Daniel, portier dans un hôtel de luxe

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Tout le mois d’août nous vous proposons un Best-of des articles publiés depuis septembre dernier. Aujourd’hui retrouvez ce portrait de Daniel, l’homme qui ne dit presque jamais non…

 

Un beau gâteau, c’est bien, mais comme le dit si bien l’expression, quand on met une cerise en guise de finition, c’est encore mieux. Le concierge d’un grand hôtel, c’est un peu ça : celui qu’on peut déranger à tout moment pour une petite course en ville, un renseignement, une envie subite de fromage ou de consulter la carte des vins dans sa chambre avant de descendre dîner. Nous avons rencontré Daniel, concierge – ou «larbin de luxe» comme il s’autoproclame avec malice – depuis trois ans à l’Hôtel Océania l’Univers, boulevard Heurteloup à Tours.

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«Faire le plus vite possible, le mieux possible et bannir le mot «non» de son vocabulaire». Voilà la devise de Daniel ou son descriptif de poste officieux. Surnommé «l’électron libre» par sa directrice, ce grand jeune homme de 24 ans titulaire d’un bac littéraire répond peu ou prou à tous les besoins, non seulement des clients de l’hôtel, mais aussi de son équipe. «J’ai un téléphone sur moi en permanence et je dois le plus souvent arrêter ce que je suis en train de faire séance tenante pour être le plus réactif possible. En dehors de ça, je n’ai pas de comptes à rendre, si ce n’est que ma mission première est de préparer les salles de séminaires.»

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Une véritable vocation, pas un petit boulot par défaut

Payé 1325 euros net par mois, auxquels il ajoute entre 150 et 500 euros de pourboires et quelques primes à l’intéressement, Daniel assure avoir trouvé sa voie et être très épanoui dans ses fonctions. Lorsque nous l’avons rencontré il y a quelques mois et qu’il nous a parlé avec passion de son métier, nous avons d’ailleurs été immédiatement convaincus de la sincérité de son engagement. «C’est Louis Albert de Broglie, le propriétaire du Château de La Bourdaisière qui m’a appris le métier et donné goût à cette mission assez particulière : rendre service, en permanence.»

C’est à l’été 2010, après une année en Droit et Langues, puis une année d’Italien à la Fac des Tanneurs que Daniel, pour se faire un peu d’argent, entre par la petite porte du beau domaine de Montlouis-sur-Loire. Service au bar, ménage, billetterie, jardinage, accueil… Daniel se découvre une véritable vocation en quelques semaines et arrête ses études sans vraiment s’en rendre compte. «Ce qui me plaît dans ce métier ? La polyvalence, le fait d’être toujours en mouvement. Et puis chaque jour est différent. Chaque client étant unique, chaque interaction avec un client est forcément unique.»

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Respecté malgré tout

On sent bien dans sa posture que malgré l’abnégation nécessaire pour bien faire ce travail, la dignité n’est absolument pas bannie. «Evidemment parfois, certains clients sont désagréables, ce n’est pas une légende. La légende ce serait plutôt de dire que c’est une majorité des gens qui ont de l’argent, or je dirais qu’il y a peut-être 5 % des gens qui me prennent vraiment pour leur larbin, surtout parmi la clientèle des «nouveaux riches» qui ont les moyens de venir dans notre établissement, mais pas toujours les bonnes manières qui vont avec… Comme je suis entier, c’est difficile bien sûr, mais c’est la règle. Quand on prend une «claque», on tend l’autre joue. Mais les 95 % restants sont tellement respectueux et aimables que cela compense largement.»

Côté aspects négatifs, Daniel cite aussi le stress généré par cette réactivité permanente et les horaires en «coupures», généralement de 7h à 11h, puis de 15h à 19h. «Mieux vaut vivre pas loin, si tu habites à Bourgueil, tu ne rentres pas chez toi le midi…». L’équipier-bagagiste (c’est ce qui est marqué sur son bulletin de salaire) nous fait visiter les coulisses de ce grand établissement (7 salles de réception, 91 chambres ou suites, 30 équivalents temps plein – dont 10 femmes de chambre – un restaurant, un bar – tous les deux ouverts au public tourangeau d’ailleurs).

Un doudou par Fedex

«Mon métier m’oblige à être ordonné et nickel en permanence, donc mon bureau c’est un peu le bazar, ma soupape de sécurité». Un bureau partagé en fait puisqu’en théorie Daniel travaille en binôme. Mais ledit binôme est très impliqué syndicalement et ne fait quelques apparitions dans les plannings. Parmi les autres fonctions de Daniel on trouve aussi une partie administrative : les déclarations Urssaf pour les extras et une gestion des plannings parfois complexe.

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Dans les coulisses de l’hôtel, Daniel nous montre aussi «sa» bagagerie : un endroit où les clients laissent leurs bagages avant un train ou un vol, mais aussi le centre des objets oubliés dans les chambres, du sex toy qui ne sera évidemment jamais réclamé au doudou qu’il faut envoyer dans la journée par Fedex sous peine de catastrophe nucléaire !

Quelques mètres plus loin c’est le bar La Touraine, spécialisé dans les whiskies, autrefois très fréquenté par les amateurs tourangeaux, aujourd’hui surtout par les clients de l’hôtel.

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Il sera bientôt entièrement refait et disparaîtront donc entre autres ces étonnants casiers nominatifs en bois où les habitués pouvaient jadis enfermer entre deux visites leur bouteille de whisky personnelle.

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Des anecdotes croustillantes

Quand on pose à Daniel la sempiternelle question des anecdotes les plus insolites, il répond par une autre question : «Vous voulez dire les anecdotes racontables ?». Par décence, oui, on s’en contentera !

De l’attendu d’abord, comme ces clients peu pudiques qui accueillent Daniel en tenue d’Eve ou d’Adam (après tout, le luxe, c’est aussi ça) ou des sous-vêtements en tout genre (et sales, bien sûr) à apporter au pressing. Quelques grands moments de solitude, donc. Il y a aussi les «day use», un classique des grands hôtels, une chambre pour quelques heures avec des justifications pas crédibles (alors qu’on ne leur demande évidemment rien) : «C’est ma nièce, elle a besoin de prendre une douche et de se reposer un peu !», «C’est mon neveu !». «Oui et moi je suis la Reine de Belgique !» ne répondra bien sûr pas l’hôtesse d’accueil.

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Au rayon «j’ai tellement d’argent que je ne sais pas quoi en faire», un client qui venait rendre visite à sa sœur qui habitait dans le centre de Tours est resté une dizaine de jours à l’hôtel car sa sœur n’avait pas de parking et qu’il ne voulait pas dormir trop loin de sa (forcément belle) voiture. Une envie de proximité qui lui a coûté plus de 2000 euros…

Plus cocasse, le banquier de Daniel qui le recadre un peu côté dépenses (vivre au-dessus de ses moyens doit être un risque quand on fréquente au quotidien des gens qui gagnent dix ou vingt fois plus que soi !) puis qui le croise dans la rue deux jours plus tard, chargé de sacs Hermès et Prada rue Nationale. «Bien sûr il connaissait mon métier, mais il ne savait sans doute pas, vu sa tête, que dans ma mission il peut y avoir la récupération des sacs de courses des clients !».

Enfin, satisfaire les clients a quand même ses limites et quand un charmant monsieur propose à Daniel le tutoiement, un verre de rosé, une cigarette et une petite conversation tranquille, le concierge doit poliment rappeler que le tutoiement lui est formellement interdit, qu’il y a 91 chambres dans l’hôtel et d’autres clients à satisfaire. Même si dans l’absolu, il n’aurait évidemment pas dit non à cette petite pause sympa.

Quelques clients vraiment à part…

Parmi les clients il y a un certain nombre d’habitués, notamment au niveau des «corpo», le petit nom donné aux professionnels, une clientèle qui prend de plus en plus d’importance à l’Univers. «Il y a une cinquantaine de personnes dont j’ai mémorisé les goûts et les petites envies et habitudes, c’est important de s’en souvenir. Parmi elles, il y en a entre quinze et vingt avec lesquelles le personnel a une relation qui dépasse la simple relation de clientèle : on connaît le nom de leur chien, l’âge de leurs enfants… Et inversement, ils nous apportent des cadeaux d’anniversaires, connaissent aussi les prénoms des enfants.»

Des clients à part que Daniel gratifie d’un «Monsieur Martin» plutôt que d’un «Monsieur» tout court. Des personnes aisées, certes, mais en quête de reconnaissance, dans le bon sens du terme : beaucoup de professionnels passent plus de temps dans les hôtels que chez eux, c’est donc une deuxième maison. Du luxe oui, mais de la convivialité aussi, quand même.

Crédits photos : Laurent Geneix pour 37°

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