Depuis une dizaine d’années les élus se sont lancés dans des projets de reconquête des bords de Loire. Cette année, le projet « Envies de Loire » lancé par Tours Métropole et piloté par Christophe Bouchet et l’ATU va plus loin dans la démarche en intégrant d’un côté les habitants et en lançant de l’autre un concours international d’idées.
La Loire à Tours (c) Mathieu Giua
« Envies de Loire » un projet ambitieux
« Envies de Loire » mêle plusieurs axes avec d’abord l’idée de donner la parole aux habitants par l’intermédiaire d’une plateforme collaborative sous forme de carte participative sur le site dédié. Ici l’idée est multiple : sonder les envies de la population, l’intégrer dans une politique publique alors que souvent les critiques inverses sont pointées (projet de l’Anru du Sanitas pour le dernier exemple) ou encore renforcer un sentiment d’appartenance ligérienne à cette même population…
En s’inspirant de l’exemple de Lille qui a utilisé le même outil Carticipe dans le cadre de son nouveau PLU, Tours Métropole a donc lancé « Envies de Loire » fin mai dernier. Une consultation publique ouverte jusqu’en septembre et qui constitue le premier axe d’un projet plus global qui intègre également par la suite un concours d’idées pour les professionnels français et internationaux, à l’image de celui lancé pour la rénovation des Halles de Tours. La différence principale étant qu’ici, les idées des habitants seront intégrées aux réflexions des professionnels qui devront partir sur douze sites pré-définis en amont.
Les douze sites retenus par « Envies de Loire »
La Loire au centre de la politique de rayonnement
Le projet « Envies de Loire » se veut ainsi ambitieux, à l’image de la place que La Loire doit prendre dans la Métropole tourangelle. Tours est passé Métropole et entend en profiter pour asseoir sa position parmi « les villes qui comptent » en France. Pour y arriver, les élus souhaitent tabler sur les atouts du territoire, à commencer par sa situation au cœur du Val de Loire, afin d’en revendiquer le titre de capitale et affirmer la place tourangelle comme centrale dans une région touristique. Tours Métropole est ainsi une métropole touristique, cela est rappelé à chaque conférence de presse avec les termes maintes fois répétés de « rayonnement » ou « d’attractivité ». Dans cette stratégie, la Loire tient donc une place prépondérante. Il faut dire que le plus grand fleuve de France bénéficie d’un prestige aussi bien culturel, historique qu’écologique. De plus, la Loire, contrairement à d’autres fleuves plus anthropisés, véhicule une vision poétique symbolisant une certaine douceur et un cadre de vie agréable dans l’imaginaire populaire. A l’étranger, la « Loire Valley » est connue, les Châteaux de Loire sont une destination privilégiée du tourisme culturel. Le mot « Loire » est ainsi porteur et se déploie un peu partout : Chez les institutions : Val de Loire accolé au nom de la Région Centre, à celui de Tours-Métropole, dans les offices de tourismes (OT Tours Val de Loire), et même dans les projets urbains pilotés par les collectivités comme le récent nom de « Portes de Loire » donné au projet du haut de la rue Nationale. Capitaliser sur le nom pour renforcer le cadre ligérien mais aussi pouvoir être placé sur une carte, est ainsi un des enjeux de cette stratégie.
A Tours, le processus est engagé depuis une décennie mais avançait jusqu’à présent par à coups. Déjà Jean Germain évoquait ainsi une nécessité de « reconquérir les bords de Loire ». Sous sa mandature est née ainsi « l’île aux sports » chaque été sur l’île Aucard (arrêtée depuis), mais surtout Tours-sur-Loire, première étape d’une réappropriation des rives par la population, devenu depuis un symbole du cadre de vie ligérien dans la communication touristique. L’ancien maire avait également d’autres projets, comme ceux annoncés à la fin de son dernier mandat : installation de la Cité de la Gastronomie en bords de Loire, construction d’une passerelle jusqu’à l’Ile Simon…
La guinguette en 2013 (c) Mathieu Giua
En 2014, quand les élections municipales créent un basculement politique, le processus est ainsi déjà engagé et dès 2015, Serge Babary qui voulait dans son programme municipal « remettre la Loire au premier plan », lance la Plage de Tours sur la rive nord, deux ans plus tard naissent sous pilotage de la Métropole et de l’ATU (Agence d’urbanisme de l’agglomération de Tours), les « Envies de Loire », aboutissement des réflexions passées et projet devant accélérer les choses.
Ce processus de réappropriation de berges ou rives n’est pas propre à la cité tourangelle. Depuis une vingtaine d’années, toutes les grandes villes « fleuvières » de France ont entamé à différents degrés la même démarche. Citons le cas de « l’île de Nantes », des quais de Bordeaux, du projet Loire-trame verte à Orléans… Des reconquêtes urbaines partant toutes selon le géographe Sylvain Rode, auteur de plusieurs articles et études sur la Loire, du même récit classique voulant qu’après de nombreux siècles de symbiose avec les fleuves, les villes se soient détournées des fleuves et rivières au moment de la révolution industrielle et prennent aujourd’hui conscience d’entrer dans une phase de réappropriation. « Un récit formaté qui nourrit et légitime les actions publiques » explique le géographe.
Quels usages de la Loire ?
Dans ce récit il y a donc l’acceptation générale du constat que les habitants et les villes se sont détournés du fleuve. A Tours, le constat est souvent fait également sur un retard dans cette « réappropriation » par rapport aux autres villes.
A regarder les images d’archives du XIXe siècle et du début du XXe siècle, celles-ci semblent corroborer les propos des élus. Nombre de photos, cartes postales et autres montrent en effet une vie foisonnante. Avec la fin de la vie batelière et économique au milieu du XIXe siècle, naît peu à peu un usage de la Loire tourné vers la détente. Le fleuve devient cadre des moments de loisirs et théâtre de nouvelles activités : concours de pèches avec l’essor des sociétés de pèches, « bains-piscines », « bateaux-bains », baignades, natation … Ce n’est d’ailleurs qu’en 1977 que la baignade en Loire est interdite en Indre-et-Loire par arrêté préfectoral, bien que dès les années 1950, la Loire attire moins, concurrencée par l’essor de piscines publiques créées pour raisons d’hygiène et de sécurité.
Bateau-lavoir sur la Loire : photographie de Jean Bourgeois. Archives municipales de Tours
Il y a-t-il eu pour autant désaffection de la Loire ? Les activités ludiques ont certes ralenti autour du fleuve, pour autant au quotidien les habitants ont continué à vivre avec celui-ci, notamment pour leurs moments de détente (balades, pique-niques, jogging, activités sportives…) A chaque journée ensoleillée l’île Simon est ainsi investie par nombre de Tourangeaux. Lors des fortes chaleurs estivales, la Plage fait également le plein et il n’est pas rare d’y voir des baigneurs malgré l’interdiction… En s’éloignant du centre de Tours, on retrouve également une autre facette de la vie ligérienne avec les jardins familiaux présents en bords de Loire, comme à La Riche ou à Saint-Pierre-des-Corps.
Saint-Pierre-des-Corps : l’exemple des relations compliquées des villes ligériennes avec leur fleuve
L’exemple de Saint-Pierre-des-Corps est d’ailleurs significatif de ces relations tumultueuses entre les villes et le fleuve qui les bordent. Ici, la commune est limitée par le Cher au sud et la Loire au Nord. Une Loire située en contrebas de la digue protectrice qui sert aussi de route passante entre Tours et l’Est du département, la rendant de facto quasi-inaccessible comme en avaient fait l’expérience les auteurs du blog Les Epines Fortes du Monde.fr en 2013.
Quatre ans plus tard, en descendant cette même digue à l’endroit du site retenu par le projet « Envies de Loire », nous dressons le même constat : La Loire paraît inatteignable pour la population, et seuls trois passages piétons sur quatre kilomètres de long permettent de la rejoindre.
Jardin en bords de Loire à Saint-Pierre-des-Corps avec en fond les immeubles du quartier de la Rabaterie (c) Mathieu Giua
Pourtant en contrebas de cette digue, si ce n’est le bruit des camions passants, nous voici plongés dans un cadre de tranquillité. Bordé par la Loire à Vélo, le Centre de vacances des Grands Arbres s’apprête à accueillir les enfants de la commune pendant l’été. A quelques mètres, de multiples jardins se succèdent. A cet endroit, ceux-ci sont privés et se transmettent souvent de génération en génération depuis plusieurs décennies. « La famille a ce jardin depuis 1945 » témoigne ainsi Claudine. Ces jardins font la fierté de ceux qui les entretiennent et constituent pour beaucoup un « jardin d’Eden familial ». « On a fait beaucoup de fêtes en famille ou entre amis ici » poursuit Claudine, « il y avait une vraie vie avec les voisins, on voyait beaucoup de monde, maintenant c’est moins le cas ». A quelques dizaines de mètres du jardin de Claudine, en ce mardi après-midi, un couple est justement en train de discuter avec un ami. « Nous avons racheté ce jardin il y a cinq ans pour profiter de la retraite parce que nous vivons en appartement à Tours Nord » témoignent-ils. Heureux de leur achat, leur permettant de s’évader sans s’éloigner, ils semblent profiter des lieux, mais sont conscients que la mode est passée : « Je pense que les jardins vont mourir avec nous, déjà les mairies font valoir leur droit de préemption quand il y en a à vendre ». Autour, plusieurs jardins sont en effet en friche mais gardent des traces d’une vie passée. « Certains ont vécu ici dans les années 40-50 » se rappelle même Claudine.
Bords de Loire : Une image parfois négative
A l’ouest de l’agglomération tourangelle, cette situation, certains la vivent encore. Sur le site des Iles Noires à La Riche, (ndlr :un site non intégré dans « Envies de Loire »), une quarantaine de familles vivent en effet plus ou moins marginalement au sein des 400 parcelles jardinières de cette zone inondable coincée entre la Loire et la digue. Une situation que la ville de La Riche cherche à modifier en portant un projet d’aménagement en lien avec Tours Métropole. (ndlr : nous reviendrons prochainement sur ce sujet dans un article dédié aux Iles Noires).
Les Iles Noires à La Riche (c) Mathieu Giua
Les Iles Noires ont une image malfamée qui est un exemple de celle négative que renvoient parfois les bords de Loire que ce soit ici en milieu plutôt « naturel » ou en milieu urbain. Cette image de rives peu accueillantes a contribué à leur délaissement dans les usages quotidiens de la part d’une partie de la population. Aujourd’hui encore, il n’est pas rare d’entendre des personnes refuser par crainte, de passer sous le pont Wilson en sortant de la guinguette le soir, ou encore de se garer sur les parkings en bords de Loire pour les mêmes raisons. « L’endiguement a créé un nouveau territoire, compris entre le bord du cours d’eau et le pied des levées de plusieurs mètres de haut. Ce territoire apparaît aux yeux de certains comme délaissé, comme un territoire de marginalité et de danger social » analyse ainsi Sylvain Rode qui poursuit : « Ces représentations négatives s’appuient parfois sur la marginalité de certains quartiers développés entre la digue et le fleuve, souvent sous formes de constructions précaires accueillants des populations modestes ou pauvres comme aux Iles Noires ». Une image négative et peu attractive que les pouvoirs publics veulent changer en s’appuyant parfois sur le risque d’inondations de ces zones. Pour Catherine Carre et Jean-Claude Deutsch ainsi : « La gestion du risque sert à reconquérir certains territoires considérés comme marginaux et qui ne correspondent pas à l’image que l’agglomération souhaite donner de ses bords de Loire » (Dans « L’eau dans la ville: Une amie qui nous fait la guerre »)
La Loire, un Janus aux deux visages
Si pour le moment, nul ne sait ce qui sortira comme projet d’ « Envies de Loire », plusieurs constats peuvent déjà être faits. Les propositions faites par le public (plus de 400) tournent essentiellement autour des loisirs et de la détente. Le cadre paysager de la Loire semble ici faire son œuvre. Un cadre paysager qui reste contraint par de nombreuses réglementations liées aux classements Natura 2000, Unesco… mais aussi aux risques d’inondations… Attirante d’un côté, dangereuse de l’autre, les pouvoirs publics doivent prendre en compte ces deux aspects. « Tour à tour capable de féconder sa vallée d’un riche limon, puis de la dévaster lors de ses crues, la Loire, comme le dieu Janus, offre à ses riverains un double visage » disait d’ailleurs d’elle le géographe Paul Fénelon.