En 176 pages, Stéphanie Bossard explique pourquoi elle veut accueillir les migrants

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On peut le voir comme un livre militant autant qu’un témoignage au long cours. Les éditions Syllepse viennent de publier Accueillir les migrants, livre de la Tourangelle Stéphanie Bossard. Dans l’ouvrage, cette quinquagénaire militante associative de Saint-Pierre-des-Corps détaille son marrainage d’Abdelmahmoud, réfugié soudanais arrivé à Tours en 2016 après le démantèlement de la jungle de Calais. Elle revient aussi sur les nombreuses manifestations militantes pour réclamer plus de moyens en faveur des migrants, autant de pages où elle étale son incompréhension et sa colère face aux réactions des autorités, la préfecture d’Indre-et-Loire en tête. Nous l’avons rencontrée.

D’où est venu ce besoin d’écrire sur votre parcours militant ?

Je fais partie du réseau RESF depuis quelques années et depuis 2016 du collectif d’accueil des migrants de Saint-Pierre-des-Corps. Dans ce cadre, j’ai parrainé un jeune soudanais : Abdelmahmoud. La relation avec lui s’est tissée progressivement. A un moment je me suis dit qu’il fallait que je laisse une trace de cette rencontre et de cet accompagnement, que je donne à voir – pour lui et pour mes enfants – cette mémoire qui allait s’effacer. Au départ c’était réservé pour nous puis je l’ai partagé avec des personnes du réseau, des personnes pas forcément militantes, qui m’ont encouragée à diffuser plus largement ce récit.

Vous pouvez nous parler de cette rencontre avec Abdelmahmoud ?

C’est un jeune soudanais qui vivait avec sa famille, qui a passé son bac. L’année où il devait rentrer à l’université il y a eu des manifestations contre la vie chère au Soudan. Il y a participé, a été enfermé, torturé. La seule solution qui s’est imposée à lui c’était la fuite, avec un passage par l’enfer de la Lybie puis la traversée de la Méditerranée, l’arrivée en France, le voyage jusqu’à Calais, ensuite l’errance Porte de la Chapelle à Paris, puis au démantèlement du campement une orientation vers Saint-Pierre-des-Corps. Quand il est arrivé, la première semaine, il a su qu’il y avait un collectif qui faisait des réunions régulières. Il est venu, c’est là que je suis devenue sa marraine.

Quand on s’engage, on donne des conseils, on accompagne, mais on reçoit également énormément. Abdelmahmoud, c’est une belle rencontre humaine. A ses côtés j’ai beaucoup appris : la patience, le droit français… ou encore à regarder la petite pépite qui brille au lieu du marasme qu’il y a autour.

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager auprès de RESF puis du collectif d’accueil des migrants ?

Initialement je suis travailleur social, aujourd’hui formatrice dans un institut de travail social. L’accueil des migrants c’est un sujet qui me touche et quand un CAO s’est ouvert à la porte de chez moi à Saint-Pierre-des-Corps je me suis dit que je n’avais plus d’excuse pour ne pas militer et m’engager. J’avais déjà commencé avec RESF, mais sur la pointe des pieds. Là, j’y suis allée davantage.

Que retenez-vous de ces trois années ?

Beaucoup de richesse, de rencontres, de découvertes. Une aventure humaine, avant tout.

Je m’aperçois d’un grand travail à faire sur les représentations. On a une représentation du migrant pas forcément la réalité : ils arrivent d’un pays où ils ont fait des études, la venue en France c’est simplement pour sauver leur vie, pas pour prendre quelque chose à une population sédentaire ici. Au départ nos relations étaient un peu complexes, avec la barrière de la langue. Les premières fois au CAO il fallait trouver comment communiquer mais ça s’est fiat très vite avec de l’anglais, de l’arabe un peu bancal, des gestes, des signes… Et surtout des regards et la volonté de les accompagner dans le labyrinthe administratif français.

Vous avez le sentiment d’être parvenue à faire avancer certaines choses ?

Humaines, oui, car un certain nombre de personnes que nous avons accompagnées ont pu bénéficier du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire. En revanche des avancées politiques, non. Il reste beaucoup à faire : de nombreuses personnes n’ont pas d’hébergement, d’autres sont expulsées… Globalement en France on ne se donne pas les moyens d’héberger. Les migrants représentent 1% de la population française, vraiment pas beaucoup. Les solutions il y en a, des hébergements on peut en ouvrir, mais c’est un projet politique que nos dirigeants ne partagent pas pour l’instant.

La difficulté de l’engagement est de ne pas se substituer à l’Etat. Pour nous la difficulté est là : à la fois nous devons protéger ces personnes mais on n’a pas envie de faire à la place de l’Etat. Ce livre c’est aussi pour rendre visibles tout cet invisible fait par les militants, les citoyens… Aujourd’hui à Tours il y a plus de 200 personnes qui hébergent des migrants à domicile. Si on n’avait pas ces gens, il y aurait beaucoup plus de personnes à la rue. Si on n’avait pas l’association La Table de Jeanne-Marie (basée dans le quartier Febvotte de Tours, ndlr) qui nourrit chaque jour au moins 100 personnes il y aurait bien plus de misère. La préfecture nous dit qu’elle a augmenté les places d’hébergement d’urgence cet hiver, mais elle ne prend pas en compte l’hébergement solidaire qui ne devrait pas avoir lieu.

Il y a un moment qui vous a particulièrement touchée ?

Le plus difficile ce fut l’accompagnement d’Abdelmahmoud à la Cour Nationale du Droit d’Asile (en région parisienne, ndlr). Il avait été refusé en première instance par l’Ofpra et je l’ai accompagné pour cette demande. Voir la dureté des juges qui cherchent vraiment à vérifier la véracité des propos, considérant d’emblée que la personne ne dit pas vrai, c’est une épreuve très rude. On est face à des personnes qui viennent chercher la protection et on leur demande de prouver des situations si dramatiques – la torture, l’emprisonnement – qu’il est complexe de prouver par A + B.

Aujourd’hui, où en est Abdelmahmoud ?

Il a le statut de réfugié. Hébergé en résidence sociale, il est en cours de recherche d’un appartement et il a signé un contrat d’insertion avec les Restos du Cœur avec l’objectif de reprendre des études à l’université. Cela dit, comme il n’a pas traversé la Méditerranée avec son bac, il ne peut pas prouver qu’il l’a obtenu et doit suivre une formation qui lui donne le niveau bac avant de poursuivre son cursus.


Un degré en plus :

Le Collectif Accueil Sans Frontières en Touraine appelle à une marche solidaire envers les migrants ce mercredi 18 décembre à 18h au départ de la gare de Tours. Un rassemblement organisé pour la Journée Internationale des Migrants.

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