[Dossier 4/4] Une santé régionale à la bonne température ?

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Retrouvez le dossier principal du magazine papier 37° n°10 automne-hiver 2023-2024, consacré à la santé en région Centre-Val de Loire.

Recherche-sur-Loire

Un projet de vaccin nasal contre le Covid, tenter le gaz hilarant pour soigner la dépression… Voilà quelques pistes d’avancées médicales qui ont récemment fait la Une de l’actualité en Indre-et-Loire. La raison est simple : elles sont directement portées par des équipes tourangelles. Un milieu foisonnant et prolifique. Enquête.

« La recherche fait partie de nos missions obligatoires. Ce n’est pas une option. » Julien Le Bonnec est directeur de la recherche et de l’innovation au CHU de Tours depuis 6 ans. Son bureau est situé sur le site de Bretonneau, dans le même bâtiment que celui de la directrice générale. Il sort les chiffres : sur une année, l’hôpital est à l’initiative d’une centaine d’études sans compter celles que d’autres établissements proposent et auxquelles il choisit de participer. Au total, il s’engage dans 900 études sur 12 mois, un chiffre orienté à la hausse. « Cela permet à nos patients d’avoir accès à des traitements en avance avec même certains exercices qui ont des enjeux vitaux. Par exemple, en hématologie, on a des études qui permettent d’offrir des traitements en cours de recherche à des patients en impasse thérapeutique. » Et donc, parfois, de sauver des vies.

Médecins, infirmières et même kinés… Les initiatives viennent beaucoup du milieu médical mais aussi des équipes du secteur paramédical. Au CHU de Tours, on estime que 150 personnes relèvent directement de la direction de la recherche. 35 services sont impliqués avec des travaux sur les anticorps, l’infectiologie, la neuropsychiatrie, la mémoire ou les troubles du spectre autistique. Une diversité qui entraîne pléthore de publications dans les revues spécialisées, signe qu’un projet de recherche est abouti. Sur 32 CHU en France, Tours occupe la 13e place au classement des hôpitaux les plus cités dans ces médias. « On aura du mal à faire beaucoup mieux mais on se trouve bien par rapport à notre taille et cela nous donne une très bonne capacité pour obtenir des financements lors d’appels nationaux » commente Julien Le Bonnec.

Le financement, le nerf de la guerre pour la recherche. Soit il provient de fonds publics, soit directement d’entreprises privées, souvent un laboratoire qui veut travailler sur une maladie et espère en tirer des bénéfices avec l’élaboration d’un nouveau traitement. « Selon le type d’étude, les besoins peuvent aller de 40 000€ à 1 million d’€ » éclaire Valérie Gissot, médecin au Centre d’Investigation Clinique de l’hôpital. Une quête de fonds qui peut prendre des mois : « Il faut souvent 1 à 2 ans entre l’idée et le début de la recherche » poursuit la doctoresse.

Un travail de longue haleine contre le cancer

La recherche est donc avant tout affaire de patience et de persévérance. Ce n’est pas Caroline Denevault-Sabourin et Nicolas Joubert qui diront le contraire. Leur duo s’est formé quasiment il y a une décennie : rattachés à la fac de médecine de Tours (site Tonnellé) pour leurs recherches, tous deux travaillent sur le développement de ce qu’on appelle des anticorps armés, dans le but d’améliorer l’efficacité des traitements contre le cancer du sein. Toute une équipe exerce à leurs côtés et plusieurs brevets ont déjà été déposés grâce aux innovations développées au fil du temps, et conjointement, par cette docteure en pharmacie formée à Nantes (et qui a rejoint l’Université de Tours en 2009 à la fac des sciences pharmaceutiques) et l’ingénieur chimiste de formation de Clermont-Ferrand arrivé à la fac des sciences et techniques de Tours en 2011.

Le projet consiste à greffer des molécules toxiques mille fois plus puissantes qu’une chimiothérapie conventionnelle sur des anticorps thérapeutiques dont la mission sera de les acheminer vers la tumeur. Là, les molécules toxiques seront libérées afin d’éradiquer la maladie. 

Nicolas Joubert détaille le processus : « De manière classique, vous greffez des molécules toxiques de manière aléatoire sur l’anticorps. Par exemple, si vous en voulez en moyenne 4, certains anticorps en auront 0 quand d’autres en auront 9. Ceux qui sont peu chargés seront peu efficaces, tandis que ceux qui sont trop chargés seront dégradés par l’organisme. Afin d’optimiser l’action de nos anticorps armés, nous contrôlons avec précision le nombre exact de molécules que nous greffons de manière homogène, par exemple 4 ou 8. » Les nouveaux composés ont été testés avec des résultats notables d’abord sur cellules cancéreuses puis sur des tumeurs dans des modèles de souris. Les études se poursuivent ensuite chez le singe avant d’être proposées chez l’être humain. « On cherche à repousser les frontières de la connaissance, trouver des alternatives, casser les dogmes, développer de nouvelles technologies qui pourraient intéresser des industriels sur d’éventuelles applications thérapeutiques » détaille Caroline Denevault-Sabourin.

Ce chantier de recherche entre dans la catégorie des biomédicaments, un secteur sur lequel parie particulièrement la région Centre-Val de Loire. Les pouvoirs publics encouragent ainsi son développement depuis 2010 avec la volonté de créer un pôle de compétitivité. Sur la période 2016-2023, plus de 20 millions d’€ de subventions ont été alloués à 19 initiatives locales. Le Conseil Régional a également participé à l’édification du Bio3 Institute, centre de recherche à 20 millions d’€ inauguré en 2016 à Tours, juste à côté de la fac du Plat d’Etain.

Caroline Denevault-Sabourin et Nicolas Joubert

Un duo en pointe sur les OGM à but médical

Parmi les équipes qui y exercent, celle de Nathalie Guivarc’h et Vincent Courdavault, par ailleurs rattachés à la fac de sciences du campus Grandmont. Eux se concentrent sur la manière de synthétiser des molécules anticancéreuses présentes exclusivement dans la pervenche de Madagascar, une plante cultivée en trop faible quantité pour faire face aux besoins grandissants de la médecine. « Ses propriétés sont connues depuis les années 50-60 » explique le tandem qui a cherché à comprendre comment l’espèce génère ces fameux composés et s’attache maintenant à les produire sous forme de levure par des approches biotechnologiques en vue de les intégrer à des traitements sans passer par une phase de culture en terre de la plante au lourd impact environnemental. En clair, ce sont des OGM à but médicamenteux.

« C’est une vraie aventure humaine et c’est important de voir que les recherches menées en biologie peuvent permettre de répondre aux demandes de la société » se félicite Nathalie Guivarc’h. « Nous avons présenté plusieurs fois nos résultats et nous n’avons pas été confrontés à des problèmes d’acceptabilité. Nous avons eu un bon retour même s’ il y a eu des inquiétudes à la sortie de la crise Covid. La grosse différence avec les OGM alimentaires c’est que ceux-ci sont cultivés dans un environnement confiné sans fuite et qu’on consomme uniquement le produit issu de son activité » complète Vincent Courdavault.

L’adhésion et l’acceptabilité du public/des patients forment donc des éléments indispensables à la réussite d’un projet de recherche. Pour que la phase d’expérimentation aille le plus vite possible puis que le produit final soit un succès. Au service d’hématologie du CHU de Tours, le taux de refus de participation aux études avoisine les 10% selon le médecin Emmanuel Gyan qui le dirige : « Généralement c’est parce qu’ils angoissent. On ne les force pas. Quelqu’un d’anxieux aura plus d’effets secondaires ou les reprochera au médecin alors qu’une personne en confiance les acceptera mieux » explique le docteur basé dans le bâtiment Kaplan de Bretonneau spécialisé dans le suivi des malades du cancer. Le service mène pas moins de 50 études en simultané et près de 30% des patients sont inclus dans une procédure. C’est en-dessous de l’objectif national fixé à 40% mais cela représente tout de même 150 personnes par an. 

Emmanuel Gyan

Pour chaque cas, le protocole est bien rôdé : un premier rendez-vous d’explication avec la remise du dossier détaillé (une vingtaine de pages) puis un second entretien pour la signature du consentement. Tout se passe dans un petit bureau du rez-de-chaussée où le médecin quitte son siège près de l’ordinateur pour se mettre au plus près de celui ou celle à qui il propose le projet de recherche (des nouveaux traitements mais aussi de nouvelles techniques pour mieux vivre la maladie comme l’hypnose). « Ils sont conscients des risques mais savent qu’ils seront suivis de très près. Par exemple, pour un essai de médicament je les verrais tous les mois au lieu de tous les trois mois pour d’autres patients » explicite le docteur qui a également des réunions hebdomadaires avec des collègues du monde entier pour faire un point sur l’évolution des travaux en cours, et adapter le processus si nécessaire.

Des volontaires triés sur le volet et très encadrés

Cette rigueur, on la retrouve aussi au Centre d’Investigation Clinique (CIC) de Bretonneau. Lui dispose de 4 lits d’hospitalisation de jour et de 2 salles de consultations. 12 personnes y travaillent. Son rôle est essentiel car il fournit le strict cadre médical essentiel à la rigueur scientifique. « Notre rôle c’est d’assurer la sécurité des personnes qui participent. Nous avons moins de 24h pour déclarer un problème » explique le Dr Valérie Gissot qui coordonne la structure. « Il y a toute la partie de préparation de l’étude puis sa réalisation. Nous on se positionne sur cette étape-là, avant l’analyse des données puis la publication finale. »

Les règles de recrutement sont strictes : « Chaque fois qu’une personne entre dans une étude on passe entre 45 minutes et 1h à expliquer le pourquoi de l’étude, ce qu’on va leur faire, la réglementation… » Des personnes qui sont défrayées, et reçoivent des sommes allant de 10€ à 900€ selon les projets. Une rémunération très encadrée, avec des seuils à ne pas dépasser. Une législation pour éviter l’appât du gain. Du coup, le recrutement n’est pas simple : « Notre listing s’agrandit, on a un fichier de 800 à 900 personnes mais ça ne permet pas de répondre à tous nos besoins » déplore Valérie Gissot. Exemple : « Si on a besoin de 40-50 volontaires ce n’est pas forcément beaucoup mais s’il y a des critères de poids, d’âge, on peut s’arracher les cheveux. Trouver des personnes âgées qui dorment bien on n’y arrive pas. »

Les participants sont parfois des patients hospitalisés mais peuvent aussi arriver de l’extérieur : on parle alors de volontaires sains. Par exemple, c’est au CIC qu’on donnera rendez-vous aux bétatesteurs du vaccin nasal anti-Covid développé par la startup tourangelle NovalTech. Les opérations doivent débuter en 2024. Un groupe recevra le produit en cours d’élaboration et l’autre sera vacciné avec le produit de Pfizer à ARN messager. Mais le centre ne collabore pas seulement avec des études sur de nouveaux traitements : « Nous accompagnons également des études physiopathologiques pour comprendre comment fonctionne l’organisme, par exemple pour savoir ce qui se passe dans nos cellules quand on vieillit ou pour étudier les syndromes du stress post-traumatique » souligne Valérie Gissot.

A chaque étude son protocole. Certaines ne nécessitent que des prises de sang quand d’autres sont plus exigeantes. Et ce n’est pas parce qu’un projet est terminé que le travail du CIC s’arrête : « Derrière il faut vérifier les données. Tout n’est pas automatique » éclaire la responsable des lieux.

Au final, « toutes les études apportent quelque chose. Même si elles sont négatives » insiste la responsable du CIC tourangeau, fière des avancées réalisées au fil du temps : « Petit à petit on voit les progrès que l’on fait comme les conclusions très encourageantes sur l’utilisation du gaz hilarant pour traiter des personnes déprimées depuis plusieurs années. » La publication qui vient d’être réalisée est le produit de très longues années de travail. « Ça pourrait aller plus vite si on n’était pas embêtés par les histoires d’argent. Pour l’étude vaccinale anti-Covid, on a perdu un an » regrette par exemple Valerie Gissot. Des difficultés réelles mais qui ne suffisent pas à masquer l’essentiel : l’excellence médicale française est due, en partie, au talent des nombreuses équipes de recherche basées en Indre-et-Loire. Souvent discrètes, mais aux résultats concrets.

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