On peut le dire : la faculté de médecine de Tours ne brille pas vraiment par ses dernières actualités. D’abord il y a eu la polémique liée à la diffusion de vidéo montrant des banderoles problématiques filmées lors d’une soirée étudiante. Ensuite, depuis des mois, l’établissement est embourbé dans les suites d’une affaire d’agression sexuelle impliquant un ancien étudiant. Des faits qui interrogent. Est-on face à des cas isolés ? Est ce que cela ne relèverait pas plutôt d’un problème de fond ? Reportage.
Située en plein cœur du boulevard Tonnellé à Tours, la faculté de médecine de l’Université de Tours compte aujourd’hui pas moins de cinq mille étudiants et étudiantes répartis sur plusieurs années et programmes de santé. Mais voilà. Depuis quelques années maintenant, la partie cachée de l’iceberg se dévoile au grand public.
Deux grandes polémiques rien qu’en 2024
Tout d’abord, l’affaire de Nicolas W. a résonné comme un coup de tonnerre à l’échelle régionale voire nationale. Ce jeune homme de 26 ans est un ancien étudiant de la faculté. En mars de cette année, il a été condamné en première instance à cinq ans de prison avec sursis pour agressions sexuelles sur deux de ses anciennes camarades entre 2017 et 2020. Une fois la décision de justice rendue, l’étudiant a pu réintégrer une formation au sein du CHU de Limoges en avril pour y réaliser ses stages de sixième année. Il était ensuite attendu en novembre au CHU de Toulouse afin d’y entamer son internat en radiologie.
Après plusieurs coups de poing sur la table de la part d’associations et de syndicats jugeant cette poursuite de cursus inadmissible, l’Agence régionale de Santé d’Occitanie a finalement annoncé la suspension de l’affectation de l’étudiant. Selon un communiqué de l’ARS, « cette suspension sera effective jusqu’à la fin des procédures pénale et disciplinaire actuellement en cours à son encontre ».
Demandant une peine de prison ferme, le parquet de Tours avait fait appel de la condamnation de l’étudiant en première instance. Une décision définitive est attendue début 2025 par la Cour d’appel d’Orléans. En parallèle, l’Université de Tours a lancé les démarches pour une éventuelle sanction disciplinaire (dossier qui sera géré par une autre université pour un examen impartial et serein).
La seconde polémique est plus récente. Lors d’une soirée d’intégration début octobre, des étudiants ont été filmés tenant une banderole plaisantant sur le GHB (aussi appelé “drogue du violeur”) avec un jeu de mot douteux : “GHBite”. Une “plaisanterie” jugée choquante dans le contexte actuel porté par l’écho international du procès des viols de Mazan où la victime Gisèle Pélicot dénonce des viols de 51 hommes alors qu’elle était droguée et inconsciente.
Tours : une banderole sexiste déployée lors d'une soirée d'étudiants en médecine. Un signalement adressé au procureur
— ici Touraine (@icitouraine) September 26, 2024
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Folklore carabin : une tradition toxique ?
Face aux révélations de ces affaires, plusieurs associations et syndicats ont décidé de se mobiliser pour lutter contre un climat sexiste jugé omniprésent au sein de la fac. Ce jeudi 24 octobre a eu lieu un rassemblement devant l’établissement, organisé par l’association Réseau Féministe 37. Dans la cour extérieure de l’école, des organismes comme SUD Santé Sociaux 37 étaient présents pour faire entendre leur colère et leurs revendications.
Pour Cécile Cognet, infirmière au CHU de Tours et représentante du syndicat, les violences sexistes et sexuelles dans le milieu hospitalier ne datent pas d’hier : “Ça fait plusieurs années qu’on se bat notamment contre des fresques pornographiques présentes dans les internats de Bretonneau et de Trousseau. Après une bataille avec la direction, elles ont pu être retirées mais comme la culture carabine est bien tenace, elles sont réapparues à Trousseau.”

Pour l’ensemble des personnes mobilisées lors du rassemblement, le folklore porté sur le sexe entretenu par l’association des Carabins de Tours (l’association étudiante de la fac de médecine) est la principale cause de l’omniprésence du sexisme en médecine. “Ça fait partie de ce qu’on appelle le continuum des violences, explique Cécile Cognet, avoir sous les yeux en permanence des images choquantes fait que ça banalise ce rapport dominateur à la sexualité.”
Pour lever le voile sur ces comportements dans le secteur de la santé, un nouveau mouvement a vu le jour ces derniers mois : le #MeTooHôpital. A l’image des révélations dénonçant des violences sexistes sexuelles dans le monde du cinéma avec #MeToo, #MeTooHôpital a pour mission de délier les langues et dénoncer les comportements obscènes dans les lieux de formation et les centres de santé.
Vieille de plus de 30 ans, l’association des Carabins de Tours est aujourd’hui une institution ancrée dans la fac de médecine. Très réputée pour ses soirées étudiantes partant souvent à la dérive et l’omniprésence du sexe, de la drogue et de l’alcool dans son organisation, il parait aujourd’hui difficile d’ “assagir” cette culture carabine.
Mais pour Andreas Mulard, vice-président de la Fédération Étudiante de l’Université de Tours pour la Représentation et l’Égalité, il est nécessaire de casser le tabou des violences banalisées dans le milieu de la médecine : “Chaque année, dans les soirées de médecine, il y a des drames, des agressions sexuelles, des viols, de l’harcèlement, explique Andreas, aujourd’hui, la société a évolué sur ces questions-là mais pas la culture carabine et il faut que cela change.”
Ce climat sexiste au sein de la faculté nous est confirmé par un étudiant de septième année. Pour lui, difficile voire impossible de passer à côté : “L’intégration, quand tu rentres en 2e année, c’est vraiment un moment où tu prends ça en pleine tête. Après tu as deux choix : soit tu ‘rentres dans le moule’ et tu acceptes; soit tu t’en éloignes.”
Pour le jeune homme, cette opposition se retrouve dans les réactions des élèves face à la parution de la vidéo des banderoles : “Les noms d’équipes à connotation sexuelle lors des soirées étudiantes ont toujours existé, aussi longtemps que je suis en médecine. Mais là, avec la parution de la vidéo, il y a d’un côté ceux qui “défendent” et qui disent que c’était juste une mauvaise blague et il y a ceux qui pensent que ça a le mérite de remettre en question ce à quoi on a le droit de rire ou pas.”
Un impact sur les médecins de demain ?
Face à cette mise en lumière des actes de violences sexistes et sexuelles dans la fac de médecine, on est en droit de se poser la question. Si le folklore carabin demeure aujourd’hui problématique, comment nos futurs médecins se comporteront face à leurs patients (et surtout patientes) ? Les notions de consentement et de rapport au corps sont-elles aujourd’hui menacées. Peut-être le sont-elles depuis plus longtemps que l’on ne le pense ? “C’est surtout ça la problématique d’aujourd’hui, explique Andreas Mulard, les médecins d’aujourd’hui et les médecins de demain trouvent encore drôle de plaisanter sur ces violences.”
Crédit Photo : Pascal Montagne