Retrouvez le dossier principal du magazine papier 37° n°10 automne-hiver 2023-2024, consacré à la santé en région Centre-Val de Loire.
Good Doctors
A quoi ressemble le métier de médecin en 2024 ? Alors que nombre de territoires manquent de docteurs et que les débats médiatiques se concentrent souvent sur le coût de la consultation, nous avons voulu questionner deux généralistes sur leur quotidien et leur vision de la profession.
Pour ce faire, nous avons provoqué une rencontre entre des praticiens de génération différente. D’un côté Anis Berima récemment entré dans la profession et installé près des Halles à Tours-Centre. De l’autre Dominique Lachaud qui exerce depuis trois décennies à La Membrolle-sur-Choisille (et qui a un passé politique en tant qu’adjoint au maire de Tours sous Jean Germain et conseiller départemental au début des années 2000). Malgré leur différence d’âge, leurs analyses se croisent. Tous deux racontent autant la passion pour leur métier que la charge de travail infernale et le sentiment d’impuissance face à un système médical dans lequel ils ont bien du mal à se reconnaître.
A l’origine, pourquoi avez-vous choisi la médecine ?
Anis Berima : Je ne me suis jamais trop posé la question. J’ai toujours eu envie d’aller dans cette voie parce que j’aime être proche des gens, de leur souffrance et leur donner un peu d’aide. Et puis mon père a été malade pendant plus de dix ans, ce qui a aussi donné du sens à mon engagement.
Dominique Lachaud : Je ne suis pas issu d’une famille de médecins. J’aurais pu faire d’autres métiers, j’ai failli aller à Sciences Po mais j’ai bifurqué et changé mon inscription pour aller vers la médecine. L’un des facteurs de cette décision c’est qu’à l’époque ma grand-mère est morte sans que je comprenne ce qui s’était passé. Elle avait fait un AVC et une aphasie. Elle essayait de parler mais je ne la comprenais pas.
Quelle image aviez-vous du métier ?
Dominique Lachaud : Celle du médecin qui arrive à la maison le soir à 22h avec le costume froissé et des poches sous les yeux parce que le gamin a de la fièvre et qu’il fallait le soigner. J’ai commencé comme ça aussi : je faisais 35 à 40 visites par jour, de 6h du matin jusqu’à minuit.
Anis Berima : C’est ce que mes prédécesseurs m’ont décrit. Un début de carrière très dense. Mon ancien associé m’a dit qu’il n’avait jamais dîné avec ses enfants de toute sa carrière. Est-ce que ça valait le coup humainement ? Je me suis installé en ayant pas peur de travailler. Si on est jeune et qu’on n’a pas trop de charges on peut se permettre mais il faut savoir garder une bonne balance entre le temps de travail et les loisirs. Quand je n’avais pas d’enfant je rentrais à 20h30. Maintenant, je suis papa, mon épouse est aussi médecin et on a chacun nos impératifs. J’essaie de rentrer tôt même si je fais 30 à 35 visites par semaine, ce qui est exceptionnel pour un jeune médecin.
Dominique Lachaud : Le nombre de visites à domicile s’est réduit petit à petit au profit des consultations. La bascule s’est faite à peu près dans les années 2000. Et la féminisation du métier a eu un impact très fort sur ce mouvement : quand on fait des enfants, qu’on veut une vie de famille, bosser tel qu’on le faisait devenait inconcevable. Il y a aussi la question de la rémunération : quand une visite est rémunérée 35€ et une consultation 25€, économiquement, il vaut mieux rester au cabinet.
Anis Berima : La société a changé. Au départ tous les exemples que j’ai eus c’étaient des médecins qui travaillaient dans leur maison, parfois avec le petit qui pleurait dans la pièce d’à côté.
Dominique Lachaud : A l’époque on n’avait pas le SAMU, on était de garde un week-end sur 5, il fallait une trousse d’urgence avec des produits injectables. On faisait des infarctus, des urgences, des choses qu’on ne fait plus qu’exceptionnellement en médecine générale… Le métier n’a plus rien à voir mais il reste passionnant car il n’y a pas de routine. Ainsi je fais pas mal de psychiatrie avec du suivi de patients, des actes techniques comme des sutures, des échographies, de la petite chirurgie, du maintien à domicile de personnes âgées… Je ne suis pas un aiguilleur du ciel qui dit au patient d’aller voir le rhumato s’il a mal au genou. J’ai besoin de soigner sinon je m’ennuie.
Anis Berima : Le rhume, les angines, ce n’est pas notre métier. Ça en fait partie mais nos journées ne sont pas du tout remplies de ça et plutôt chargées de malades psychiatriques ou de patients polypathologiques. On fait aussi beaucoup de prévention. Le problème principal c’est que nous ne sommes pas assez nombreux pour passer suffisamment de temps avec les patients. Faire de la prévention en faisant de la paperasse ne m’intéresse pas. Remplir le Dossier Médical Partagé, Mon Espace Santé (dispositif mis en place par la Sécurité Sociale pour archiver le parcours médical, ndlr), ça ne correspond pas à l’idée que je me fais de la prévention. Par exemple, j’ai reçu une liste de patients en retard pour la prévention du cancer colorectal : elle était fausse. En revanche j’ai en mémoire des dizaines de consultations ou en discutant d’une douleur au genou j’ai appris qu’il y avait de la violence dans le couple ou une autre maladie. Nous avons un métier de contact, de confiance.
Dominique Lachaud : Les patients qu’on suit, s’ils vous choisissent, c’est qu’ils viennent y trouver quelque chose en fonction de l’attente qu’ils ont de la médecine. Selon le médecin, la patientèle sera différente. La mienne n’est pas consommatrice de soins. Doctolib a un côté pratique mais ça transforme la relation médecin-patient. Par exemple, on doit absolument être à l’heure. Et puis on vient pour telle chose mais il faut aussi un certificat pour ceci, un truc pour son enfant…
Anis Berima : Pour ma part Doctolib correspond très bien à ma génération. Et j’ai très vite fait des téléconsultations. Cela dit j’y mets des barrières. Je n’en fais pas pour une angine ou une otite. Mais c’est possible pour rassurer une personne qui fait des bouffées d’angoisse ou transmettre une ordonnance pour une personne allergique qu’on connaît et qui est en vacances dans le sud de la France.
De plus en plus de médecins refusent les nouveaux patients. Quelle est votre position ?
Dominique Lachaud : Je n’en ai jamais refusé. Je ne peux pas, donc je rajoute. Quelque soit l’âge, j’accepte. On ne peut pas laisser une partie de la population sans soins. Par exemple aujourd’hui je suis en repos mais je réponds au téléphone, j’ai deux échographies à faire demain, une éventuelle phlébite et une hernie. Il faut que je les case… Le cabinet ferme à 19h mais il y a toujours quelqu’un qui part à 20h, voire plus. Moi, j’y mange entre midi et deux tout en faisant de la paperasse.
Anis Berima : Les journées ne sont pas extensibles. On essaie de bricoler pour que ça tienne. Je donne la consigne que je n’en prends pas mais je demande toujours qu’on me laisse un mot pour préciser la requête et au final je ne sais pas refuser. Je prends les jeunes actifs, les gens avec des enfants… Mon cabinet est proche de la gare de Tours, j’ai même vu des gens venir consulter de Blois ou d’Orléans. Aujourd’hui je n’ai pas déjeuné alors qu’en temps normal je prévois 45 minutes. Et c’est comme ça tous les jours. J’ai fini par mettre une croix sur mon midi.
Comment tenez-vous avec ce rythme ?
Anis Berima : Je rentre plus tôt le soir et je ne travaille que 4 jours par semaine. Mais le week-end je fais des gardes ou de la régulation au standard du 15. Si dans 5 ans on me propose le salariat même moins payé je ne suis pas sûr que je refuserais parce que j’aurais les 35h, les congés payés, les arrêts maladie… Je serai gagnant. Mais est-ce que le système de santé sera gagnant ? Il faudrait 3 personnes pour faire ce que je réalise tout seul aujourd’hui.
Dominique Lachaud : Entre le discours de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, des ministres… Si je n’avais pas mon cabinet autour de moi avec la petite chirurgie et les échographies, si je n’avais pas ce contexte qu’on s’est offert (un luxe car on a 2 800€ de charges par mois) eh bien je m’en irais et je ferais des remplacements.
Quelles pourraient être les solutions pour améliorer le système de santé ?
Dominique Lachaud : Plus de réactivité. Par exemple, l’initiative de la Maison de Santé Pluridisciplinaire de Neuillé-Pont-Pierre a été prise en 2008 mais il a fallu dix ans pour la monter contre deux pour notre projet privé. C’est en déconnexion complète avec les besoins. Par ailleurs, dans notre cabinet nous nous sommes équipés pour faire des échographies, des enregistrements du sommeil… Plein de choses qu’on ne faisait pas avant mais sinon on perd un temps fou à attendre pour pouvoir faire ces examens et on prend mal les gens en charge.
Anis Berima : 87% du territoire est un désert médical. On n’arrive pas à former le nombre de médecins nécessaires. Et même : demain on aura deux fois plus d’internes en médecine générale mais où vont-ils exercer ? On n’a pas deux fois plus de maîtres de stages ! La structure n’est pas prête. De plus, avec les contraintes envisagées pour forcer des médecins à s’installer en zone sous dotée, la médecine générale n’attire plus. Mon neveu vient de s’inscrire en PACES mais il veut être dentiste, parce qu’il a l’impression qu’ils ont la belle vie par rapport à nous.