« La culture meurt à petit feu sans porte de sortie »

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Ces dernières semaines, les acteurs culturels d’Indre-et-Loire ont manifesté à trois reprises pour dénoncer l’arrêt de leur activité à cause des restrictions sanitaires anti-Covid. Malgré de récentes déclarations de la ministre de la culture laissant espérer au moins une réouverture des musées quand les infections baisseront, la sortie du tunnel semble se compter en semaines plutôt qu’en jours. Et des événements programmés cet été sont au mieux incertains voire déjà fortement compromis, au moins dans leur forme habituelle (c’est-à-dire leur organisation pré-Covid). Face à cette situation, le photographe tourangeau Romain Gibier veut attirer l’œil sur tous les métiers empêchés du moment. Il publie au quotidien des photos de femmes et d’hommes en situation… Et il y en a sûrement beaucoup plus que ce que vous pensez.

Peux-tu nous présenter ton projet et nous expliquer comment ça a commencé ?

Je suis artiste, pas seulement photographe. Comme tous les autres artistes je me suis retrouvé coincé par les mesures sanitaires. J’ai cherché un moyen différent des manifestations pour m’exprimer et montrer la grogne. Je fais donc des photos représentant les différents métiers de la culture, pas seulement les artistes (un directeur de musée n’est pas un artiste mais bien quelqu’un qui fait partie de la culture). Je les photographie sur fond noir pour représenter cette solitude et mise à l’écart qu’on a en ce moment. Le nom du métier est représenté ainsi que le fameux tampon « Non essentiel » qui nous a été attribué au début de la pandémie. A chaque fois je cherche une mise en scène tragicomique qui fait rire jaune. Quand on voit la situation actuelle on se rend compte que ce n’est pas si drôle que ça.

Pourquoi les métiers plutôt que les gens ?

L’objectif est de toucher un large spectre de personnes. Les gens sont locaux mais les métiers internationaux. Un tourneur qui est à l’arrêt ici va être connu par les gens de Tours et de la région sauf que, à Marseille, les tourneurs aussi sont à l’arrêt. Je trouvais donc intéressant de représenter le métier plutôt que juste une personne.

Il y a vraiment beaucoup de métiers à l’arrêt en ce moment ?

J’en suis déjà à 80… Je vais facilement arriver sur les 100. La culture est énorme. Au début j’avais identifié 40 métiers. C’est dur de penser à tout mais je suis fait aider, notamment par Franck (Mouget, ndlr) du Bateau Ivre. Au fur et à mesure on commence à avoir d’autres idées, chacun connait d’autres personnes… Ça s’agrandit et il y a des métiers qu’on n’imagine même pas. Le grand public ne sait pas ce qu’est un cintrier… Dans les grandes salles on a des métiers avec des rôles très spécifiques, qui eux ne travaillent pas et dont on ignore l’existence. C’est ce qu’on appelle les métiers de l’ombre. C’est ce que je cherche à montrer. Dans la culture il n’y a pas que ceux qu’on voit sur scène. Pareil dans un musée il n’y a pas que l’agent de sécu qui est là. Il faut beaucoup de personnes pour faire fonctionner tout ce petit monde.

Selon toi que dégagent ces photos quand on les regarde ?

Mon but c’est que ça fasse un déclic, que les gens comprennent la problématique de chaque métier. La mise en scène n’est pas faite n’importe comment. A chaque fois c’est une discussion avec la personne en face de moi afin de comprendre quel est le problème, essayer de l’illustrer d’une façon graphique ou alors comique mais en restant toujours dans le dramatique. L’idée c’est que sur la multitude de photos cela finisse par déclencher des sentiments.

Tu parlais du tampon « Non essentiel » présent sur chaque cliché. Que représente-t-il pour toi ?

Dans le monde de la culture on est tous d’accord : on est essentiels, on a besoin de nous. L’homme a besoin de pouvoir se détendre, danser, faire de la musique… On nous a collé cette étiquette-là malgré nous. L’utiliser ici est une forme de provocation que l’on retrouve aussi dans les manifestations où on voit des panneaux « Non essentiel ».

Est-ce que tu entends l’argument qui consiste à dire « on sait que les salles de spectacle ou les musées ne sont pas des clusters mais les ouvrir incite les gens à sortir, à rencontrer d’autres personnes pour venir – par exemple des amis – et donc, au final, à se contaminer » ?

Oui et non… Quand je vois ce qu’il se passe dans certains supermarchés, que l’on m’empêche de faire des spectacles pour 20 gamins alors qu’il y a des milliers de personnes les unes sur les autres avec Père Noël dans les centres commerciaux, j’ai du mal à comprendre. Ce qui est terrible aussi c’est que les salles, les musées, se sont embêtés à suivre des règles strictes. Il y a moins de risque à faire un tour dans un musée en suivant les mains courantes, avec les distanciations au sol, que toucher un paquet de nouilles, le reposer, que 15 personnes le reprennent derrière et qu’à la caisse il n’y a plus de distanciation.

Forcément tu ne fais pas que des photos, tu discutes avec tous ces gens. Que retiens-tu de ces échanges ?

On est tous dans la même galère. Au départ j’en entends certains qui disent ne pas vouloir montrer leurs difficultés… En discutant, on se rend compte que certains sont obligés de poser des verrières au black pour survivre, y’en a qui font des annonces sur Le Bon Coin pour monter des cuisines, moi j’ai été obligé de partir dans un autre boulot à mi-temps pour l’Education nationale le temps que ça passe… Là je parle des artistes mais pareil dans les salles de spectacles : ils commencent à se sentir mal de voir les lieux ne pas vivre.

Ces dernières semaines on a beaucoup parlé de la détresse psychologique des étudiants qui ne peuvent plus aller en fac, toi, tu témoignes de la détresse du milieu culturel ?

Largement. Sans parler des personnes qui paient non stop leur loyer pour les salles, les locaux de compagnies, et qui ne voient rien renter. Il y a des gens qui font de la location qui ne sortent rien et qui doivent quand même payer une partie des salaires de leurs équipes au chômage partiel. Les comptes se creusent, se creusent, se creusent… Ils voient mourir leur univers à petit feu sans porte de sortie.

On a fait le constat. Maintenant est-ce qu’on peut parler des solutions ?

Ce n’est pas facile d’en trouver… Là, il y a des choses à l’essai je pense aux concerts (des événements test avec dépistage du public, ndlr) où il n’y a eu aucun cluster après coup. Des choses ont été pensées pour les musées. Il faut trouver des solutions pour qu’on puisse travailler. On a besoin d’espoir.

Tes photos, quel est leur avenir ?

Elles sont sur la devanture du Bateau Ivre et du Théâtre Olympia à Tours. Je les diffuse également sur les réseaux sociaux. Le but est de les proposer aux structures culturelles (cinémas, centres sociaux culturels, MJC…), qu’elles les affichent et que les gens puissent voir le message. Plus on aura de structures qui vont poser ces photos, plus on aura du poids auprès de la DRAC, du ministère…


Un degré en plus :

Vous pouvez découvrir les photos de Romain Gibier sur sa page Facebook ou sur son compte Instagram. Les fichiers sont à disposition gratuitement via un Drive pour les personnes qui souhaitent les diffuser.

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