Noël 2015 : Tours privé de ses créateurs

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C’est un peu comme la menace qu’on fait aux enfants : «si t’es pas sage, le Père Noël ne passera pas !». Mais qu’ont donc fait de mal les Tourangeaux cette année pour être privés de deux événements majeurs en décembre, le Free Market des Halles et le Workshop du Péristyle de l’Hôtel de Ville ? Avec un chiffre d’affaire cumulé d’environ 100.000 € pour les créateurs locaux participant à ces événements, la punition est énorme, certains n’ayant pas pu se rattraper sur d’autres marchés similaires, soit parce qu’il n’y avait pas assez de place pour eux, soit parce qu’ils sont beaucoup moins fréquentés. Enquête.

Des créations créatrices d’emploi

Au-delà de l’appauvrissement de l’offre de cadeaux de Noël originaux et de qualité, conçus et fabriqués pour beaucoup en Touraine, la plupart uniques et à des prix abordables, c’est l’aspect économique de l’annulation de ces deux événements qui est marquant. «Les créateurs se sont créés leur emploi eux-mêmes, un emploi forcément précaire vu sa nature particulièrement aléatoire,» nous explique Marie, de l’association La Bulle basée à Poitiers qui a démarré le Workshop à Tours il y a quatre ans.

Rolan, l’un des responsables du FreeMarket, précise que la grande majorité des exposants sont inscrits à la Maison des Artistes, un régime social qui leur permet de ne pas payer trop de charges et de pouvoir par conséquent développer leur travail dans des conditions à peu près correctes.

«Sans tomber dans la généralisation sociale, on observe quand même qu’il s’agit assez souvent de femmes qui ont des enfants à élever et/ou qui ont du mal à retrouver un emploi classique, certaines vivant seules suite à une séparation,» précise Marie.

Petit rappel historique

Le Free Market est né il y a une dizaine d’années de l’envie d’un groupe d’amis d’organiser des expositions ponctuelles sur Tours. Après quelques expériences à droite à gauche, les voici aux Halles en 2011, avec une cinquantaine d’exposants et des concerts. Dans un esprit décalé, convivial et plutôt underground, le Free Market sélectionne néanmoins ses créateurs avec beaucoup de rigueur et d’attention. Entre un tiers et la moitié viennent de Tours, les autres viennent parfois de loin, même si l’opération au bout du compte est blanche, voire financièrement négative pour eux. L’aspect «diffusion de créations» prime au Free Market, le militantisme associatif aussi, le bénévolat et les relations humaines étant ici élevées au rang d’art de vivre, même si en finalité, l’idée est quand même que les créateurs gagnent leur vie en vendant leurs réalisations.

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Le Workshop est né d’une scission au sein de l’équipe du Free Market qui a, elle, longtemps navigué entre Poitiers et Tours. Au départ, le collectif La Bulle œuvrait uniquement à Poitiers, mais découvrant les charmes de Tours grâce à leurs amis du FreeMarket tourangeau, il a eu envie de créer son propre événement ici. Il est des scissions dont on ne se plaint pas, puisqu’au bout du compte on a eu droit pendant quatre ans à deux événements au lieu d’un et donc à une centaine de créateurs au lieu de cinquante ! Ici, on est dans un état d’esprit plutôt professionnel que bénévole, avec rémunération des organisateurs, même si le Workshop est aussi géré par une association, basée à Poitiers.

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Avec l’ancienne municipalité, des accords verbaux

Au départ, la mise à disposition gratuite de la grande salle des Halles et du Péristyle était le fruit d’un accord avec Alain Dayan, l’adjoint au commerce de l’équipe municipale précédente, qui y avait vu du gagnant-gagnant, puisque la Ville de Tours accueillait à très peu de frais (zéro subvention) deux manifestations de qualité, sans avoir à organiser quoi que ce soit. L’équipe de Serge Babary n’a visiblement pas vu les choses comme ça.

«En 2014, lorsque la nouvelle municipalité est arrivée, les engagements ayant été pris, ils ont été respectés, mais déjà on nous a prévenus qu’en 2015, ce serait payant», explique Rolan. Une grande salle des Halles à 600 euros la journée, soit un coût total de 2400 euros car dans un souci de rentabilité sans faille, la Ville n’oublie pas de facturer le jour de l’installation des stands et de la déco. «Cette somme correspond à notre budget annuel ; cela voulait donc dire qu’il fallait doubler notre budget pour pouvoir rester aux Halles.»

Lorsque nous demandons à Rolan pourquoi les créateurs ne peuvent pas payer 50 euros de plus pour participer au Free Market (la participation étant en moyenne de 50 euros au départ, ce qui aurait fait un total de 100 euros), voici ce qu’il nous répond : «Pour un jeune créateur ou quelqu’un qui vient d’un peu loin, cette différence peut être importante. Beaucoup sont précaires et ont peu d’occasion de montrer et de vendre leur travail au cours de l’année ; ils sont donc à 50 euros près, oui. Mais au-delà de ça, car c’est vrai que certains créateurs vendent pour 1500 ou 2000 euros pendant ces trois jours, c’est une question de principe : un artiste a besoin de soutien pour sa création, il ne s’enrichit pas, il cherche juste à pérenniser son emploi ou son demi-emploi, car une bonne moitié de nos créateurs sont obligés de travailler à côté pour s’en sortir.»

Au Péristyle de l’Hôtel de Ville, la différence de tarif était plus importante : la Ville de Tours exigeait d’un coup 50 euros par jour par exposant, sans passer par la structure organisatrice La Bulle. D’un coût allant de 100 à 200 euros le stand pour chaque créateur pour quatre jours (tarif couvrant l’installation, la com, l’organisation générale, la prestation des intermittents de La Bulle), on serait passé de 300 à 400 euros, ce qui était évidemment bien trop élevé pour la plupart des participants. En 2014, pour limiter la casse, la Ville a accepté de ne demander que 50 euros par exposant pour les quatre jours (au lieu de 200). «Il existe des pratiques simples de soutien aux créateurs dans d’autres villes. Ainsi à Poitiers, pour le Free Market, on nous met à disposition gratuitement une grande salle qui se loue plusieurs milliers d’euros par jour» raconte Marie, qui déplore l’inflexibilité et le manque de dialogue «hallucinant», voire le «mépris» de Céline Ballesteros l’année dernière à leur égard.

Les créateurs n’ont qu’à prendre une cabane au Marché de Noël. C’est ce qu’on pourrait se dire. Mais les obstacles sont multiples : le marché de Noël dure cinq semaines, pendant lesquelles les participants s’engagent à ouvrir tous les jours. Un engagement très lourd, particulièrement pour une personne seule, et un pari financier assez important aussi puisque la location d’un chalet reviendrait environ à 1500 euros. Pas sûr non plus que l’ambiance bruyante et agitée et l’état d’esprit assez commercial du Marché de Noël soient idéaux pour défendre dans de bonnes conditions certains travaux raffinés et parfois fragiles.

«Vu le discours qu’elle nous a tenu, Céline Ballesteros semble mettre sur le même plan marchands et créateurs. Or, un créateur est d’abord un artiste, qui conçoit et fabrique lui-même ce qu’il vend, et propose une alternative aux produits de grande consommation. Il est normal qu’il soit soutenu différemment de quelqu’un qui ouvre un commerce pour y vendre des marques importées des quatre coins du monde,» précise Rolan.

Une nuance importante qui a d’ailleurs conduit l’équipe du Free Market à solliciter également Christine Beuzelin, adjointe à la Culture, au même titre que Céline Ballesteros, pour tenter d’expliquer et de défendre leur projet culturel et artistique autant que commercial, auprès de leurs nouveaux interlocuteurs. Demandes de rendez-vous qui sont restées sans réponse. Même les mails restent aujourd’hui sans réponse.

«Le discours de la mairie a été que la gratuité, c’était terminé. Ce que l’on peut concevoir bien sûr, mais notre proposition nous paraissait honnête : aucune demande de subvention mais la livraison clés en main en plein centre-ville d’un événement porteur, reconnu, bon pour l’image de la ville, en échange d’une mise à disposition de matériel, d’une salle et d’un peu de main d’œuvre des services techniques» nous détaille Rolan, qui regrette que Céline Ballesteros, invitée avec insistance à venir découvrir le Free Market en 2014, n’ait pas daigné se déplacer.

Du coup, où sont allés les créateurs (et les clients) cette année ?

Le Marché de Créateurs «Made in France» qui s’est tenu à Velpeau les 12 et 13 décembre avec une trentaine d’exposants, malgré ses créateurs de très bon niveau, n’aura pas suffi à combler le vide des deux autres événements, pour la bonne et simple raison… qu’il existait déjà avant ! Son emplacement géographique dans la ville peut aussi être un frein pour certains consommateurs. De belles initiatives plus confidentielles ont lieu ou ont eu lieu à Saint-Cyr-sur-Loire et à Saint-Pierre-des-Corps, ou encore  L’Echope Ephémère, rue Marceau à Tours, mais elles ne sauraient faire oublier l’absence du Free Market et du Workshop.

L’avenir est flou pour le Workshop, un peu moins pour le Free Market qui profiete de cette année blanche pour travailler en coulisses à l’organisation d’un plus grand marché en décembre 2016, dans un nouveau lieu à Tours centre. En attendant, ils donnent rendez-vous le dimanche 20 décembre pour un «mini Free Market» avec une dizaine de créateurs dans le centre de Tours, rue du Commerce.

Note de la rédaction

N’ayant pas pu se rendre disponible pour nous répondre, nous n’avons malheureusement pas le point de vue de Céline Ballesteros sur ce dossier, si ce n’est «qu’elle n’a reçu aucune demande de location sur ces deux lieux cette année». Les deux structures indiquent qu’elles n’ont pas souhaité renouveler leurs manifestations dans ces nouvelles conditions.

 

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