« L’égalité n’existe pas »

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Produit de l’Observatoire des inégalités, le rapport d’Anne Brunner et de Louis Maurin sur le sujet est désormais une référence incontestée des études du paysage hexagonal. Si le bilan brosse le portrait d’une jeunesse précaire, c’est qu’elle se trouve au carrefour de plusieurs problématiques qui mêle accès à l’emploi, logement et formation. Entretien avec Louis Maurin pour aller plus loin.

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Vous publiez votre rapport au début du quinquennat Macron. Vous appelez à prendre du recul quant au bon niveau de vie français mais il apparaît tout de même qu’une partie de la jeunesse est en première ligne des inégalités. Face à un président jeune, est-ce une manière d’appeler à une redéfinition politique de l’égalité ?

Louis Maurin : Premièrement, sur notre modèle social, on veut mettre en avant les fractures qui existent dans la société française mais ce travail n’est pas là pour détruire ce que l’on a construit au fil des années. C’est un bon modèle. Au nom de la critique des inégalités, il ne faut pas tomber dans l’écueil d’un changement de système qui serait encore plus inégalitaire. Il faut aussi dire qu’en France on vit mieux que dans les autres pays. Le fait que le bilan sorte au moment des élections est un hasard. On ne cherche pas à correspondre au calendrier contrairement à l’an dernier avec notre collaboration avec la collection « Que sais-je » qui voulait apporter des solutions. Quant à la jeunesse du président, j’ai bien peur que cela n’aide en rien. Certes il est jeune par rapport aux autres hommes politiques mais il illustre à merveille l’idée que le sociologue Bourdieu résumait : « la jeunesse ce n’est qu’un mot. »

Il y a des écarts énormes entre les jeunes donc ça n’a pas de sens. Ce qui est mis en avant dans notre rapport, c’est que les jeunes issus des milieux populaires vivent dans des conditions qui ne ne sont pas du tout celles qu’on leur a fait espérer. Encore une fois, ce n’est pas dramatique : mieux vaut être jeune en France que dans un autre pays. Mais l’hypocrisie des discours est criante. On rabâche les grandes notions comme l’égalité des chances, l’école de la République, etc. La réalité, c’est que l’égalité n’existe pas. Pour une fraction plus importante des jeunes, le grand écart entre le discours et les actes n’est plus supportable. Même les diplômés n’arrivent plus à s’en sortir, eux qui, malgré un travail, s’attendaient à mieux. C’est ce qui génère des frustrations.

L’autre hypocrisie, c’est le point commun entre tous les jeunes : le poids du coût du logement. Il y a tout un transfert d’argent des jeunes vers les bailleurs privés, ceux qui pratiquent des prix extrêmement élevés. Il y a bien une question de génération victime du logement onéreux, bien plus que les précédentes.

L’école française en tant que « fabrique des inégalités » comme le théorisait le pédagogue Jean-Paul Brighelli est un peu caricaturale mais c’est bien l’école de la méritocratie : celle qui isole les meilleurs éléments pour leur facilité l’accès aux hautes fonctions et aux meilleurs niveau de vie qui vont avec, quitte à égarer une grande partie sur le chemin. N’est-ce pas là le modèle obsolète qui génère l’inégalité ?

Louis Maurin : Sur l’école, il y plusieurs choses. C’est vrai qu’il faut mettre un terme au discours « école inégalitaire ». Sans école, je n’ose même pas imaginer le type de rapport que nous aurions à produire à l’Observatoire. En revanche, il y a une vraie question de rapport de force. L’école vient en aide aux plus favorisés. Ces derniers ont réellement plus de chance de réussir car l’institution les préfère. Donc en cela, elle est plus inégalitaire que d’autres systèmes, c’est indéniable. Les catégories sociales diplômées, aisées, défendent leur bout de gras. L’école leur appartient et ils la défendront quoiqu’il advienne.

Le système scandinave est souvent amené sur la table : donner une chance à tous de s’extirper de son milieu social…

Louis Maurin : Mais la majorité des systèmes scolaires des pays développés ont été démocratisés et modernisés, surtout dans les pratiques ! A l’inverse de nous, beaucoup n’ont pas instauré la tension aux examens, la peur de l’échec et la gloire de la réussite. La pression dans ces pays est moins forte, c’est certain. C’est une évolution qui n’a toujours pas eu lieu dans notre pays, c’est bien dommage.

La solidarité, fondement de notre société, est le sentiment de remède face à l’inégalité. A l’heure de la société ubérisée, où les cotisations n’ont plus loi, notamment à travers le système de répartition, la notion de solidarité est-elle elle aussi en train de changer ?

Louis Maurin : Pas du tout, je ne pense pas. Mais il y a vrai danger des gens qui tiennent ce discours. Les élites nous expliquent à longueurs de journée que la solidarité n’existe plus mais les enquêtes d’opinion sur les valeurs auxquelles les français sont attachés montrent qu’elle est intacte. Au contraire, la cohésion est très forte et le désir de lutter contre la pauvreté également.

Chaque année, on prélève la moitié de la richesse du pays. Pour cent euros de revenus, la collectivité en prélève 50. C’est une grande solidarité qui se traduit en acte. Les gens payent massivement leurs impôts sans les remettre en cause pour le bien fondé de tous. Sans parler de l’engagement bénévole et associatif.

Par contre le discours sur la solidarité est parfois mêlé aux discours sur les « assistés » et le danger de la compassion. Mais qui tient ce discours et pourquoi ? N’est-ce pas pour justifier la remise en cause de notre système social ? Les arguments sont souvent les mêmes : « les français n’en peuvent plus de payer » et « il faut réformer les aides qui sont un gouffre pour le pays. » Je m’inscris complément en faux contre cette idée d’une France laxiste qui donnerait trop.

Votre rapport décrit une France aux manettes des plus favorisés qui semblent s’enrichir toujours plus… La démocratisation des élites est-elle une solution ?

Louis Maurin : (Rires) Si on parle de renouvellement, nous sommes en plein dedans. Mais je ne suis pas sûr que le nouveau gouvernement soit des plus représentatifs. Là encore, il ne faut pas tomber dans le piège. De la même manière qu’une femme dirigeante ne va pas établir l’égalité homme-femme, plus d’ouvriers au gouvernement ne seront pas forcément la solution à tous les maux. C’est vrai que le décalage entre la représentation nationale et la réalité de la société pose des problèmes. Mais c’est la prise en compte des intérêts des femmes, des ouvriers et des jeunes, notre sujet, qui doit être centrale. Nos partis aujourd’hui sont comme des clubs qui correspondent aux intérêts des plus favorisés encore une fois. 17% de la population en France se situe à Bac+2. Ces clubs les représentent eux et non le reste. Il s’agit des mêmes classes qui se regardent et qui finissent par perdre le lien avec les classes populaires. Ces dernières n’ont plus d’intérêt à adhérer à ces partis. Il faut un réel changement ne serait-ce que dans les mots employés par les politiques. Non seulement ils ne les représentent plus mais ils ne parlent plus la même langue. Rétablir le lien serait déjà une grande étape.

crédit photo : Mathieu Giua pour 37°

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