Spatialement et socialement en marge, coincées dans le lit endigué de la Loire, avec un aléa de risques d’inondations très fort, les Iles Noires sont un territoire atypique dans l’agglomération tourangelle. Dans cet espace peu contrôlé par les pouvoirs publics, vivent en effet plusieurs dizaines de personnes au milieu de jardins familiaux ou privés, le tout sur un territoire difficile d’accès de près de 60 hectares. Un territoire longtemps resté à la marge, mais que les pouvoirs publics, ville de La Riche et Tours Métropole qui pilote le dossier, veulent reconquérir.
Un territoire à la marge
C’est une bande de terre si proche du centre de l’agglomération qu’elle n’en paraît que plus éloignée encore, quand on y pénètre pour la première fois. Coincées entre la digue et la Loire, peu faciles d’accès, les Iles Noires ont un aspect hors du temps, mélange de lieu reposant avec sa verdure luxuriante à l’abri du bruit ambiant de l’agglomération, mais aussi d’espace peu reluisant avec son aspect délabré et ses zones de décharges sauvages, « souvent le fait d’habitants de l’autre côté de la digue » nous dit un habitant des lieux ou encore d’artisans peu scrupuleux venant y verser leurs déchets, ferrailles, et autres… précise-t-on en mairie. Un aspect peu accueillant renforcé par le nombre de jardins en friches grandissants… Entre les allées étroites donnant accès aux parcelles, se succèdent des jardins soigneusement entretenus, des cabanes de fortunes, certaines transformées en habitations, des friches ou encore des dépôts d’ordures… Un méli-mélo dénué de toute logique d’ensemble, qui donne à l’endroit un aspect presque romanesque.
Les Iles Noires regorgent d’une vie riche avec environ 470 parcelles de jardins familiaux ou privés, d’habitations ou encore tout à l’ouest, de sa carrière d’extraction de granulats de Loire. Un territoire où toute cette population se croise et cohabite, sans se côtoyer forcément et où chacun s’occupe de son espace propre.
Ici beaucoup d’habitations n’ont pas d’existence légale. Seules 13 d’entre-elles le sont, sur la quarantaine officiellement recensées. Combien vivent-ils ici ? Une quarantaine de familles, soit environ 70 personnes selon les pouvoirs publics qui reconnaissent néanmoins qu’il est difficile de l’évaluer précisément, les choses changeant rapidement. Ici un squat a pris forme. Là, des gens du voyage sont de passage tandis que d’autres se sont sédentarisés avec leur caravane installée au milieu de jardins clôturés. Les conditions de vies sont précaires (que les habitations soient légales ou non), avec une absence de raccordement au réseau d’eau ou d’assainissement, ceux-ci s’arrêtant à la digue. Pour les habitants c’est le système de la débrouille qui prime, à l’ancienne avec les puits pour l’eau potable, mais aussi pour l’évacuation des eaux usagers, avec les problèmes d’hygiène que cela peut poser.
Une des 13 habitations « légales »
Et pour les occupations illégales, sont-elles pour autant illégitimes ? De l’avis de certains à mots couverts, dans une agglomération comme celle de Tours, il est naturel que certains territoires servent d’espaces où la population dite marginale s’installe. Des « zones tampons », sur lesquelles les pouvoirs publics ferment les yeux et situées souvent justement à la marge géographique des agglomérations, à l’abri des regards, comme ici derrière la digue qui sépare cet espace du reste de l’agglomération protégée par l’édifice. Rien n’a changé en somme depuis des siècles, quand La Riche n’était qu’un faubourg de Tours, c’est à dire un espace habité hors les murs, où la population s’est installée archaïquement et promptement. Les Iles Noires perpétuent la tradition en quelque sorte, à une autre échelle.
Recluses, les Iles Noires le sont, pourtant elles ne manquent pas d’atouts pour la commune de La Riche et les élus le savent bien, eux qui aimeraient en changer l’image. Depuis 20 ans ils lorgnent sur cet espace en bords de Loire, sans pour autant que les choses aient beaucoup avancé jusqu’à présent. Elles commencent à se mettre en mouvement néanmoins. Une précédente ZAD (Zone d’aménagement différée) a pris fin l’an dernier, celle-ci ne concernait que certaines parcelles. Elle a été remplacée par une nouvelle ZAD pour les 6 ans à venir englobant cette fois l’ensemble des 60 hectares du site, intégré entièrement également dans le nouveau Plan Local d’Urbanisme (PLU) de la ville.
Un double objectif : redonner un accès à la Loire et mieux relier la partie ouest de la commune avec le centre
Il faut dire qu’avec 60 hectares en bords de Loire, alors que dans le même temps la ville est coupée du fleuve royal par la voie rapide qui fait office de frontière, ce territoire suscite de l’intérêt et apparaît idéal pour affirmer de nouvelles ambitions : « Nous voulons redonner un accès à la Loire aux Larichois » explique ainsi Benoit Turquois, responsable du service urbanisme de la commune.
Bords de Loire aux Iles Noires
Accès à la Loire mais aussi améliorer les relations entre l’ouest de la commune et le centre, séparés par le périphérique. « La partie située à l’ouest du périphérique constitue 80% du territoire de La Riche, pour 1500 habitants. De plus elle rappelle que La Riche est une commune maraichère. L’un des enjeux est de mieux relier ces deux parties » nous affirme-t-on. Pour y arriver, la Municipalité entend donc mener à bien des projets pour attirer les Larichois vers l’ouest de leur commune. L’aménagement à moyen terme d’un parc mixte de loisirs sur le site des Iles Noires entre donc dans cette double démarche : se réapproprier la Loire et lier la partie urbaine et la partie plus maraichère de la ville.
A terme : une zone mixte à dominante loisirs
Si le projet reste encore à définir concrètement, la Municipalité de la Riche imagine déjà à terme un parc mixte mêlant plusieurs usages : agricoles, maraichers, loisirs… « Il y a un vrai enjeu de loisirs en effet avec le patrimoine naturel de la Loire, mais aussi agricole avec ces terres fertiles, et les nombreux jardins déjà présents. Un usage que nous voulons conserver ».
Si l’idée générale semble se dessiner, les pouvoirs publics avancent prudemment, en raison des habitations notamment. « Il faut que l’on soit vigilants aux populations qui y habitent. Même si on propose des relogements dans des appartements par exemple, pour certains cela peut être violent, parce que leur vie est ici » justifie Benoit Turquois qui poursuit : « la difficulté est qu’il y a de multiples situations avec des personnes de passages, des habitations légales et d’autres installées illégalement mais qui sont là depuis pluieurs années, nous devons aussi en tenir compte ». Si la question des occupants reste pour l’instant en suspend, la Métropole qui pilote le projet et la ville de La Riche qui se charge des négociations et de la gestion, avancent à tâtons en cherchant à se rendre maître du foncier libre à commencer par les « 20% des jardins aujourd’hui inoccupés » nous précise-t-on. Et point de vue foncier, à l’extrémité ouest du site, c’est du côté des carrières d’extraction de sable et granulats que les regards municipaux se tournent. La carrière, formée par deux lacs devant fermer d’ici 2019, l’opportunité se fait belle d’y aménager une base de loisirs tournée vers la pêche (déjà présente) et pourquoi pas la baignade… « Rien n’est décidé mais le site des carrières représente 25 hectares sur les 60 des Iles Noires, c’est évidemment intéressant pour nous, surtout que l’exploitant à l’obligation de les remettre en état après la fin d’exploitation » précise Benoit Turquois.
Si le futur site des Iles Noires reste à dessiner, dans les grandes lignes, c’est donc une dominante loisirs qui se profile avec jardins familiaux, activités de détente, parcours de balades naturelles… De quoi imaginer ce site comme une entrée ouest attirante de la commune de La Riche qui veut réaffirmer ici son caractère ligérien aujourd’hui oublié… sauf par les résidents et les jardiniers des Iles Noires.
Un degré en plus :
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crédits photos : Mathieu Giua pour 37°