Bien sûr, ce modèle implique des frais de déplacement et, surtout, une gestion importante. « C’est presque un nouveau métier », analyse Pascal Taillepied.
Facteur-livreur
Mais tous les commerçants n’ont pas les moyens d’assumer une logistique importante. Pour cela, ils peuvent aussi compter sur la Poste. L’entreprise leur propose désormais d’assurer la livraison à domicile de leurs produits. En Indre-et-Loire, le dispositif a notamment séduit Au fil des saisons, un producteur de fruits et légumes basé à Savonnières. Chaque jeudi, la Poste livre aux abonnés du maraîcher une « box 4 saisons », adaptée au format d’une boite aux lettres normalisée.
La Poste est un acteur historique de la vie des communes. Aujourd’hui, elle se veut un « partenaire » pour les commerçants ruraux. C’est en tout cas le discours tenu par Nicolas Pelissier, directeur de la communication du service courrier-colis. « Notre but, c’est de leur simplifier la vie », résume-t-il.
Les bienfaits de la coopération
À la livraison à domicile, d’autres préfèrent, pour redynamiser leur village, miser sur la coopération. C’est le cas d’un collectif constitué d’habitants des communes de Bueil-en-Touraine et Villebourg, qui comptent chacune environ 300 habitants. Leur grand projet : ouvrir une épicerie coopérative. « Pour l’instant, on ne sait pas trop à quoi cela va ressembler, avoue Gwenaëlle Pambouc, membre du collectif. C’est encore en cours de discussion. » Enfin, ils ont tout de même une source d’inspiration.
En décembre 2017, ils sont allés visiter un commerce coopératif situé en Mayenne (53), dans la commune de Fontaine-Daniel. « Plus qu’une épicerie, c’est un lieu de vie, indique Gwenaëlle Pambouc. On peut s’y rencontrer, prendre un café…»
Daniel Poujaud en est convaincu, toutes les communes ont du potentiel. « Tout dépend des acteurs, il faut qu’ils soient dynamiques », professe-t-il. Une philosophie qui conduit sa municipalité à investir et à emprunter des sommes considérables pour financer ses fameux « espaces ». Le prix à payer pour amener commerçants et passants à faire escale dans sa commune.