Dans Regards, retrouvez l’avis de Stéphanie Joye sur quelques films à l’affiche dans les cinémas tourangeaux. Histoire de vous donner envie, à votre tour, d’aller passer un moment dans les salles obscures.
Les proies (Triller, Drame Américain)
De Sofia Coppola
Avec Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning …
Prix de la mise en scène au festival de Cannes 2017
Adapté du roman de Thomas P. Cullinan. Remake du film éponyme de 1971 avec Clint Eastwood
(Ndlr : Sofia Coppola est la fille de Francis Ford Coppola)
Virginie, 1864, troisième année de la guerre de Sécession. Une fillette chantonne en cheminant dans les bois, panier en main en ramassant des champignons. On ne peut plus petit chaperon rouge, qui découvre le (gentil) loup en l’homme qu’elle surprend blessé et affalé : le Corporal McBurney. Sauf que le soldat est du camp adverse : celui des Yankees. Par charité, Amy l’emmène quand même au pensionnat dans lequel elle réside recluse avec quatre autres jeunes filles. Le domaine est régi par Miss Martha, secondée par Edwina. Ces deux femmes sont toutes dévouées à soigner les plaies de John. Durant des mois, au fur et à mesure que John se rétablit, celui-ci va, petit à petit, se rendre compte qu’il est tenu captif en chambre et désiré de toutes. L’ambiguïté veut que John ne souhaite aucunement partir, et qu’il semble se jouer des sentiments des unes et des autres, en secret …
Manichéen, innocent, angélique, romantique, doux, envoûtant, vénéneux, sordide, délicat, vicieux, sadique, fourbe, traitre, ironique, drôle, perfide, Les Proies est un cocktail détonnant de dérision, d’humour sournois subtil, de tension insufflée par la force de la gent féminine en proie au jeu de la dominance. Fidèle à son affiche, la beauté décorative filmique est installée dans ses tonalités poudrées, roses-grisées, blanchâtres, brumeuses, tamisées, évanescentes, calfeutrant les rouages d’une mécanique diabolique insoupçonnable de prime abord. Au sein d’un théâtral clan soudé, tenu par une « marâtre » « gourou » « gentille », bienveillante, douce, aimante, qui règne avec une délectation folle … : une Nicole Kidman ahurissante. Edwina (Kirsten Dunst), assistante renfrognée tuant sa misère, subissant son propre supplice, énigme absolue du film.
Si vous aimez les deux chefs-d’œuvre de Sofia Coppola (six films à son actif), Virgin suicides et Marie-Antoinette, avec son actrice fétiche Kirsten Dunst, mais aussi Les Liaisons dangereuses et Sueurs froides, vous devriez aimer fortement Les Proies … Nicole Kidman et Kirsten Dunst font partie indéniablement des plus grandes actrices du monde. Dans ce film, elles nous tuent. On peut en dire autant de Colin Farrell, si prodigieux dans The Lobster, qui, ici, se livre à une démonstration de jeu époustouflant de comédien : il est tout bonnement magistral. « Les Proies » est une histoire alléchante, perfide, aliénante, un thriller à suspense, un huis clos déroutant, virtuose, sensuel, terrifiant et non exempt d’humour … C’est un film passant tout gentiment de La petite maison de la prairie à Shining. Niark niark.
Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet)
Que dios nos perdone* (thriller policier espagnol)
De Rodrigo Sorogoyen
Avec Antonio de la Torre, Roberto Álamo, Javier Pereira
(« Que Dieu nous pardonne »)*
Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement
Madrid, été 2011. Tandis que le peuple manifeste contre la crise économique du pays et que la visite du pape s’organise, deux policiers traquent sans merci un redoutable tueur en série. Un psychopathe totalement anonyme et insaisissable agissant dans les recoins madrilènes.
C’est une plongée en apnée profonde, oppressante et ultra sombre, glauque, tendue et haletante à souhait. D’une hyper violence macabre et énigmatique, proche de celle des films de David Fincher (Zodiac, Seven). Le réalisateur espagnol signe un polar phénoménal, effroyable et surprenant. C’est caméra à l’épaule que Rodrigo Sorogoyen filme une atmosphère disloquée, digne d’un vrai thriller dans lequel on lutte contre la suffocation. C’est fiévreux, parfois à la limite de l’insoutenable, et d’une énergie sidérante (l’infernale et grandiose scène de course-poursuite, mémorable). En parallèle, les deux comparses, au cœur de leur monde (policier), malgré leur forte amitié soudée et leurs failles légitimes, nous déstabilisent par de bien vifs règlements de compte et par leurs comportements intimes. Entre ces vies privées et professionnelles mouvementées, biaisées et pas toujours jolies, jolies … nous, spectateurs, nous nous sentons piégés.
Sorte de trépas identitaire horrifique, doloriste, désincarné ou non, ce film qui implore que Dieu accorde son pardon ne touche donc pas seulement qui l’on croit. Et c’est très fort, car Rodrigo Sorogoyen réussit finalement un thriller dans un thriller, un polar ibérique parfaitement singulier, dans lequel les pistes s’encapsulent sans cesse (chutes et remontées à la surface par rebondissements insatiables). 2h22 de questionnements sur l’humain via le portrait d’un serial killer : quoi, à sa source, pourquoi … Ces analyses fascinantes impliquent de nombreux suspects au final, des moments très flippants, très bien joués. Diablement culotté et costaud, le cinéma de genre espagnol se porte bien.
Un film à l’affiche aux Cinémas Studio (Toutes les informations utiles sur leur site internet)