En rassemblant pendant trois jours chercheurs et artistes de différents profils et horizons sur le thème des migrations et des hospitalités urbaines, le Pole des Arts Urbains (structure unique en France, basée à Saint-Pierre-des-Corps) a confronté de multiples points de vue de personnes aux sensibilités diverses (et à la sensibilité palpable), ayant toutes pour trait commun d’avoir abordé d’une manière ou d’une autre un thème aussi brûlant que difficile à cerner, aussi étranger que profondément intime, réveillant autant les démons de l’Histoire que ceux tapis au fond de chacun de nous, toujours prompts à (re)surgir, mais rappelant aussi au présent ce sur quoi notre monde s’est construit : les migrations.
© Ai Wei Wei
Le cliché voudrait qu’à la supposée froideur technique du chercheur s’oppose l’empathie créative du plasticien ou du scénographe : gommons d’emblée ce postulat. Le cliché semble être d’ailleurs de manière générale un fléau incontournable dès lors qu’il s’agit de poser des mots et des images sur le thème des migrants et sur celui précisément proposé par le Polau des «hospitalités urbaines».
Les questions soulevées – plus que posées – étaient nombreuses pendant ce laboratoire d’idées. La plupart sont restées en suspens, ce qui ne semble avoir ni surpris ni déçu Pascal Ferren, philosophe, organisateur et modérateur de l’événement. Un modérateur particulièrement modéré dans sa modération puisqu’il a à plusieurs reprises laissé le programme se faire chambouler par l’imprévu des interventions, des débats, des pauses parfois allongées et qui n’en étaient pas vraiment puisque les discussions se poursuivaient par petits groupes autour d’un café, d’une cigarette ou d’un hachis parmentier. «Je ne pensais pas qu’il y aurait une telle difficulté à aborder ce sujet des migrants de front, surtout de la part de personnes pour la plupart très à l’aise pour s’exprimer en public. Il y a un vrai tabou que je n’ai jamais trouvé dans d’autres sujets délicats que j’ai traités dans d’autres rencontres de ce type» s’étonne Pascal Ferren.
La légitimité au cœur des questionnements
«De quel droit puis-je parler de ce sujet, m’en servir comme thématique de recherche ou comme simple motif pour une série de tableaux ou de photos ?» La question est revenue régulièrement et sous différentes formes. Certains créateurs et chercheurs avouant même s’être à plusieurs reprises retrouvés démunis face à l’ampleur des émotions en jeu. D’autres ont foncé et pris le sujet à bras-le-corps, refusant de toujours traiter le thème des migrants sur un ton «forcément désolé et désolant» et sortant de leur «fonction première» pour revêtir d’abord l’habit de l’être humain de base qui veut seulement aider son prochain (certains intervenants sont allés à Calais, Lampedusa ou Grande-Synthe).
Déconstruire le sujet pour mieux le reconstruire
La métaphore était facile, mais difficilement évitable : concevoir la ville et surtout la Cité (au sens grec antique du terme) de demain, c’est le faire en prenant en considération de manière neutre et pragmatique l’arrivée de nouveaux migrants ou alors c’est se voiler la face et aller droit dans le mur. Même si le débat de ces trois journées n’a jamais véritablement glissé vers une dénonciation du rejet et du non-accueil des migrants en France (assez nettement majoritaires, même si les choses semblent évoluer doucement), une critique des politiques publiques (ou de leur absence) est néanmoins inévitablement apparue en filigrane tout au long des discussions. Engagés à différents degrés, les participants ont pour autant montré un visage très loin de toute idéologie radicale et ont au contraire dépassé le sujet pour se projeter dans des réflexions plus globales et échangé leurs expériences pour ajuster leur regard et, peut-être, redéfinir certains de leurs projets, voire en élaborer de nouveaux.
Enfin, la description assez précise de leurs appréhensions personnelles – même si le consensus de sympathie envers les migrants était acquis d’emblée – mettait ces «intellectuels» au même niveau que n’importe quel citoyen : la réalité très concrète de l’arrivée de ces migrants est un phénomène qui bouscule nos repères et nous «bouge» (le terme est revenu comme un leitmotiv) et il n’est évident pour personne de l’intégrer dans l’avenir que nous sommes en train de construire dans cette société.
Quelques degrés en plus
> Le site internet Réinventer Calais
> L’éditorial que la maire de Calais n’a jamais écrit dans son journal municipal
> Un article très complet du Monde, parlant notamment des démarches de Banksy et d’Ai Wei Wei, paru en février 2016.
> Le manifeste du PEROU
> Le programme complet des rencontres du Polau, ainsi que la liste des participants
> La récente vidéo de Brut sur une grand-mère creusoise qui s’occupe de 4 migrants dans son village
Parmi les nombreux travaux présentés pendant ces rencontres du 8 au 10 mars 2017, nous retiendrons notamment par pur chauvinisme ligérien :
L’Etat de l’Art par Chloé Heyraud et Marie-Haude Caraes de l’Ecole des Beaux-Arts de Tours, un document très complet recensant et catégorisant (au grand dam de certains participants qui ont tiqué sur le côté froidement analytique du support) de nombreuses démarches d’artistes travaillant sur le thème des camps et des migrations.
Une exposition sur les migrations en Val de Loire au Musée d’Histoire et d’Archéologie d’Orléans (du 24 mars au 9 juillet 2017), rassemblant notamment des objets et des témoignages collectés auprès de migrants (Hélène Bertheleu sociologue de l’immigration, Unité Mixte de Recherche Citères Université de Tours)