« Le mépris social on est les premiers à le subir »

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Alors que le mouvement des « Gilets jaunes » agite la France depuis un mois sur fond de colère contre l’injustice sociale et fiscale, les quartiers populaires, traditionnellement réduits à l’image de « poches de pauvreté » semblent restés distants de cette colère sociale. A l’inverse, dans les manifestations et sur les ronds-points occupés, c’est plutôt l’image d’un mouvement d’une « France périphérique », celle à l’écart des grandes villes qui a prédominé. Nous sommes partis à la rencontre d’habitants de ces quartiers dits populaires pour comprendre leur sentiment sur ce mouvement des « Gilets jaunes ».

« Il y en a des mecs des quartiers, là le grand chauve qui était avec nous, il habite au Sanitas, on ne fait pas de différence » raconte Antoine, gilet jaune sur le dos, ce samedi pendant la manifestation de l’Acte V, en pointant du doigt un homme au loin.

« On ne colle pas sur nous une affiche « Je viens du Sanitas », comme d’autres n’affichent pas une étiquette « made in Bourgueil » ou je ne sais quoi » témoigne l’homme désigné par Antoine quelques minutes plus tôt, agacé par notre approche, avant de poursuivre : « On s’en fout où je vis, je vis en France c’est tout. Le problème c’est qu’à chaque mouvement social, on nous demande toujours pourquoi les banlieues et les quartiers bougent pas, mais il faut arrêter de dire « les quartiers », comme si on formait qu’un seul et même tout. Il y a autant de profils dans les quartiers qu’il y en a dans les « Gilets jaunes », on est des personnes comme les autres quoi ».

« La bagnole, moi je sais même pas ce que je sais, je galère en bus et en tram. »

Quelques jours plus tôt, à Joué-lès-Tours, au Victor Hugo, situé face à l’hôtel de ville, les « Gilets jaunes » sont sur beaucoup de lèvres. Dans ce café populaire, les échanges se font sur fond de chaîne d’info en continu qui passe en fond. Les commentaires vont bon train sur l’actualité, les annonces d’Emmanuel Macron jugées insuffisantes… Des discussions qui s’élargissent sur les « galères » de chacun. Devant le café, Momo fume une cigarette, ce dernier travaille en intérim et vit dans le quartier populaire voisin de la Rabière. « Il y a des revendications on peut pas dire que ça nous concerne, dans les quartiers le principal problème c’est de trouver un boulot, les questions sur les taxes et tout le reste ça nous paraît loin. La bagnole par exemple, moi je sais même pas ce que je sais, je galère en bus et en tram » explique-t-il.

« On a toujours appris à se débrouiller entre nous »

Et Momo* d’évoquer également une culture différente : « Au quartier, les « Gilets jaunes » c’est un peu des ovni, on a l’image de gens venant de la campagne et qui ne nous aiment pas », avant de terminer l’échange en même temps que sa cigarette : « Nous on a toujours appris à se débrouiller entre nous, du coup c’est vrai qu’on est assez méfiants de ce qui vient de l’extérieur ».

« Le mépris social on est les premiers à le subir, évidemment que ça nous parle. Après moi j’ai été à la manif le 01 décembre, et j’ai senti aux regards de certains que j’étais pas à ma place. On me dévisageait du genre «  lui il vient casser » «  explique Kaïs, la fin de la vingtaine et résidant au Sanitas. A ses côtés Moussa acquiesce : « Quand j’entends « les casseurs c’est des branleurs des quartiers », ça me fait gerber. Quoiqu’on fasse on nous pose une étiquette, après faut pas s’étonner qu’on ne veuille pas se mobiliser ».

La faible présence des habitants des quartiers populaires, une habitude qui n’est pas réservée au mouvements des Gilets jaunes et que l’on retrouve finalement dans chaque grand mouvement social, entre sentiments de ne pas être conviés, méfiance, mais aussi absence de culture sociale ou politique. Lors de la dernière Présidentielle, le taux d’abstention dans certains bureaux de vote du Sanitas a ainsi dépassé les 40% au 1er tour (42,8% dans un bureau du secteur Pasteur-Saint Paul, 42,36 dans le second). Un signe du fait que beaucoup ne croient plus non plus ici en l’Etat. « Franchement, ça changera rien, dans les quartiers ça fait plus de 30 ans que c’est la merde et rien ne bouge, de temps en temps on passe deux trois couches de peinture pour la forme mais dans le fond rien ne change. On est résignés en fait, c’est pour ça qu’on se mobilise pas plus aussi » conclue Kaïs.

*Surnom d’emprunt utilisé à la demande de l’intéressé

Photo : image d’archives (c) Pascal Montagne

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