Ces dernières années, de nombreux centres d’escape game ont vu le jour en Touraine. Un marché du “jeu d’évasion” devenu très concurrentiel où il faut savoir tirer son épingle du jeu. En 2024, on compte une petite dizaine d’établissements en Touraine. En plus des centres fixes, des formes dérivées ont progressivement vu le jour, avec par exemple des “monument game” ou des escape game mobiles. Avec cette évolution du marché, quelles sont alors les stratégies des structures pour fidéliser les joueurs ? Est-ce que cela fonctionne ? Reportage.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore, l’escape game qu’est ce que c’est ?
Traditionnellement, le but du jeu est de sortir d’une salle dans un temps imparti (généralement 1 heure) grâce à la résolution de plusieurs énigmes. Et tout cela dans une ambiance immersive grâce à des décors plus vrais que nature. Les joueurs sont guidés tout au long de l’aventure par un maître du jeu (plus souvent nommé “game master”).
En France, les premiers centres d’escape game ont vu le jour à partir de 2013. Depuis, selon le site de référence escapegame.fr, on compte aujourd’hui 897 enseignes réparties sur plus de 500 villes françaises.
En Touraine, on compte 7 centres d’escape game (majoritairement situés à Tours et en périphérie). Les premières structures se sont installées en 2016. Escape Yourself, aujourd’hui premier franchiseur d’escape game de France, a implanté sa première agence dans le centre de Tours (rue Léon Boyer) et Escape Time a choisi le boulevard Charles de Gaulle à Saint-Cyr-sur-Loire où il dispose de 6 salles.
Sous la direction de Garry Bluteau et Erwan Ropars, l’entreprise est devenue, année après année, une grande franchise de 18 partenaires avec son siège social toujours basé à Tours. Son fil conducteur depuis presque une décennie : le voyage temporel. Elément central de chaque scénario, il est même présent hors des salles avec un portail temporel avant de rejoindre l’accueil. Ici, rien n’est laissé au hasard.
Devenu un vrai mastodonte dans le marché de l’escape game, l’agence possède sa propre entreprise de création et installation de salles appelée Escape Time Factory, basée à Vallères (près d’Azay-le-Rideau). Ici, une dizaine d’employés sont présents pour assurer la conception complète d’une salle, à savoir : la fabrication des décors, la création de scénario, le design sonore et l’invention de mécanismes et de programmes pour offrir une expérience toujours plus immersive.
Ainsi, Escape Time possède un contrôle total sur ses agences permettant d’être plus efficace dans la reproduction d’une salle ou pour sa potentielle réparation.
Avec ce travail méticuleux, Escape Time s’est vu plusieurs fois récompensé notamment grâce à sa salle Mission Tokyo qui a gagné 3 prix aux Escape Game Awards pour son décor et son scénario. Le fruit de l’expérience pour une société qui a appris à s’adapter aux tendances. “C’est très concurrentiel comme milieu”, explique Stéphanie Cosnard, responsable Marketing et Communication. “On évolue dans la modernité, on abandonne peu à peu le simple cadenas avec une clé à trouver pour laisser davantage de place aux mécanismes de plus en plus complexes en termes de technologie.”
L’escape game devenu “action game”
Ce but d’immerger les joueurs dans une aventure palpitante se retrouve de plus en plus dans les scénarios. La notion de temps limité va progressivement s’effacer pour laisser une plus grande liberté aux participants. L’agence Enigmatik, située avenue André Maginot à Tours Nord, en a fait sa spécialité.
Anciennement sous franchise en 2019 sous le nom de Too Late Escape Game, Laure Cornet et Marc Ory ont décidé en 2020 de créer une nouvelle enseigne afin de bénéficier d’une totale liberté sur la conception des salles et l’écriture des scénarios.
Aujourd’hui, Enigmatik c’est 4 salles vous permettant d’être le rôle principal de votre histoire. Comme dans un film, les joueurs doivent mener une aventure semée d’embûches mais pas totalement seuls car accompagnés par un ou plusieurs personnages secondaires présents (physiquement ou non) dans la salle. “Ce n’est pas qu’une suite d’énigme”, expliquent Marc et Laure, “il y a une grosse importance accordée à l’Histoire et aussi à la dimension de choix que peuvent faire les joueurs qui vont ensuite influencer le cours de l’aventure !”
Cet aspect cinématographique, Marc et Laure y sont très attachés, venant tous deux du monde de l’audiovisuel. “On apporte une grande importance à l’écriture et à la mise en scène, on fonctionne d’abord comme des auteurs.”
Totalement indépendant, Enigmatik écrit et met en scène de A à Z ses salles en créant eux- même les mécanismes. Pour les décors, l’enseigne travaille avec Marc Pacon, chef décorateur pour le théâtre et le cinéma. Et ça marche : en moyenne, 120 sessions sont programmées par mois avec environ 3 à 4 joueurs par groupe.
Un marché encore prospère
Même constat chez Escape Time qui compte aujourd’hui entre 1 500 et 1 800 joueurs mensuels. Pour tous, les journées les plus rentables sont les week-ends, les vacances et les jours fériés. Mais on observe depuis quelques temps (à peu près depuis la fin de la pandémie de COVID 19) un retour des joueurs en semaine, notamment en fin de journée.
Si ce nombre de participants est continuellement en hausse, c’est parce que tout est réfléchi pour que les joueurs d’aujourd’hui reviennent demain et attirent d’autres challengers. Pour ce faire, il est important de proposer régulièrement de nouvelles salles (environ tous les 3 ans).
Mais qui dit nouvelle salle, dit investissement conséquent. Celui-ci va varier selon les enseignes et selon la taille de la salle. Chez Escape Time, une salle de 120m2 a nécessité plus de 100 000€ contre 60 000 pour une installation plus “classique”. De son côté, Enigmatik a déboursé 40 000€ pour sa toute dernière salle Le Frère du Pharaon, alors que leur plus petite salle n’a nécessité qu’à peine le quart.
En grande majorité, une salle doit rester au moins 3 ans pour être rentable. C’est dû aussi en grande partie par une période de “rodage” suite au lancement d’une nouvelle salle. Celle-ci doit être de nombreuses fois testée par des joueurs pour permettre à l’enseigne de voir ses défauts et réfléchir à ses améliorations.
Des possibilités de création sans limite
Si tout ce système pourrait faire reculer plus d’un, d’autres ont décidé de se lancer dans l’aventure de la création d’escape game. C’est le cas de Julien Vannier qui a décidé en décembre 2022 d’ouvrir sa micro-entreprise : Escape Kazoku.
Installé à La Croix-en-Touraine (au sud d’Amboise), Escape Kazoku se décrit comme une enseigne proposant des escape game pour les familles (kazoku veut dire famille en japonais) en permettant aux enfants de 7 ans et plus (accompagnés) de vivre une aventure comme les grands. “Les familles vont pouvoir se retrouver autour d’énigmes et vont pouvoir avancer dans une aventure ensemble” explique Julien, “ils vont aussi pouvoir travailler ensemble ou séparément, c’est un schéma où tout le monde trouve son compte”.
Après plus de 10 ans à travailler dans l’expertise immobilière, Julien a décidé de vivre de sa passion en créant et gérant sa propre enseigne. Un parcours non sans difficultés : “C’est beaucoup de travail, on est pas à 35h/semaine mais comme on dit : quand on aime on ne compte pas”.
Avec ces deux salles, une familiale avec l’Atelier de Merlin et une plus angoissante avec l’École Hantée, l’auto-entrepreneur ne peut pas encore se verser de salaire. En raison d’investissements d’environ 5 000€ pour la confection de chaque salle et de presque 4 000€ pour la communication (publicité dans les cinémas, flyers, …) afin de se faire connaître, difficile d’obtenir un bénéfice.
A ce jour, Escape Kazoku recense en moyenne une cinquantaine de joueurs par mois. Un résultat plus faible que ces grands concurrents de la métropole tourangelle en raison de la jeunesse de l’enseigne mais aussi de la localisation hors de la ville. “Je commence à voir un début d’émulsion surtout du côté d’Amboise où il n’y a plus grand chose niveau activité de loisir”, se réjouit Julien, “mais ça reste quand même plus difficile de remplir le planning quand on n’est pas dans une grande ville”.
Sortir des quatre murs
Pour développer son enseigne, Escape Kazoku s’est aussi lancé dans l’escape city (escape game en extérieur). Par exemple, à Bléré, les joueurs peuvent effectuer une balade de 2h sur 3 kilomètres tout en essayant de décadenasser le sac à dos de John de Touraine pour en récupérer le trésor.
Julien ne s’est pas arrêté là. En plus d’une activité événementielle avec une caravane proposant un escape game pour Halloween et pour Noël, il a créé un murder party ambulant pour les team building d’entreprises.
Ces déclinaisons d’escape game se retrouvent partout en France et notamment en Touraine. Enigmatik écrit des scénarios et en vend les droits pour des structures extérieures comme les caves de Vouvray, à l’image de Escape Time pour la Forteresse royale de Chinon.
En effet, depuis 2020, le monument a fait entrer un nouveau concept dans ses remparts : le monument game.
Véritable escape game XXL, le monument game permet aux visiteurs de la forteresse de se balader dans l’enceinte tout en résolvant des énigmes. Ainsi, ils peuvent voir des espaces qui ne sont d’habitude pas disponibles à la visite.
Selon Marie-Eve Scheffer, responsable de la Forteresse, “cette activité est très prisée par les grands groupes par exemple pour des enterrements de vie de jeune fille ou garçon, des teams building, des anniversaires. En gros, des groupes qui ne pourraient pas faire des escape game classiques avec des salles plus petites.”
En effet, le monument game de la Forteresse peut accueillir entre une vingtaine et une trentaine de personnes, 3 fois par jour. Depuis son lancement en 2020, Les Âmes Perdues des Templiers a accueilli plus de 14 000 joueurs.
Ce genre de valorisation de monument patrimonial a été une première dans le Centre-Val de Loire. Avec des tarifs plus faibles que ceux trouvés dans des centres d’escape game classiques (17 à 21€ entrée du site inclus, contre presque 30€ ailleurs), “ça permet de faire venir des publics jeunes qui ne viendraient pas forcément à la Forteresse pour la visiter”, explique la responsable.
Pour créer un monument game comme Les Gardiens du Temps (qui arrivera en juin 2024), il faut compter environ un an pour consulter le département, laisser le temps à Escape Time d’élaborer un scénario en lien avec l’Histoire de la Forteresse et, enfin, installer les décors et les mécanismes.
Question budget, tout est pris en charge par le monument. Au total, 25 000 à 30 000€ sont investis pour offrir aux visiteurs un vrai moment d’évasion.